vendredi 31 mars 2017

Une Femme Déchue

 Dès les premières lignes, je me retrouve plonger dans l’atmosphère du Japon. Le papier jauni, le papier épais, la police de caractère d’un autre temps, je dois être dans une vieille édition qui sent bon les gouttes de sueur déposées par des doigts affairés à tourner les pages. L’histoire se déroule après-guerre, dans la campagne japonaise, loin des grandes villes Tokyo et Osaka. Et lire ce livre mystère en aveugle, sans se laisser guider par une couverture, par le nom d'un auteur. Juste par ces mots, des phrases imprimées sur un papier, un papier qui a été touché, caressé, senti, par d'autres mains, des émotions qui ont été touchées - ou pas - par d'autres âmes... 

Une femme du nom d'Etsuko, encore jeune je suppose malgré son récent veuvage, habite chez son beau-père, Yakichi. Etrange cohabitation, où ils logent au premier étage, le fils ainé et sa femme au second, idem pour le fils cadet qui doit être sur une autre aile de cette maison bourgeoise entourée de vignes à l’abandon, de serres à l’abandon, des fleurs, des champs, un jardinier homme à tout faire, une femme jeune et servante.

« Selon ses conceptions romanesques, les maris étaient toujours infidèles et les femmes souffraient toujours. Les couples d’âge mûr finissaient par ne plus se parler, soit qu’ils fussent las l’un de l’autre, soit par haine mutuelle. »

mardi 28 mars 2017

Ce Silence Oppressant


« Lentement monte la pleine lune. Dans le bosquet, derrière la prison, se répondent le hibou et la tourterelle. Toute ronde, au-dessus des arbres, la lune se nimbe d’un surnaturel halo rouge, cependant que les nuages sombres la dévoilent ou la cachent tout à tour. Les vieillards chuchotent, comme des oiseaux de mauvais augure, que l’année à venir pourrait bien apporter quelque malheur. »

Le silence règne sur les montagnes. Sur la mer. Sur un pays. Aux cieux. Ce silence oppressant, aussi lourd à porter qu’une croix sur son épaule. Le Japon s’est ouvert aux portugais, pour le commerce. Les portugais y apportèrent la paix du Christ ou du moins leur religion. Des prêtres convertirent les paysans au christianisme. La foi devant le Seigneur fut grande et pleine d’espoir. Mais le Japon est-elle une terre d’asile pour cette religion ? Des bruits venus de cette île font état de persécutions sur ces néo-chrétiens. Bravant le danger, l’incertain, le voyage, les années, la mer, la maladie, la piraterie, la mort - quelle expédition ! – deux envoyés de Dieu débarquent sous une lune éclairée - et sa bienveillance clarté ? - sur cette terre si hostile aux ouailles du même Dieu. 

Une plage déserte, une croix au sommet de la montagne, une pluie déchirante, mauvaise augure...



samedi 25 mars 2017

Au Sud de Key West

Le visa en poche, j’atterris sur le tarmac ensoleillé. Je vois déjà les vieilles voitures rutilantes parcourir les rues poussiéreuses de La Havane. Voitures multicolores, immeubles multicolores, filles multicolores. L’autoradio est branché sur une cassette de Buena Vista Social Club, c’est toujours mieux qu’un discours de Fidel. Les jupes des filles virevoltent sous la chaleur pour se donner de l’air frais, je rêve déjà d’un verre de rhum au bord de la piscine. Des bikinis autour de moi, des jambes bronzées, des couples qui font l’amour sur la voix d’Ibrahim Ferrer, des homosexuels qui se tiennent la main avant de s’embrasser… J’ai le droit de rêver un peu… C’est pas ça La Havane ? Alors je revois ma copie…

