vendredi 30 décembre 2022

les Quatre Saisons de Vivaldisson

"J'aime bien m'allonger sur la banquette, dans le coin du salon, quand la pluie tambourine sur le toit et que j'étale sur moi la couverture en laine à carreaux. Parfois je contemple les ruisselets de pluie sur les vitres avant de fermer les yeux pour écouter. La pluie résonne différemment selon les régions. Celle d'ici est bien différente des trombes d'eau de l'est du pays. C'est comme le même air dans une tout autre orchestration."
 
Au bord de la mer.
Le vent, des larmes tombent du ciel, une pluie glaciale.
Des maisons noires, des flocons blancs.
Un soleil, éphémère.
Quatre saisons qui s’enchaînent, et un homme qui écoute Vivaldi, qui écoute le vent et la mer, qui écoute le silence de sa vie.
 
Il est assis, face à une table en bois rustique, une machine à écrire Olivetti posée dessus. Face à la mer et au vent, il laisse court à son imagination. Ses pensées aussi fugaces que l'espace dans sa maison dépouillée. Une maison au toit noir, aussi noire que le goudron une nuit sans lune. Une feuille blanche sur la machine, aussi blanche que la neige qui tombe en flocons d'hiver. Un hiver qui commence tôt, aussi tôt que la nuit dans la journée. Il cherche l'inspiration, le coup de la panne on dirait. Qu'est-ce qu'un écrivain a à raconter ? Ses nuits... Ses jours... Ses pensées.
 
"Le phare jette des étincelles la nuit quand je me réveille pour aller boire de l'eau. C'est un rayon rougeâtre qui jaillit au-dessus de la mer telle une langue de serpent." 
 

dimanche 25 décembre 2022

La Pluie de Gould


 « C'est comme s'enfoncer dans une forêt ébouriffée. Ou marcher au bord de la rivière. On arpente sa vie. On choisit un chemin. On s'y habitue. On tente de retenir la route. L'itinéraire. C'est normal, il faut un biais pour découvrir. Un plan. Le chemin devient familier. Rassurant. On élabore nos propres repères. A partir de ce que l'on connaît. Mais on ne connaît rien. Les vrais ignorants ignorent leur ignorance. C'est un peu comme voir le paysage par une petite, petite, toute petite fenêtre. Et finir par croire que ce paysage se limite à ce qu'on en perçoit par cette petite, petite, toute petite fenêtre. Au lieu d'essayer d'élargir la fenêtre. De casser les murs. On préfère réduire ce paysage. Penser qu'il n'est que ce que l'on en voit. S'en contenter. C'est plus confortable. Et puis un jour on se rend compte que le monde est plus grand que nos yeux. Et on reste là, perdus. Au bord du vertige. »

Ici ça va. Enfin c’est pas moi qui le dis, c’est Thomas qui l’affirme là-bas. Il vient de s’installer dans une maison abandonnée avec une cabane désarticulée. Avec sa femme Ema. La maison de son enfance. Et les voilà, le joli couple aux sourires insouciants, en train de retaper la baraque. Je regarde par la fenêtre, il pleut, ça sent bon l’herbe mouillée. J’espère qu’ils ont fini de réparer le toit.

Là-bas, ça va donc. De vieilles pierres, de vieilles malles. Et de vieux souvenirs qui resurgissent du passé. En même temps que la reconstruction d’une maison, c’est la reconstruction d’une vie qui se joue aussi. Et d’un couple…

« Elle sentait bon la bière et la sueur des femmes. »
 

lundi 19 décembre 2022

Le Pig's Eye


Classique. Le pick-up, la poussière et le juke-box illuminé. Ambiance country, ambiance Kentucky. Qui y est né y reste, telle serait la devise de l'état. Loin de toute civilisation, presque perdu au milieu d'un désert de poussière, des néons illuminent le bout de la route, rectiligne depuis des kilomètres de vide. Mais à des kilomètres du mythe, j'entends cette musique, je perçois cette odeur de T-Bone au grill, je vois même des volutes de fumées de cigarettes comme dans le temps on voyait le crépitement d'un feu de camp d'un camp sioux ou apache. Le Pig's Eye.   

