mardi 27 mars 2018

Fuck le Blizzard

Tu l’entends ? Tu l’entends ? Bien sûr que tu l’entends. Le murmure, le murmure assourdissant et permanent. Il a envahi la ville et les esprits. Il arpente les rues en hurlant. Le murmure assourdissant et permanent, comme un bruit parasite à l’intérieur qui t’épuise, qui souffle à l’oreille de chacun. 

Il s'appelle Rock et vient du Québec. Elle se prénomme Kathryn et a vécu en Colombie-Britannique. Moi, je suis juste le bison et viens d’une plaine silencieuse à brouter en silence mon herbe à bison trempée dans de la vodka congelée. Les températures se sont glacées, et les rêves ont réchauffés les majeurs de ces deux-là. Une envie de partir, de fuir leur environnement pollué par la vitesse, le bruit et les gens. Des rêves de trappeur. Seuls en terre inconnue, aux confins du territoire du Yukon, comme Jack London quelques années auparavant.

Du courage, de la ténacité, une part d'insouciance. Ou d'inconscience. Deux citadins amoureux du silence de la nature. Ils se rencontrent dans un décor de far-west, comme dans la grande époque de la ruée vers l'or. Dawson, la première étape avant l'appel de la forêt, et la plongée dans le silence du Grand Nord Canadien. Puis les méandres du Klondike et l’extrême.

« Le silence est précieux, car, loin de nous couper l'un de l'autre, il nous permet d'être réceptifs ensemble à ce qui nous entoure. » Dans ce décor sauvage et blanc, ils expérimentent une nouvelle vie, ils fondent une nouvelle expérience, ils découvrent surtout l'amour de leurs vies. Là où « les mots en réalité deviennent superflus ». D'ailleurs, à quoi bon parler, la parole s'envole dans la violence du blizzard. Et puis, perdus là-bas entre les hurlements des loups et du vent, « il n'y a pas de vide à remplir », ils sont « présents l'un pour l'autre ». Cela suffit à leur communication. Le silence de la neige, le silence de la nuit, le silence d'une lune bleue au milieu des étoiles scintillantes.

vendredi 23 mars 2018

Silence Malléen

Peu de monde sur le quai lorsque le train entre en gare de Buenos Aires. La sirène m’appelle, signe de départ, je monte dans un compartiment vide, vieille odeur de cuir et de cigarillos froids. Dans l’espace conjoint au mien, un vieux couple se regarde en silence, dégustant des tasses de maté qu’un thermos encore fumant tient au chaud. Moi, je descends en silence une Quilmes, les yeux qui oscillent de mon bouquin à la fenêtre ouvertes sur la campagne argentine, une lecture à peine perturbée par le ronflement du train.

Pinas et Gerardo sont deux amis d’enfance. Pas dans le genre franche camaraderie, plutôt dans le style de deux personnes qui s’écoutent en silence et discutent de la vie, entre débats et passions. Mais les aléas de la vie font qu’à un moment donné, les chemins s’éloignent, chacun prend un aiguillage différent. Le chef de gare les réunit à nouveau après une dizaine d’années dans la maison bourgeoise de Gerardo, l’occasion de reprendre ces discussions nocturnes, ces ballades dans les champs à échanger quelques mots ou quelques silences.

samedi 17 mars 2018

Chroniques Canines



Il était tard hier soir quand je suis sorti du bar, histoire de prendre l’air, respirer la brise nocturne et glaciale, sentir le froid piqué mon visage qu’une barbe de trois jours habillent de ses poils grisonnants. A la lumière d’une lune bleutée ou d’un lampadaire blafard, je ne me souviens plus trop de l’éclairage de la scène, j’ai vu un chien sur trois pattes. Étonnamment, il semblait bien le vivre, il se promenait cahin-caha, une pluie fine venue mouiller ses poils, ça sent le chien mouillé. Je retourne me prendre une nouvelle bière, bien au chaud, dans un intérieur éclairé de néons qui donnent un éclat triste à ma voisine de comptoir, ça sent la chatte mouillée. L’envie de lui offrir un verre, mon lit, ma musique, on va chez elle, lumière tamisée par quelques bougies autour du lit.

« Comme je l'ai déjà dit, la maison où Bill et moi vivions se trouvait à côté des voies de chemin de fer. C'était la ligne des trains de marchandises Missouri-Pacific. C'est Bill qui m'a initié au plaisir de traîner près des voies ferrées. Il aimait marcher le long des rails et rester là des heures interminables. Les rails s'étendaient sur des kilomètres et des kilomètres dans chaque direction et les paysages étaient très apaisants. Le terrain vague autour de la ligne à haute tension peut procurer un sentiment semblable.  […] »

mercredi 14 mars 2018

Bruce dans le Bush



« Tous les grands maîtres ont enseignés que l'homme était à l'origine, un "vagabond dans le désert brûlant et désolé de ce monde" - ce sont là les mots du Grand Inquisiteur Dostoïevski - et que, pour retrouver son humanité, il devait se débarrasser de ses attaches et se mettre en route.
Mes deux derniers carnets étaient pleins de notes prises en Afrique du Sud où j'avais observé, de visu, des preuves indiscutables sur l'origine de notre espèce. Ce que j'avais appris là-bas - avec ce que je savais maintenant des itinéraires chantés des aborigènes - semblait confirmer l'hypothèse que j'avais caressé depuis si longtemps : la sélection naturelle nous a conçus tout entier - de la structure des cellules de notre cerveau à celle de notre gros orteil - pour une existence coupée de voyages saisonniers à pied dans des terrains épineux écrasés de soleil ou dans le désert. »

