jeudi 26 octobre 2023

Le Crotale


 Maria, actrice de seconde zone, se prélasse dans sa villa de Beverly Hills. Au bord de la piscine, elle observe, à travers ses lunettes noires, le défilement de sa vie : un divorce en cours, une jeune fille internée à l’hôpital, des rôles de plus en plus insignifiants et éphémères. Dans ces moments-là, elle se sert un verre, prend deux cachets et la route à bord de sa corvette. Sans but, la plupart du temps… Rouler, rouler, jusqu’à ce que la lumière lui intime le désir de rentrer. Et puis des fois, elle pousse sur la Route 66, traverse Barstow, s’enfonce jusque dans le Nevada, et s’arrête à Las Vegas ou dans un coin de poussière qui s’appelle le Café du Crotale. 

« La ville était bâtie sur un lit de rivière asséché entre la vallée de la Mort et la frontière du Nevada. Carter, BZ, Hélène, Susannah Wood et Harrison Porter ainsi que la plupart des gens de l'équipe ne la considéraient pas du tout comme une ville, mais Maria si : c'était plus grand que Silver Wells. À part le motel, construit en parpaing et tenu par la femme de l'adjoint au shérif qui parcourait sans cesse les centaines de kilomètres carrés de désert autour de la ville, il y avait deux postes d'essence, un magasin qui vendait de la viande et des légumes frais un jour par semaine, un café, une église fondamentaliste et le bar où l'on ne servait que de la bière. Le bar s'appelait le Café du Crotale. »

dimanche 22 octobre 2023

Les Péchés du Colorado


Il y avait une vieille malle dans la chambre de ma mère. Je n'ai jamais vu une malle aussi vieille. C'était une de ces malles à couvercle rond aussi gros que la bedaine d'un obèse. Ainsi commencent ses souvenirs. Par l'image de sa mère qu'il redécouvre au fond d'une malle, abandonnée dans la poussière d'un grenier... Il revient ainsi sur son enfance, la découverte du vin de messe, le vin de la jeunesse. Avant donc de retrouver son alter-égo sur la route de Los Angeles avec ses rêves de Bunker Hill dans la tête, avant qu'il demande à la poussière de devenir le plus grand écrivain de l'Amérique, ce qu'il fut - un peu, du moins, dans ma bibliothèque -, il évoque ainsi ses premiers méfaits, des bêtises de gamins, perdus dans la neige du Colorado, entre un père brutal, volage et alcoolique, et une mère presque aussi pieuse que la Vierge Marie. D'ailleurs, il en récite quelques uns de ces sutras à la gloire de Marie, pleine de grâce et bénie entre toutes les femmes... 

"Ces hivers du Colorado étaient impitoyables. Chaque jour, la neige tombait du ciel, et le soir le soleil était un déprimant disque rouge qui descendait de l'autre côté des Rocheuses. Le brouillard drapait les montagnes, si bas que nos boules de neige l'atteignaient. Ce déluge blanc n'accordait aucun répit aux arbres. Le vent balayait la neige en grosses congères mortes contre les clôtures et les cabanes à charbon."
 

dimanche 15 octobre 2023

Colonia Vela


Colonia Vela est en fête. Loin de Buenos Aires, perdu dans la poussière argentine, ce petit bourg promet une belle distraction, tango et boxe. Le grand Galvan doit faire une représentation à la salle des fêtes, des affiches ont même été collées aux murs de la ville pour annoncer sa venue.
Deux hommes montent sur le ring. Le speaker annonce le combat de l’année entre le vieux Rocha et la légende locale, le vainqueur aura le droit de participer aux prochains championnats du monde, c’est dire l’enjeu colossal.
Finalement Galvan est remplacé ce soir, il doit quitter la ville, ordre des autorités et à la fin des années soixante-dix, mieux vaut pas se frotter à la mitraillette de ces autorités-là.
Il a mis un genou à terre, l’arbitre compte une première fois, un… deux… trois… quatre… ça va ça va je vois encore clair ce ne sont que quelques gouttes de sang passe-moi l’éponge que j’essuie ça surtout ne jette pas l’éponge c’est la dernière chance de ma vie… Le combat reprend les coups cognent, les boxeurs glissent en sueur, encore un peu et ils danseraient le tango. 
Pourtant, l’autre boxeur n’est autre que le colonel de la garnison. Mais ne me fait pas dire que ça pue le combat truqué, c’est pas parce qu’autour du ring il y a des dizaines de militaires mitraillettes au bras, en train de s’abreuver de plusieurs verres de bières…  