"Tous les jours après le travail, je m'arrêtais au Pig's Eye, un bar avec de la pression pas chère, un billard et un juke-box. C'était le genre d'endroit où on pouvait se saouler tranquillement, parce que les flics avaient trop à faire avec les bars étudiants du centre-ville. Le plus gros connard du rade était le barman. Il aimait mettre les gens dehors. Au Pig, on pouvait fumer des pétards, on pouvait jouer au poker, on pouvait se battre, mais celui qui buvait trop était banni. Ça m'a toujours semblé bizarre - comme d'expulser quelqu'un d'un hôpital parce qu'il est malade."
 
Les portes du saloon s'ouvrent, des cris et des rires, de la sueur et des bonnets D. Je vois une dame, seule au comptoir, crinière brune longues jambes, elle parle à sa bière. Je m'assois à deux tabourets d'elle, je ne veux pas m'imposer. On me sert une bière, je la siffle, la bière. Pas la femme, ni la serveuse. De toute façon, je sais pas siffler. Je ne dis rien, je bois juste le regard porté sur la vie de cette Amérique profonde. Elle ouvre la conversation, à ma grande surprise, à son grand sourire. 
- C'est où, chez vous ?
- Kentucky.
- Quelle partie ?
- Celle que les gens quittent. 
Voilà, tout est dit. le Kentucky, il faut y être né pour y rester.
On se quitte sur un sourire, avant des larmes. Je remonte dans le pick-up, chevaucher la poussière de la nuit sur mon destrier rouillé.
 

samedi 10 décembre 2022

Un Goût dans la Bouche


J’ai comme un goût dans la bouche. Qui reste. Nauséeux. Je bois, je bois, je bois pour faire passer ce goût devenu ferreux. Bains de bouche à la Listerine. Mais rien n’y fait, ce goût semble indélébile, il ne s’efface pas de ma bouche, de ma tête. Je passe le visage sous l’eau, enlever tout ce sang au bord de ma bouche. Je reprends ma route, croise celle de Maren, seize ans, qui fuit aussi son « anomalie ». 

Elle est pareil, de la même veine, du même sang dirai-je de mon esprit cynique. Laissée par sa mère, qui n’arrive plus à s’occuper d’elle, à la protéger, elle traverse les Etats-Unis à la recherche de son père qu’elle n’a jamais connu. Comprendre pourquoi. Pourquoi il est parti. Pourquoi elle est comme ça. Pourquoi je bois de la Listerine.

Comme quoi, me diras-tu. A la recherche de normalité dans cette société-là. Elle n’est pas « normale ». Mais elle découvre qu’elle n’est pas seule. Sur sa route, subitement livrée à elle-même, elle monte dans des pick-up, elle rencontre des gens qui sont comme elle. Des gens qui bouffent d’autres gens. Chacun ses motivations. Ceux qui mangent les vieux, ceux qui dévorent les personnes malades ou en fin de vie, ceux qui bouffent les méchants… Et elle. Son premier festin, sa baby-sitter… Et puis des camarades de classe ou de camp d’été…

mercredi 7 décembre 2022

A l'ombre des Bambous


"Nous entrons dans le bosquet de bambous. La neige a fondu. Entre les vieilles plantes vert grisâtre, Fukiko remarque les camélias rouges au cœur jaune. Elle murmure :
- Le rouge et le gris, comme la lumière et l'ombre..."
 
Comme toujours avec Aki Shimazaki, je me retrouve plongé dès son titre dans mes cours de biologie végétale à la recherche de la pétasite du Japon, je passe sous silence la classification latine de l'espèce. Comme j'aime bien le silence et que je n'étais pas des plus assidus dans cette matière ça m'arrange un peu. Bref, revenons à la lumière du récit, ou plutôt à l'ombre du chardon.
 