jeudi 8 mars 2018

Westfalia Rose

Un pack de bière à la main, le pouce en avant, j’attends l’âme charitable qui va prendre le miteux auto-stoppeur silencieux que je suis. Mais je n’ai pas le temps de prendre une insolation boréale dans la banlieue de Montréal que déjà un Westfalia rose s’arrête et m’embarque dans ses aventures. Pas commun cette couleur pour un Westfalia, mais je ne m’arrête pas à ce genre de détail tant qu’il y a une glacière pour mettre au frais mes frettes. Benjamin Tardif, ça c’est le conducteur, y me cause avec un accent bizarre, je comprends pas tout d’ailleurs, il parle trop vite, même que parfois il sacre – pas que ça me dérange, d’ailleurs il pourrait sacrer plus que ça me dérangerait pas -, mais j’ai parfois besoin de sous-titres pour le comprendre. Ça tombe bien qu’il me dit, il est traducteur de profession.

Avant de passer la frontière, il s’arrête au dépanneur, faire le plein de frettes et de gas. Benjamin met une vieille bande magnétique dans son autoradio qui crache un vieux rock des années 80. Il me dit suivre la migration des lagopèdes à queue blanche jusqu’au Texas.  

- Bordel de merde ! s'écria Justin Case.
- Putain de salope ! hurla Oracle Simon.
- Hostie de tabernacle ! gémit Benjamin Tardif.
Bien entendu, sauf pour les gros mots de Benjamin Tardif, on aura compris que ces propos sont traduits librement, et même avec un souci d'éviter de scandaliser les femmes et les enfants qui auraient pu acheter ou ouvrir ce livre en croyant qu'il s'agissait d'un ouvrage sur les espèces animales disparues du Texas.

mardi 6 mars 2018

Santiagay

Une image me restera gravée pour longtemps. Je me promène dans les rues de Santiago du Chili. Un jeune homme jovial se promène avec une amie à la tombée de la nuit. Le quartier ressemble à n’importe quelle rue de notre monde, entouré de ses graffitis et de sa nébuleuse pollution atmosphérique. Les lampadaires se sont illuminés, loin d’être des étoiles dans le ciel pour se guider. Au détour d’une rue, la fille voit ces trois types, elle prévient le garçon de filer, ils s’enfuient tous les deux dans des directions opposées. Mais à trois… le jeune garçon est vite rattrapé et massacré. Des coups de lattes dans la gueule, dans les couilles, je présume, la caméra se fait discrète et film la tête des agresseurs plutôt que de la victime. Coup de barre de fer, coup de pied dans la face, comme au bon temps des skinheads. Un déchaînement inouï et insupportable de violence s’abat sur sa figure, son crâne.

Pourquoi un tel acharnement physique envers son fils ?
L’hôpital. Son père parle à un médecin. Préoccupations financières de telles opérations, cynisme du monde médical.
Des interrogations, une porte qui s'ouvre sur un monde qu'il ignorait totalement.

dimanche 4 mars 2018

l'Oiseau de Sacramento

Petite chronique, douce et amère, d'une adolescente en mal d'être. Elle se fait appeler Lady Bird, parce que c'est le prénom qu'elle a choisi, le prénom qui lui convient, son prénom d'artiste dans la vie. 

Lady Bird ne s'entend pas avec sa mère, qu'elle trouve trop protectrice, et ne veut surtout pas lui ressembler. Lady Bird ne s'entend pas avec ses camarades, qu'elle trouve trop superficiels, une seule amie. Lady Bird serait cette ado tendance solitaire, qui ne rêve plus, et qui ne sait pas quoi faire de sa vie, maintenant et plus tard. Sa seule envie, c'est de fuir sa ville, Sacramento, surtout qu'elle vit du mauvais côté de la voie ferrée, celui où les maisons ne font pas rêver, celui des 'pauvres'. Son seul désir est donc de rejoindre la côte Est, et d'être intégrer à une fac à New-York, malgré la peur qui s'y soit installée - nous sommes en 2002, le 11 septembre est encore présent dans toutes les pensées, et dans une Amérique en crise économique et morale.

jeudi 1 mars 2018

Bonjour Missouri




« Tu sais ce qu’ils font des tafiottes à Cuba ? Ils les tuent ! 
— Tu es sûr que ce n’est pas plutôt dans le Wyoming ? »

Bienvenue dans le Missouri semble indiquer le panneau à l'entrée de cette petite bourgade, Ebbing, où Mildred est en colère. Sacrément en colère, même. Tellement en colère qu'elle a loué 3 vieux panneaux publicitaires abandonnés sur une route presque abandonnée pour y laisser son message de colère, ou de vengeance. Colère parce que cela fait plusieurs mois que sa fille s'est faite violée et assassinée, sans que la Police du coin ne semble en faire une affaire prioritaire - tant qu'il reste des noirs à tabasser et des verres de rye à vider (et j'ai rien dit sur les pédés). Une sacrée bonne femme cette Mildred, magnifique Frances McDormand, tout en naturel, mélange de tristesse et de rage contenue. Jamais de dépit ou d'abandon.

« VIOLÉE PENDANT SON AGONIE »

« TOUJOURS AUCUNE ARRESTATION »  

« POURQUOI, CHEF WILLOUGHBY ? »