« The Southernmost Point in the U.S.A. C’est ce qu’il y a sur le panneau. Quelle horreur. Comment pourrait-on dire cela, nous autres ? Le point le plus au sud des Etats-Unis, bien sûr. Mais ce n’est pas pareil. La phrase fait trop long, elle y perd en précision, en efficacité. En espagnol, ça ne donne pas l’impression que l’on se trouve à l’endroit le plus au sud des Etats-Unis, mais en un point, au sud. Tandis qu’en anglais, cette rapidité, ce Southernmost Point avec les T dressés au bout nous indique que le monde se termine ici même ; une fois que l’on aura franchi ce point et traversé l’horizon, on ne trouvera plus que la mer des Sargasses, l’océan ténébreux. Ces T ne sont pas des lettres, ce sont des croix – regarde comme elles se dressent – qui indiquent clairement que derrière elles c’est la mort ou, pis encore, l’enfer. »

jeudi 23 mars 2017

A, a, a, a, que Deus deu, Ô, o, o, o, que Deus da

Clara, une collection de disques qui en impose, est la dernière habitante d’un vieil immeuble des années 40, l’Aquarius de Recife, ville du Nord-Est du Brésil et samba sur la plage. Sous ces cieux ensoleillés où les immeubles ont de la classe repeints en bleu, elle se retrouve bien seule face à la mer. Une société immobilière cherche par tous les moyens d’acquérir ce dernier bien, afin de construire le nouvel « Aquarius ».

Dans les années 70, l’insouciance sur une plage déserte, nuit profonde, une cassette dans l’autoradio. Monte le volume, bruits des vagues qui s’échouent sur le rivage et, des enceintes sort un monumental « Another one bites the dust ». Première scène, premier frisson d’un film qui ne va pas en manquer. Retour à notre époque, la musique toujours au centre de sa vie, la guerre est déclarée. Clara contre le fils du patron. 

La résistance est menée, la soixantaine assumée. Clara a survécu au cancer, elle ne va pas se laisser faire par un promoteur, arrogant et sans scrupule, à peine plus âgé que ses enfants. Elle sort de sa pochette un 33 tours, à chaque musique son tour, dépose le saphir. Pop, rock ou bossa-nova, le spectre est large pour cette ancienne critique musicale, mais le choix est toujours bon. Elle chante dans sa cuisine, quelques pas de danse dans le salon, fume un joint, se tape un gigolo, sexe érigé de la jeunesse. Ou elle écoute religieusement cette musique, l’un des points forts de ce film, l’éclectisme musical passant de Queen à Gil Giberto, avec un verre de vin rouge, monumental lui aussi, à la main A, a, a, sur ses lèvres, Ô, o, o.


mardi 21 mars 2017

le Paradis du String

Nestor et le journaliste s’assirent au bar et commandèrent des cafés. Grand standing, le bar de l’Isle of Capri… Des spots fixés sous les étagères éclairèrent une batterie de bouteilles d’alcool contre un immense pan de mur recouvert de miroir. Les projecteurs illuminaient les bouteilles d’alcool… absolument fabuleux et le panneau de miroir multipliait le spectacle par deux. Nestor en était ébloui, tout en sachant que ces bouteilles étaient destinées à des Americanos d’âge mûr qui adoraient raconter qu’ils étaient « bourrés » la veille au soir, qu’ils s’étaient « torchés », « murgés », qu’ils étaient « h.s. », « complètement dans le coltard » et même que ça a été le « trou noir », et qu’ils ne savaient plus qui ils étaient quand ils s’étaient réveillés. 

Et si je commençais par une bière, pour détendre l’atmosphère, faire entrer le soleil dans mon verre. Le soleil de la Floride se mélange au sang cubain, vision de pamplemousse rose et culs des cubaines. Sueur ! Caramba, un Cuba Libre, por favor ! Parce que le voyage pour Miami ne sera pas de tout repos, parce que la plume de Tom Wolfe m’a encore ébloui, parce que mon cœur ne se remet pas de tous ces battements et de tous ces culs devant moi. Parce que Miami, c’est le paradis du string. Et qu’il me faut bien plusieurs bières pour étancher ma soif de ces nombreuses paires de fesses bien arrondies qui défilent tout au long des pages, un bout de ficelle dans la raie.