Me promenant dans cette forêt de bambous, à la cueillette de ces pétasites - tu sens déjà ce délicieux parfum de fuki-miso mijotant dans la marmite -, je croise au loin ce couple, une femme avec une femme, Mistuo et Fukiko, qui se tiennent la main. L'image est belle dans ce Japon, où l’homosexualité est encore un sujet "légèrement" tabou, encore plus dans cette campagne reculée loin des quartiers tintamarres de Shibuya ou de Harajuku. Est-ce la présence des bambous,  cette ambiance végétale qui m'entoure, mais je perçois ce parfum d'amour et de retenu. Juste une main dans la main, pas besoin d'être plus démonstratif, l'amour perçu dans ce silence contenu que seule une mélodie de Bach ou de Schubert viendrait imperceptiblement bercer.
 

samedi 3 décembre 2022

Les Escales de Nad' et du Bison : Finlande

Lieu : Heinola, Finlande
Lever du soleil : 8h52  | Coucher du soleil : 15h15
Décalage horaire : +1h
Météo : -4° ressenti -6°. Ciel très nuageux, faibles chutes de neige.
Coordonnée GPS : 61°12’10.18 N / 26°1’56.37 E
Musique : Every Time I Die, Children of Bodom / Thunderstruck, AC/DC
Un Verre au Comptoir : la Bière du Démon




Il m’est plus d’une fois arrivée de m’imaginer sur une île déserte. Celle de Västerbådan, entre la Finlande et la Suède, dans le golfe de Botnie, se prêterait bien à mes rêveries. Amarrée sur la grève, quelques coups de rames me mèneraient à Kvarken, l'archipel du silence. En poussant l’audace de mes songes encore un peu loin, je m’y trouverais avec Tove Jansson et l’un de ses comparses, Pipo, le meilleur ami de Moomin. Le regard porté à l’horizon, il nous jouerait des airs d’harmonica. Le rêve est de loin le plus fidèle des compagnons de route…

...Bonjour, vous êtes sur les ondes de Yle Radio Suomi, ne quittez pas dans quelques minutes en direct de Heinola, nous vous présenterons le grand évènement sportif du week-end, le championnat du monde de Sauna. Retrouvez-nous juste après cet instant de communion avec Children of Bodom en concert au Tuska Open Air Metal Festival...

jeudi 1 décembre 2022

Les Naïades


Dino Scala est ce qu'on peut considérer comme un gigolo au Grand-Duché. Il se tape une vieille, le double de son âge au minimum. Vieille et friquée, je n'ai pas dit fripée, mais rien de bien anormal on est tout de même au Luxembourg, pays de la haute finance et de la bourgeoisie intègre. Mais voilà, tout plaisir a sa fin, et la sienne sera de devoir filer dans le Sud, au pays des cigales qui chialent toute la nuit, officiellement pour prendre un peu de recul avec les gaufres luxembourgeoises. Le yacht de la vieille l'attend d'ailleurs dans la baie de Saint Tropez. Un peu de recul sur leur histoire. Mais comment veux-tu que je t'...
 
Et là, imagine le topo, le fait improbable pour ne pas dire impensable, même les allemands n'oseraient jamais l'imaginer, sa Mercedes C63 AMG, Black Series, tombe en rade dans la rade de La Ciotat. Direction le garage et en attendant un bungalow au camping "Les Naïades", Dino y fera la connaissance de son voisin Charles Desservy, un célèbre écrivain au Prix Goncourt tout de même. Autour, des Quechua et des campeurs aux packs de Kronenbourg. Alors que le Charles lui sort les flûtes et le seau à Champagne. Le gars, il sait vivre, y'a pas que le Spritz ou le sous-mojito allégé en rhum même au pays du peuple.     

lundi 28 novembre 2022

Marx vend de la Beuh dans les Favelas


"Un territoire vaste, localisé à l'extrême est de Porto Alegre : un territoire qui, tout en se traînant dans un processus d'urbanisation interminable, présentait encore de nombreux vestiges de son lointain passé rural ; un territoire où il était encore possible de voir, à l’œil nu, la forêt atlantique partir en fumée petit à petit, où il était encore possible de suivre, en temps réel, l'action corrosive des métastases civilisatrices apportées par les caravelles plus d'un demi-millénaire auparavant; un territoire couvert de collines, parmi lesquelles montait, descendait et zigzaguait, montait, descendait et zigzaguait, comme sur des montagnes russes géantes, la route Joao de Oliveira Remião. Voilà comment on pouvait décrire l'un des plus grands quartiers de la capitale gaúcha : Lomba do Pinheiro."
 