« Nous marchions déjà depuis une heure quand je commençai à éprouver un froid intense dans les jambes et un goût amer sur la langue. J'allai jusqu'à un tronc d'arbre et m'y appuyai pour prendre une cigarette. Mingo avait plusieurs mètres d'avance ; la flamme du briquet l'arrêta. Lorsqu’il me rejoignit, je lui donnai une cigarette. De sa poche d'imper, il sortit une bouteille de genièvre et but une gorgée qui me parut interminable ; après, il me la tendit et nous nous assîmes sur le sol humide, adossés au tronc. Nous nous repassâmes la bouteille trois ou quatre fois. Pas très loin, un grillon chanta. Mingo tendit le bras et montra un point dans les buissons. 
« La chance, camarade, dit-il. Vous allez avoir de la chance. » 
Je le regardai lever le coude. Il abaissa la bouteille et me la tendit.
« Le grillon. S’il chante, ça porte chance.
- Ils chantent toujours, c’est tout ce qu’ils savent faire, non ?
- On voit bien que vous êtes de Buenos Aires », dit-il, déçu. »

mercredi 11 octobre 2023

Ce pays a soif de sang, part II


 Tout commence par un silence. Moteur éteint, il regarde dans le viseur de son arme. Un truc qui a attiré son attention. Un vautour vole au-dessus en faisant des ronds dans le ciel. Un silence de morts. Au pluriel, les morts, quatre pick-up en plein désert, et encore plus de cadavres. Sous un soleil de plomb et une terre de poussière, ce pays a toujours soif de sang.  

« Détourne pas les yeux. Je veux que tu me regardes.
Il regarde Chigurh. Il regarde le jour nouveau qui commence tout autour à pâlir. Chigurh lui tire une balle en plein front puis reste là à regarder. A regarder les capillaires exploser dans ses yeux. La lumière qui recule. A regarder sa propre image se dissoudre dans ce monde en perdition. »

Une histoire de drogue qui a mal tourné, regarde autour, tu trouveras le magot. Suivre l’odeur de l’argent. Et hop une mallette remplie de billets. Que faire, dans ce désert, dans ce silence, avec tous ces morts autour de soi. Embarque la mallette et rentre chez toi…Invite ta femme au diner, double steaks and bacon et bières à flot. 

« Un silence de mort. Peut-être à cause de la lune. Son ombre une escorte plus encombrante qu’il ne le voudrait. Cette sale impression que ça lui fait d’être ici. Un intrus. Parmi les morts. »

dimanche 8 octobre 2023

Kama Sutra Kanac

" femme 
ton sexe était pour ma bouche 
un sujet trop tabou 
maintenant 
je fais coutume 
devant les mots 
me voici boucan 
volcan 
voici mon vol oblique de bouc 
dans ton camp 
dans ton clan et ta tribu 
me voici décharge nucléaire 
en mille implosions d'êtres 
m'échappant par les pores 
par la bouche 
et autres voies ferrées 
de ma poétique intraveineuse 
femme ton feu était pour ma bouche 
risque d'incendie 
propension à la pyromanie 
me voici dans le vif du sujet 
en zone de turbulence "

Cet instant de poésie m’accompagne ainsi d'une bouteille de rhum agricole, comme l'accomplissement de l'amour dans un jardin fruité. Aussi, au bout du premier verre, je peux déclarer la flamme à cette femme qui hante les esprits d'un pauv'type comme moi. Et par la flamme, j'entends y mettre le feu, de la passion et du fruit, ma langue sur les parcelles de ton corps, léchant les perles de sueur qui coulent de tes désirs, les gouttes de plaisir ruisselant entre tes cuisses. Et par la flamme, j'entends éteindre le feu, de ma modeste lance et ainsi inonder ta plaine de mes envies.