« - Ecoutez, j’ai envie d’une bière. Vous en voulez une ? » Une bière ? Comment ce type pouvait-il penser d’un coup à une bière ? Nestor n’en revenait pas. Ca le contrariait. D’un autre côté… une bière… ça ne serait pas si mal peut-être. Cela le calmerait peut-être un peu, ça diluerait le taux d’adrénaline. S’il avait un autre genre de drogue, il en prendrait sûrement, là, maintenant… et puis une bouteille de bière, ce n’était pas la mer à boire.


dimanche 19 mars 2017

Le Lion de Tasmanie

Il est là, seul assis sur un banc. Un quai de gare en Inde, des trains bondés, une foultitude qui rentre qui sort. La fumée envahit le quai, le ciel commence à tomber, la nuit avec. Il est toujours seul, il s’endort sur ce banc. Seul dans la nuit, sous les étoiles, clair de lune. 5 ans, seul à Calcutta. Il est perdu. La peur, la fuite, retrouver les siens. Impossible, improbable. Il ne sait même pas où il est, d’où il vient. Des souvenirs de promenades avec son frère gravés dans sa mémoire. Sa mère qu’il n’oubliera jamais. La police, l’orphelinat. Un couple d’Australien, Nicole Kidman frisée, l’emmène en Tasmanie, un koala en peluche, où il vivra les 25 prochaines années. Jusqu’au moment où il sentira le besoin de retrouver ses racines.

Google Earth, une merveille de technologie. Sans repère, juste un château d’eau visible du quai de gare. Comme de trouver un grain de riz dans un curry. Cette quête devient son obsession. C’est juste de ce côté-là que le film pêche un peu, cet excès de facilité à trouver avec la magie d’Internet les renseignements nécessaires pour arriver sur les lieux du passé. En dehors de cet aspect technique, le film est magnifique. Deux parties distinctes. L’enfance en Inde, elle fait peur, je sens les épices, le dépaysement est garanti. Je suis complètement immergé par le soleil jaune, la poussière ocre et aussi la misère qui y règne, ces milliers d’enfants que j’imagine perdus dans les rues de Calcutta, livrés à eux même ou à des gangs. L’adolescence (Dev Patel que j’ai adoré à ses débuts dans la série anglaise « Skins ») se joue en Tasmanie, j’y découvre une nouvelle Nicole Kidman qui a pris de l’âge par rapport à « Eyes Wide Shut » (mon film référence), émouvante et aimante qui joue dans la simplicité. Une mère adoptive qui aime ses enfants adoptés. Mais si l’Australie peut faire rêver, notre Saroo ado ne supporte plus sa vie. Boire une bière australienne devant la baie vitrée de sa maison, face à la mer et au déferlement des vagues, ne lui suffit plus. Il a ce besoin de retrouver les siens. Ce manque dans sa vie.

vendredi 17 mars 2017

Embruns Iodés, Airs Celtes

L’homme se retrouve seul à sa table. Vieille habitude du gars solitaire. Il commande une rousse. Prélude à sa journée. Une bière, de la mousse sur le bord de ses lèvres. Il n’a jamais été porté sur les anglo-saxonnes, préférant la force des flamandes, son esprit levure qui l’attire, alors que la verdure de l’Irlande lui apporte un autre paysage à son panorama. Il regarde son verre, le pétillement, la blancheur de la mousse qui s’estompe, le verre qui se vide, petit à petit, gorgée à gorgée.

Il pense aussi à un verre de whisky, irlandais, bien sûr, aujourd’hui. Un Jameson Caskmates Aged in Craft Beer Barrels Stout Edition ou un Tullamore Dew. Il faut bien fêter la Saint Patrick, même si la serveuse n’est pas rousse. D’ailleurs, il a déjà oublié son parfum. Il s’est plongé dans son verre, pas son décolleté, et il relit un passage de son dernier roman irlandais.

« En fendant la foule pour suivre Chloé jusqu’au Strand Café, je tâtais mes lèvres du bout des doigts, ces lèvres qui l’avaient embrassée, m’attendant à moitié à les trouver inchangées d’une façon infiniment subtile mais radicale. Je m’attendais à ce que tout ait changé, à l’image de la journée, sombre, humide et tendue de nuages pansus à notre entrée au cinéma en plein après-midi et vibrante de lumières fauves et d’ombres distendues, maintenant que le soir était venu, que les prêles ruisselaient de gemmes et qu’un voilier rouge dans la baie tournait sa proue vers l’horizon d’un bleu déjà crépusculaire au loin.
Le café. Dans le café. Dans le café, nous. »
La Mer, John Banville