Imagine un supermarché, aux abords des favelas. Dedans, deux rayonnistes qui triment toute la journée. Pourquoi ? Pour un salaire de misérables. A la fin du mois comme à la fin de la journée, ils n'ont même pas assez pour vivre normalement. Je ne te parle pas encore de richesse, juste de décence. Simplement vivre en fonction du travail fourni. Pedro, alias le Marx de Porto Alegre, a une idée bien précise de ce que dois être le travail, surtout son égalité autant des tâches que des gains. Il y a les bourgeois d'un côté, les pauvres de l'autre. Mais si tu réfléchis bien, le bourgeois ne veut devenir qu'encore plus bourgeois, et le pauvre ne rêve que de devenir un jour bourgeois et écraser ainsi à son tour les pauvres de son argent et de son pouvoir. Mais pas Pedro. L'égalité, avant tout. Y compris dans le partage des profits. Salauds de bourgeois. Salauds de pauvres ! 
 

jeudi 24 novembre 2022

les Fugues de Nico


 Il y a Nico et moi, sa grande sœur. Nico c’est mon petit frère. Et au-dessous ou à côté ou ailleurs, si l’on veut faire des liens généalogiques, maman et notre père. C’est donc plus l’histoire entre Nico et notre « père ». C’est plus d’ailleurs une histoire d’ambiance pseudo-familiale, de liens rompus, et d’atmosphère étouffante voir oppressante. Nico a d’ailleurs fugué. Une nouvelle fois, devrais-je dire. C’est pas que c’est une habitude, mais c’est pas la première fois non plus. Que dire de plus, d’ailleurs.

« J'aimais l'idée de m'enfermer dans la salle de bains, de me recroqueviller au fond de la baignoire, sous le mitigeur dernier cri, mais j'avais peur de ne plus pouvoir en sortir, incapable d'ouvrir la porte qui me séparait de mon père, incapable d'articuler les quelques mots nécessaires au bon déroulement du week-end. »

Nico. Une enfance meurtrie par un père autoritaire et maltraitant. Nico. Avec ses frêles épaules et son esprit rebelle. Il subit les remontrances et les châtiments, sans rien dire, par fierté même. Une façon de se forger une carapace. De s’endurcir. De se muscler intérieurement. Vu de l’extérieur, c’est aussi un moyen de s’isoler et de s’échapper de ce carcan familial. Je parle de notre père mais dois-je mentionner dans l’histoire notre mère… Je pense qu’il lui en veut également. Médecin généraliste, elle s’occupe de ses patients avant tout, et surtout. Du coup, elle s’est mise à l’écart de notre famille, et par moment, je me demande si elle ne nous prend pas plus comme des patients plutôt que ses enfants. Elle a abandonné sa vie de couple. Elle a jeté l’éponge sur ses enfants aussi. Du moins, c’est mon sentiment.

dimanche 20 novembre 2022

Les Empanadas de Violeta

«Alvaro Vives part de bonne heure tous les dimanches pour aller chercher les empanadas chez Violeta. Il aime le lent trajet toujours par les mêmes rues jusqu'à l'autre bout de la ville, non seulement pour la paix que procure une habitude ininterrompue, mais aussi parce que les empanadas de Violeta sont véritablement magistrales - un déjeuner dominical chez Chepa et Alvaro Vives, répètent les amis et parents invités, n'est pas un déjeuner sans les empanadas de Violetta : cette pâte parfumée, légère, et la farce juteuse, cuisinée avec un équilibre très étudié. Oui, après avoir mangé une empanada de la Violeta des Vives, à côté toute autre semble faite de chiffons mous et farcie d'un hachis puant le cadavre. »     
 
