dimanche 31 octobre 2021

le Lion de Belfast

- Tu connais la meilleure façon de boire le whisky ?
- Dis-moi.
- Tu le mets dans un verre. Et tu bois !
Ils éclatèrent tous les deux de rire.
 
Belfast. Son whisky, son passé, sa violence. Il est dix-sept heures, soir d'Halloween. Trois hommes déguisés en loups rentrent dans la banque. Braquage à l'ancienne, braquage à vide surtout, le coffre ayant été vidé une heure plus tôt, nouvelles consignes de sécurité. Les trois malfrats ressortent bredouilles ou presque. Un cou de crosse au passage, la ramène pas mec ou je te fais un second trou du cul après t'avoir planté une balle dans les deux genoux, et ils s'emparent de l'attaché-case d'un client, géant patibulaire au regard pas clair. Des millions à l'intérieur, le jack-pot.

Le cimetière de Milltown, à l'ouest de la ville, était pratiquement désert quand Harry gara sa voiture juste après le portail le lendemain après-midi. Un brouillard froid et gris tissait une vignette gothique dans le motif dessiné par les pierres tombales.
Ouvert au XIXe siècle, le cimetière héberge principalement des catholiques - il n'y a qu'un seul protestant dans cette argile, contre toute attente. Une section est entièrement consacrée aux socialistes et aux républicains tués pendant le conflit contemporain avec les Anglais. Pas très loin, se trouve le cimetière municipal et sa prédominance d'hôtes protestants. Même dans la mort, il semble que le caractère sectaire de Belfast continue à se perpétuer.
 

mercredi 27 octobre 2021

Des Variations Impromptues de Hank et de Sibelius

Bois. 
Serait-ce le dernier - ou premier - conseil de l’auteur ? 
Vis aussi. Chie surtout. 
Voilà tout est dit. Ou presque. 
Tu peux tourner la page, tu connais toute la philosophie de l’auteur. 
Tu peux tourner ma page, tu connais tout de ma vie. J’aborde donc une version poète de Hank. Des poésies en prose avec les thèmes de prédilections de l’auteur.

Il boit, certes. Il regarde des femmes, quelques. Il écrit surtout, sur ses écrits. Ce pourrait être des petits instantanés de sa vie. Du quotidien banalement banal. Charles Bukowski va aux toilettes, chie un beau morceau, parfois même un très beau morceau d'anthologie, retourne à sa fenêtre devant une bière, ou à sa machine à écrire devant un verre de vin. Et quand il sort de chez lui, dans le froid, la pluie ou le vent, - bon ok, c’est quand même la Californie - c’est pour aller à l’hippodrome. Les courses, son autre dada, en plus de celui d’écrire des poèmes en prose ou des nouvelles à l’eau de rose – ou aspergées d'eau sauvage. Et il écoute de la musique classique. C’est également un bon point. J’ai toujours trouvé qu’il avait bon fond, ce type, malgré son air grognon et renfermé. 

« Je ne crains rien ni personne, la pluie s'abat
sur la porte et je suis devant cet ordinateur
écoutant du Rachmaninov à la radio.
la pluie tambourine violemment à la porte,
alors je souffle la fumée d'un cigare à son intention
et souris.
derrière la porte il y a un petit balcon
sur lequel est posé une chaise.
je m'assieds parfois sur cette chaise quand il y a
de l'eau dans le gaz.
(bon sang voilà que la pluie rentre à l'intérieur !
formidable ! Une pluie battante sur ma chaise en bois
dehors !
les arbres et les câbles de téléphone s'agitent
sous la pluie.)
Je m'assois parfois sur cette chaise quand il y a
de l'eau dans le gaz.
et je sirote ma bière là dehors,
regardant passer les voitures la nuit sur l'autoroute,
remarquant au passage le nombre de lumières nécessaires
dans une ville, tellement de lumières.
et je reste assis là et me dis, bon, c'est peut-être
un sale moment
mais au moins tu n'es pas à la rue.
et tu n'es même pas encore au cimetière.
courage, vieux garçon tu as remporté des batailles
pires que celle-ci.
descends ta bière.

mais ce soir je suis à l'intérieur,
et Rachmaninov joue pour moi. »

[extrait : tempête pour les morts et les vivants]

samedi 23 octobre 2021

Ephemeride II

 22 Octobre 1969.
 
Une date fracassante, comme un zeppelin qui se crashe sur un haut building, comme une guitare de Jimmy qui sonde mon âme.
 