Se souvenir de son amour, pendant que le parfum de sa bière lui chatouille les narines, ses saveurs les papilles. Il pense à ces autres romans irlandais qui l’ont marqué, Colum McCann en particulier, mais aussi Keith Ridgway, Jennifer Johnston… Et puis tous ces auteurs irlandais qu’il n’a pas encore pris le temps de découvrir. Ils prennent le temps, à défaut de poussière, rangés dans des étagères d’une bibliothèque sans fond, contrairement à son verre. Les pages se jaunissent, elles doivent se bonifier peut-être, comme pour un whisky qu’on laisse à maturation des années dans son tonneau. Edna O’Brien, William Trevor, Colm Toibin, Claire Keegan… Il revoit aussi le jour où sous un soleil presque hivernal, il était devant la tombe d’Oscar Wilde, avant celle de Jim Morrison qui pour le coup lui n’a rien d’irlandais… Il trempe à nouveau ses lèvres dans son verre, ses souvenirs lui demandent une nouvelle pinte.


lundi 13 mars 2017

Quatre-vingt-dix Chapitres d'une Vie

Je te raconte l'histoire d'un petit garçon juif de Hongrie qui a fuit Bucarest avec ses parents – ne pas passer par la case Auschwitz.
Je te parle aussi d'un quinquagénaire sur un lit d’hôpital, lui n'a pas éviter la case Cancer.
Cancer du Tropique, j'ai pris un billet pour Cuba.
Je me vois dans la peau d'un jeune étudiant, premiers amours, souvenir de dépucelage, Paris peut-être.
Le petit garçon arrive à New-York, quartier du Bronx.
Un quadra travaille dans une boite de publicité avant de se faire virer.
Le jeune étudiant rêve d'être écrivain.
Et si je cherchais une maison d'édition, pour son livre. Le Serpent à plumes serait une bonne idée, faire entrer le jeune écrivain dans le panthéon des auteurs publiés. Et quel écrivain ! Foi de lecteur.
Un homme d'âge moyen, fraîchement divorcé ou bientôt marié, suivant comment je prends les épisodes – dans l'ordre ou le désordre, pire qu'un tiercé sur la pelouse d'Auteuil. Parce qu'il n'est pas juste question de trois bourrins sur un hippodrome. Non, là je te parle de quatre-vingt-dix chapitres d'une vie, putain de vie. Deux enfants qu'il voit, puis qu'il ne voit plus, le silence avant la mort...

Des chapitres qui se succèdent comme autant de bières que je prends seul, avant de finir moi même en bière. Cynique, cynisme d'une vie. J'adore. Ce côté, drôle et crue, triste et décalé, décrit dans des mini scénettes, une page ou deux, genre nouvelle à la Richard Brautigan ou à la Raymond Carver. Pas de longs discours, un bout de vie, une tranche de rien, du vide et de l'amour, quelques gouttes de sperme qui perle comme une goutte de sueur sur la tempe de Mick Jagger pendant que Keith Richards se fait un shoot entre deux titres. Magnifique, j'ai envie de dire. Un coup de cœur, pour originalité et le cynisme.

mercredi 8 mars 2017

Dans la Moiteur Étouffante de Port Tropique

Le marcel jauni par la poussière et la sueur, le panama vissé sur la tête, je m’installe à la terrasse du Havana bar. Bières et whisky, sinon je ne me sentirai pas à mon aise. Quelques putes aussi, sinon je ne me sentirai pas à mon aise non plus. Le soleil me brûle la peau, le cul de cette gamine me brûle la rétine. Bienvenue à Port Tropique, une ville imaginaire d’Amérique Centrale.

Franz, une passion pour l’alcool et les putes. Mon ami, mon double qu’a mis en scène Barry Gifford. Une éternité que je ne l’avais pas lu, celui-ci. Toujours le même style, des phrases courtes, des chapitres courts, une page suffit parfois pour dresser l’état des lieux ou celui de ma queue. Dans la moiteur étouffante de « Port Tropique ». 

« Son pénis avait durci, mais il ne voulait pas se masturber. Il but un peu d’eau gazeuse, vomit. »

Je regarde le soleil se coucher dans la mer, les yachts amarrés au port, les putains autour des hôtels. J’entends des coups de feu au loin, une révolution se prépare, les socialo-communistes veulent le pouvoir. Franz transporte une mallette de billets de banques, des trafiquants - d’armes de drogues de rhum on s’en fout – pour un échange de service ou de bon procédé. Mais Franz s’en fout de tout cet argent. Il fait son job, il boit une bière, il se fait sucer, il est à Port Tropique comme il pourrait être dans n’importe quel bled des Tropiques.

dimanche 5 mars 2017

La Mélodie des Azukis

Sens-moi cette odeur...
Ecoute-moi ce chant...
La mélodie des azukis...