Ce dimanche-là, comme tous les autres dimanches, le jour du seigneur et des empanadas. Les femmes sont parties à la messe, les hommes au bistrot. Le soleil tape, la sueur dégouline déjà de sous ma chemise. Même la poussière a la flemme de s'envoler et reste collée à la route. Je m'installe devant la télévision, mieux que la messe, le feuilleton, façon télénovelas, épisode 69 qui raconte des histoires d'amour, des histoires de sexe et surtout des histoires d'empanadas. Et à propos d'empanadas, celles de Violetta sont si exquises qu'elles mettraient à genoux le curé de la paroisse avant son vin de messe. Elles parfument la cuisine jusqu'aux étages regroupant les chambres qui d'habitude présentent plus des odeurs de naphtaline. Mais le dimanche est un jour particulier, et ce parfum quel délice, j'imagine le jus de la viande qui coule dans ma bouche lorsque je mords dedans et englobe mon palais... C'est chaud, c'est exquis, c'est divin. Comme une bouteille de vin. C'est brûlant, c'est sublime, c'est divin. Comme un entrelacement de jambes et de sexes entre les draps blancs.
 

jeudi 17 novembre 2022

A poil


«
 
Il y a chez l'homme qui construit sa propre maison un peu de cet esprit d'à-propos que l'on trouve chez l'oiseau qui construit son propre nid. Si les hommes construisaient de leurs propres mains leurs demeures, et se procuraient la nourriture pour eux-mêmes comme pour leur famille, simplement et honnêtement, qui sait si la faculté poétique ne se développerait pas universellement, tout comme les oiseaux universellement chantent lorsqu'ils s'y trouvent invités ? »

C’est au printemps de l’an de grâce 1845 que je me retrouve, ici, seul dans les bois, à Concord, Massachussetts. Un lieu parlant pour tout amateur de littérature américaine. Une cabane en bois, construite de ses propres mains, au bord de l’étang de Walden. D’abord, la hache, je la pose à mes pieds. Il me faut en premier lieu comprendre le lieu. Regarder le soleil, regarder la lune bleue, sentir le vent et ses fragrances cheminées afin de définir les délimitations de son petit lopin sur lequel terrasser sa nouvelle vie. Maintenant, je prends ma hache, relève les manches de ma chemise à carreaux, en mode bucheron même en c’temps-là, et commence à couper quelques arbres. Mais avant, je sens leur écorce, je caresse leur mousse, je parle à leur sève, pour demander poliment si je peux l’abattre, son cycle est ainsi fait, dans le respect des bonnes manières, vous avez-dit une bière ? Au bout d’une heure, et d’un soleil brillant, le corps en sueur, j’enlève ma chemise, attention les filles, ne vous évanouissez pas tout de suite vous n'avez pas fini de me lire, afin de continuer mon dur labeur. Car de tout temps, tout labeur se fait dans la difficulté et la sueur. 

dimanche 13 novembre 2022

Dans La Sloche


Elle se voit comme la Antigone de Sophocle, pourtant autour d’elle, ses connaissances la voient comme la Antigone de Robert Laflamme, ce piètre écrivain québécois qui fait chavirer le cœur et l’esprit de milliers de lecteurs québécois. Elle n’en peut plus, elle, Sapho-Didon Apostasias. On lui parle toujours de Laflamme, de son Antigone, son flagrant portrait, de tous ces avatars de Réjean Ducharme, de tous ces pseudos-écrivains du Québec. Elle n’en peut plus du Québec ? Mais ça va aller. Ou pas. Parce qu’elle veut en finir. A la place de « ça va aller », ça pourrait s’appeler j’ai la haine, j’ai la rage, je veux mourir… Je pourrais rajouter plein de sous-titres mais je retiens surtout cette notion de rage et de désespoir, cette incessante envie d’en finir quand on n’est plus à sa place, quand on ne trouve plus sa place dans cette société-là. Et de ça, je le comprends parfaitement. La haine. Je la comprends parfaitement. Le dégoût. Même dans les flaques de sloche.