Le début d'un truc énorme. Du moins dans mon cœur.  Quelques poils sur le torse suffisent à me mettre en émoi. Ou alors ses cris, sa langueur, son blues. Des bleus à l'âme comme la lune, sans son côté sombre.

Et la Révolution. La Révélation.
Après un premier album, mélange de blues des grands noms, ils sortent le second, toujours craint, toujours attendu. Ils enchaînent les concerts aux States, des trucs énormes. Un vent de fraîcheur. Il y a les groupies féminines qui se jettent au pied du blondinet, les mecs qui admirent le guitariste, respect mec avec ta six ou douze cordes, ceux qui se font des vodkas orange en tapant sur une grosse caisse, et les plus discrets mais empreints de mélodie et de leur mélancolie.  

C'est du boogie-woogie teinté de blues, la promesse d'un rock qui gratte plus, une pointe de folk pour ne pas oublier ses racines. On ferme les yeux, le psychédélisme poursuit son vol,  d'autres cieux, proche du paradis mais le menuisier n'en est qu'à la seconde marche de son escalier. Les Beatles n'ont plus qu'à retourner dans leur cirque - ah non, ça c'était les Stones. J'en oublie mes classiques. Sauf que pour moi, ces 4-là dans le blizzard - bien plus violent qu'un simple coup de vent, sont mes classiques à moi. Au zénith de mes écoutes. Au zeppelin de mon âme.
 
Le 22 Octobre 1969 sort dans les bacs : II. En toute modestie. Led Zeppelin.  

mercredi 13 octobre 2021

le Bison et la Grenouille (ou le crapaud-buffle)


Je me suis perdu dans cet état sauvage, où le souffle de l'élan pourchassé fume sur la froidure de la forêt, où des os de bisons sont enterrés quelque part en hommage aux dieux protecteurs d'une ethnie indienne, où des saumons remontent des rivières et des bûcherons bûcheronnent... Les yeux qui brillent comme le souvenir d'une lune aux reflets bleus, ou des étoiles éphémères s'aventurent dans ton cœur, ton être, ton âme, j'écoute le silence d'un troupeau venu s'abreuver d'une soif désespérée, la musique mélodieuse des tronçonneuses au cœur de la forêt, les grognements et tintamarres des crapauds-buffles dans le réservoir du champ situé en contrebas... Je remonte « la rivière en hiver », un jour, une nuit, une vie, dans le Montana.

« Wilson avait seulement envie de boire un verre. Une bonne bière froide dans une chope embuée, avec une tranche de citron sur la mousse. Une lager pâle et dorée, traversée par un rayon de soleil sud-américain, un cyclone de bulles montant dans cette lumière, un vortex de promesses. »

Je traverse des plaines qu’un vent balaye de sa fougue ou de sa folie, à la recherche d’un arbre, l’arbre parfait, ou d’un bar, le bar parfait, celui qui me servira dans le silence d’une nuit une bonne bière, un vieux juke-box crachotant des chansons du loner Neil Young ou de la belle Emmylou Harris, des vieux accoudés au comptoir, le silence devant leurs bières. L’esprit americana de ce partage. Les tronçonneuses résonnent encore dans ma tête lorsque la lune m’apparait toujours de ses atours si bleutés si souriants, le souvenir d’une vie. Le Montana, je m’y sens bien. Je m’y recueille, jusqu’à plus soif, dans le silence d’une putain de vie, dans le silence des hommes et le chant des grenouilles.