Laisse-toi emporter par un dorayaki.
Un délice, à Tokyo.
Trempe tes lèvres rouges cerise dans cette pâte de haricots rouges.
Une merveille. Un rêve éveillé.

Des yeux, des papilles, l'éveil.
J'ai les yeux qui pétillent devant ce petit bijou de la pâtisserie japonaise.
Des années que j'en rêvai, la pâtisserie Tomo m'a proposé ce rêve éveillé.
Chaque rêve a son prix, celui-ci ne fut pas donné, mais maintenant que j'ai mon dorayaki,
je vais pouvoir m'installer sur mon canapé, et laisser mon esprit vaguer dans les « Délices de Tokyo ». Et mon esprit vague, vague à l'âme, jusqu'au quartier des plaisirs, une geisha peignoir à demi-ouvert me verse de son saké. Des cloches sonnent, un temple d'à-côté, et me réveillent de ce plaisir divaguant, mon esprit s'évade vers d'autres délices. Plus culinaires ceux-là - bien que je mangerai bien sur les délices de ma geisha.

Un film de Naomi Kawase, forcément, je ne peux qu'être séduit. J'aime les choses simples, un dorayaki, une bière ou un flacon de saké et un conte culinaire. Une petite échoppe, qui paye pas de mine. Un type solitaire, devant son fourneau. Il prépare sa pâte à dorayaki, il la fourre de pâte de haricots rouges industrielle. SACRILEGE ! Heureusement une petite vieille est là pour lui apprendre, pour m'émouvoir, pour donner. Lui, il reçoit, il n'a pas l'habitude des autres, cela se voit, cela se sent, cette âme solitaire. Il est émouvant à sa façon. La vieille aussi. Bon, je ne te refais pas toute l'histoire, le film est extrêmement fidèle au roman de Durian Sukegawa.


jeudi 2 mars 2017

Les Fumées du Michigan

Le ciel est rose. Dans le genre saumon pas très frais, d’ailleurs l’odeur de ce saumon prend au nez, loin des parfums iodés de la moule de la voisine. Le ciel est aussi gris, comme la fumée de ma vie qui stagne autour, histoire de ne pas oublier que cette putain de vie n’est pas bleue. Le ciel n’est d’ailleurs jamais bleu. Dans cette ville, même la lune a abandonné son bleuté. Dans ma vie aussi. Bay City, à quelques miles de Flint et de ses usines d’automobiles qui éjectent leur fumée grise. J’y suffoque d’une adolescence marquée par les non-dits et le lourd passé de mes ancêtres. Mal-être, mal de vie dans le Michigan. Elle taille quelques pipes à défaut de croire en son avenir. Son avenir parti en fumée, trente ans plus tôt. Dans les cendres de ses grands-parents, en villégiature à Auschwitz. Je démarre mon périple dans une banlieue guère enivrante d’une plaine enfumée du Michigan et je me perds dans les fumées d’un camp de concentration. Tabarnak de bouquin. Je file au K-Mart du coin, acheter des épices à steak d’élan Crousset, un pack de bières au passage, je ne rêve plus de ciel bleu, peut-être encore d’hôtesse de l’air, la vie m’a abandonné, comme toute cette génération survivant des années soixante-dix.

« Sous le ciel de l’Amérique, la vie est impavide. A Bay City, je n’ai que la mort dans l’âme. Je me rêve pendue, découpée en morceaux, ou encore je me prends pour une Ophélie verte, chancie, retrouvée noyée au fond de la piscine bleue de ma tante. J’imagine mes suicides. J’invente mes morts. Il y en aura eu tant pendant ces dix-huit années passées à Bay City. Mais pour se brûler la cervelle ou se faire sauter le caisson, il faut quand même croire à la vie et lui donner une quelconque importance. A Bay City, je n’ai aucune raison d’exister. Encore moins de mourir. Le ciel est saumure, je l’avale chaque soir. J’espère m’empoisonner aux fumées âcres du Michigan. »