« Montréal en mars est parfois comme une caresse. Je pose avec délectation mes pieds dans les grandes flaques de sloche, je me laisse soulever par la douceur de l'air plus doux et j’éclabousse mon grand manteau noir en gloussant de plaisir. C'est le dégel qui, cette année, nous vient en avance, comme un messie. Que m'annonce cette fonte du monde qui m'entoure ? Que s'écoule-t-il dans ce ruissellement des eaux ? Qu'advient-il de moi au printemps ? Qu'arrive-t-il aux filles qui n'ont plus rien à perdre ? Aux filles perdues dans les rues de Montréal où il est impossible de ne pas trouver son chemin ? Que deviennent les Didon québécoises ou les Antigone des cieux floconneux ? »

mardi 8 novembre 2022

Saudade

Une fille se promène dans les rues de Lisbonne, sur les pentes de l'Alfama. La fille du chanteur, c'est ainsi qu'on la nomme, qu'elle se décrit. Elle n'a pas eu d'autres existences que celle-là. On lui annonce son père mort, disparu sans laisser de traces. On lui montre une photo, légèrement floue. Son père, chanteur de rue, dans une rue de Lisbonne. Elle qui n'a jamais eu de vie, de mère, de père. Elle qui a toujours été dans l'ombre de cette homme, idole adulée avant de devenir ermite retiré.
 
"À l'ombre des arbres, des types en sandales, bermudas et tee-shirts, cheveux en pagaille et barbe de six jours, sirotent des rhums arrangés en attendant la fin du monde, sans inquiétude apparente. Je prends place et les imite, me laisse bercer par l'alcool. Les lèvres couvertes de sucre et de vanille, me noie dans la douceur de leur langue, dont je ne saisis rien, pas le moindre mot. Je regarde l'heure. Comme hier la nuit sera longue à venir. Rien ne la presse. Aucun agenda, aucune occupation."
 
Saudade. Une musique mélancolique, triste et chaloupée, se coule le long du Tage. J'y retrouve mes vieilles idoles, mon adolescence. Sur les pentes escarpées de la ville, j'aperçois Daniel Darc et Alain Bashung. évaporés dans la brume. Au détour d'un chapelle, il me semble croiser l'ombre d'une Patti Smith et d'un Bertrand Cantat. La nuit, les airs  s'improvisent. Appuyée contre un réverbère, Marianne Faithfull y fume sa cigarette, sous la lumière bleutée et incandescente de la lune. Dans les rues de Lisbonne, mes pas me guident vers tous ces bars et restaurants, mon esprit flotte dans le courant de cette musique, une guitare, un fado, l'ombre de mes souvenirs. Je plonge dans la nuit blanche, comme du haut d'une falaise. Plus rien ne s'oppose à la nuit.

samedi 5 novembre 2022

David Bowie est Mort

 
Romy a 16 ans. Dans sa chambre, des posters de son idole, David Bowie, tapissent les murs de son refuge. En boule sur son lit, son chat Bowie, de plus en plus solitaire. Un peu boulotte, un peu myope, histoire de ne pas dire trop, elle se sent bien dans sa peau, malgré le ravage de l'adolescence, garde le sourire dans une famille que le regard des autres qualifierait de marginal. Un seul ami, mais parfois cela suffit. A la nuit tombée, lorsque les étoiles commencent à s'allumer, une musique vient bercer son crépuscule. Un compte à rebours entonné des milliers de fois, Major Tom est paré au décollage. Ses nuits avec Bowie. Des nuits où elle se confie, à son chat Bowie et à son idole, David. Des nuits où les rêves s'invitent dans les draps de l'adolescente, attendant l'odeur du chocolat chaud venu emplir le Domaine dans la brume du petit matin.
 