dimanche 10 octobre 2021

American Dream


Dans une petite ville du New Hampshire, Bob Dubois répare des chaudières pour une centaine de dollars par semaine. Une vie de famille simple, plutôt tranquille, pas misérable mais pas folichon non plus, l'attend chaque soir sur son canapé en cuir usagé et taché de vieilles traces de bières. Jusqu'au jour où Bob pète les plombs, envoie tout valdingué y compris son vieux break rouillé. Il vend son misérable appartement aux bruits incessants de tuyaux, et part avec femme et enfants, sa vie dans une remorque, rejoindre son frère sous le soleil de Floride. Parce qu'en Amérique, il est facile de refaire sa vie. American Dream.

Ce n'est pas une histoire de malchance, Bob le sait, la vie n'est pas une combinaison de forces aussi irrationnelle que ça. Et même s'il n'est pas un génie, ce n'est pas une histoire de stupidité non plus, car il y a trop d'imbéciles qui se débrouillent bien dans le monde. C'est à cause des rêves. Surtout du rêve d'une nouvelle vie, de redémarrer de zéro. Plus on échange la vie qu'on connaît, celle qu'on a devant soi, qui nous est échue par la naissance comme par les accidents et autres hasards de la jeunesse, plus on l'échange contre des rêves de vie nouvelle, moins on a de pouvoir. Cela, Bob Dubois en est venu à le croire, maintenant. Mais il est tombé dans un endroit froid et sombre où les murs sont nus et glissants et où toutes les issues ont été condamnées. Il est tout seul. Il va devoir vivre ici s'il veut vivre. C'est ainsi que quelqu'un de bien perd ce qui est bien en lui.
 

mardi 5 octobre 2021

Noces de Sable

"J'étais employé dans un pressing. Le métier de Français paumé chez les ploucs US ne nourrissant pas son homme, j'avais décidé de faire confiance à l'intelligence de ma main. Mes potes se résumaient à des compagnons de picole. Nos discussions tournaient autour de la bibine, les artistes que j'aimais étaient alcoolos, et mon cinéaste préféré était Cassavetes... J'adorais... C'était triste. C'était désabusé. Et puis Gena Rowlands sa tapait du whisky à gogo, et ça, c'était classe."  
 
A bord d'une Chevrolet Impala 1971 d'un rouge mécanique, je décapote, une vieille cassette des Stones, Let It Bleed, dans les haut-parleurs crachotant. Les cheveux au vent, du moins ce qu'il m'en reste, je file au Sud, Sandpiper Bay, Floride. J'aurais voulu emmener Emma aux Seychelles, pour une nuit de noce d'anthologie à baiser et boire du rhum avec Emma. Finalement, en tant qu'employé moyen dans un pressing moyen tenu par les Kurosawa, je me retrouve dans ce bungalow bon marché, il n'y a pas de pingouins mais un pélican qui se prénomme JFK. Dès fois, on a envie de lui mettre une balle, à cet avatar à plumes de Club Med. C'est la réflexion que je me fais lorsque le soleil se couche et que je bois ma quatrième bière, sous le regard tristement bleu de la lune.  

Les histoires d'amour finissent... en général... La mienne n'a pas survécu au lendemain de mon mariage. Emma partie, envolée, le pélican à mes pieds. Moi, je suis resté à errer dans le sable comme ce Teuton qui tourne en rond depuis des heures, des jours, des mois, sa femme est partie aussi. La lagune de Floride semble avoir ce pouvoir magnétique sur les couples - ou les suicidés. Fraiches Lagunitas me voilà. Je prends une bière dans la glacière, note que ça rime lors j'en prends une seconde, bière dans la glacière, bienvenue dans ma galère. Le soleil se couche à nouveau, la lune garde sa lueur bleutée pour d'autres cieux que le mien, alors je me prends une nouvelle bière. 
 
"Du coup, le midi, c'était bière. Le soir, c'était bière, et le week-end, c'était bière. Parfois gin."