Elle n'ira pas à l'école ce matin. Elle ne comprend pas pourquoi mais comment refuser à un tel ordre de sa maman, si proche et si aimante. Si belle aussi. La police vient, visite de routine - ou pas. Interrogatoire informel au début, jusqu'à ce que la situation s'aggrave. Une élève du lycée a été retrouvée ligotée et en hypothermie dans le cabanon de son jardin. Elle décédera par la suite. L'enquête se poursuit. Qui en voulait à la méchante Greta Sanchez, la tortionnaire du lycée ? La liste des suspects pourrait être longue mais Romy et son entourage figure en pôle position, Romy étant la souffre-douleur préférée de Greta...  
 

dimanche 30 octobre 2022

Le Testament de la Rue Sherbrooke


Un. Deux. Trois… J’ai compté, comme dans une fin de vie, d’ailleurs ma vie sent déjà la fin, un parfum de pisse et de mort qui colle à ma peau, le nombre de livres que j’ai lu de Russell Banks. Ce « Oh, Canada » fut donc mon dixième roman de cet auteur, à noter dans mon testament, au cas où, je les lègue à qui de droit ou à qui en veut, d’ailleurs j’ai déjà commencé le legs de certains d’entre eux. Le testament de la rue Sherbrooke.

« Plus tôt, une heure avant d'aller diner, Fife et son beau-père s'étaient installés dans des fauteuils en rotin, dans la véranda protégée par un grillage écran, sous des ventilateurs qui tournaient lentement au plafond, et ils avaient fumé et bu du bourbon avec de l'eau et des glaçons dans de grands et lourds verres en cristal. Loin des dames, comme aime à dire Benjamin. C'est une coutume qu'on honore chaque fois que Fife et Alicia viennent à Richmond, surtout récemment, du fait qu'Alicia enceinte évite l'alcool et le tabac et que Jessie consacre l'heure du cocktail à superviser le dîner de Cornel, puis son bain et les préparatifs de son coucher. Fife fume sa pipe et Benjamin un cigare. Fife trouve agréable l'odeur du tabac qui brûle, mêlée aux arômes qui flottent à travers les parois grillagées de la véranda et viennent des buissons de myrique, de viorne et d'itéa de Virginie disposés en rangs et massifs soigneusement entretenus près de la maison et plus loin, au bord de la large pelouse vert menthe. Il aime le son des glaçons qui tintent contre le cristal, le poids disproportionné du verre frais dans sa main, l'odeur de sucre brûlé du bourbon quand il le porte à ses lèvres. Il aime regarder le soleil tomber lentement vers les chênes verts de l'autre côté de la James River et voir l'eau passer au noir satiné quand le soleil disparaît derrière la silhouette des arbres. »

dimanche 23 octobre 2022

Sous le chapiteau, de la poussière

Des Cow-boys, des Indiens et des bisons – pas morts – sous le toit d’un grand chapiteau. Il parcourt la France entière, de Marseille à Nancy. Il vient de Londres, de Vienne ou de Florence. Le Wild West Show en tournée mondiale. Les hommes se précipitent pour voir ces sauvages indiens, des plumes sur la tête. Les enfants se cachent derrière les gradins pour regarder les cow-boys tirer sur les Indiens et violer les Indiennes. Un parc à thème itinérant, le grand cirque où les éléphants et autres tigres sont remplacés par des chevaux et des bisons – sages, et les fouets par des Winchester. Au sommet du show, la rencontre entre Buffalo Bill et Sitting Bull.

Sous le chapiteau, de la poussière. Des sabots des chevaux et des bisons, sur le parterre de terre aménagé en l’occasion de cette festivité, la poussière se soulève et s’envole. Le rythme sourd des sabots qui cognent la terre comme ma tempe. Quelle est triste cette terre, cette poussière d’antan, où des gouttes de sang s’y trouve mêler, du sang d’hommes, du sang de bêtes. Une odeur de poudre et de sueur embaume le chapiteau, comme les grandes plaines de l’Ouest sauvage. Les yeux piquent, par la fumée des carabines, par les incendies des terres, par les camps d’indiens brûlés. 

« Au petit matin, le 15 décembre 1890, une quarantaine de policiers indiens avancèrent au petit trot jusqu'à environ un kilomètre et demi du camp de Sitting Bull, puis entrèrent au galop dans le village. Tout le monde dormait. Ah ! que nous aimons le petit matin, la fraîcheur de l'air, les grandes lames de lumière sur la terre pierreuse. Mais ce matin- là, ce n'étaient pas les oiseaux qui chantaient, ce n'était pas la jeune fille qui faisait sa toilette en fredonnant dans la cabane voisine, c'étaient les sabots de quarante-trois chevaux qu'on entendait dans un demi-sommeil. Le profit, le respect du pouvoir répondent à la voix de Dieu. L'Histoire est morte. Il n'y a plus que des punaises. Le bruit de l'iniquité en mouvement se reconnait. Le général Miles est un faiseur d'exemple, un technicien de la discipline. Voici le petit jour. On est devant la cabane du chef indien. Le progrès n'a pas de temps à perdre. Soleil. L'air est glacé. Les bouches soufflent des colonnes de buée. On crie. Sitting Bull sort de sa cabane. Sa figure est comme délavée ; le passé nous arrive sans couleur. »

dimanche 16 octobre 2022

Le Hameau perdu dans la Brume

A l'aube de cette excursion littéraire, je m'enfonce dans la forêt. Peu importe son nom, peu m'importe son lieu, j'erre au milieu des fougères et d'arbres centenaires. De temps en temps, je vois un chemin qui serpente vers un minuscule temple, ou un jizo semé là, presque étouffé par la végétation luxuriante de ces chemins. L'aurore amène ses couleurs comme le vent charrie ses odeurs. La nuit s'estompe, certains coins de la forêt restent encore plongés dans le noir absolu, comme si un peintre s'était amusé à les calligraphier d'encre de Chine.
 
"Les couleurs de la nuit adhéraient aux fenêtres, comme du minerai noir, recelant néanmoins les premiers signes discrets du matin." 
 
Entre deux méandres du sentier solitaire emprunté, je fais une pause, pose mon sac-à-dos, et décapsule une bière pour étancher ma soif matinal, m'essuyer le front de cette sueur moite qui suinte par les pores de mon corps. Reprendre mon souffle avant de retrouver mon chemin, une pluie fine dégoulinant du ciel obscur. Et là, le souffle se coupe, de nouveau. Perdu dans les montagnes, je vois étrangement un hameau suspendu au milieu de la vallée. Quelques maisons brinquebalantes en bois, des toits de mousse, une rivière et son moulin un peu plus en retrait. Des habitants vivent donc dans cet endroit si reculé, si loin de tout, alors qu'il n'y a même pas encore l'eau courante... J'ai entendu parler d'un projet venant à l'amener jusqu'ici... ou du moins à noyer le village pour construire un barrage en amont. Peut-être même que les travaux ont déjà commencé sur un autre versant de la montagne, j'entends au loin des bruits de tronçonneuses. Le convoi de l'eau serait donc en marche...
 

vendredi 7 octobre 2022

Les Cochons de Dona Mercedes

La Cadillac soulève un vent de poussière dans ce désert de rocaille et de soleil brûlant. Quelques orangers, laissés à l'abandon, parfument cette Andalousie sauvage. De son mauve rutilant, la voiture chevauche les chemins de cailloux. Quand tout s'arrête, moteur cassé ou je ne sais quoi - après tout je suis pas mécano, je suis juste un lecteur qui boit dans la poussière de sa vie une Rince Cochon, César et Couicou continuent leur route dans la poussière de leurs santiags. Le prochain village doit bien être à plus de 40 bornes... Tel un mirage survenu de nulle part, une hacienda s'offre à leurs regards. Dring dring, ils entrent, en bons représentants de commerce, un pied dedans et la maison leur appartient. Dona Mercedes, belle matrone, vit là depuis des lustres de poussière, avec sa fille, jeune pucelle au doux nom de Carnelle, et ses deux fils, une montagne nommée Attila et un simplet Goupil, sans oublier le vieux baveux dans sa chaise roulante. Heureux de se retrouver ici, au milieu de ces si ravissants sourires andalous, Dona Mercedes est à l'image de l'hospitalité de ce coin, à l'abri des regards et des conventions, reculé du monde civilisé. 
 
Et pour se mettre en appétit, le Buffet Campagnard. Magistral, gargantuesque, que j'accompagnerai bien d'un verre de vin rouge, aussi charnu que le cul de la maîtresse de maison.
 
"La table paraissait littéralement surgie d'un conte de fées.
Un cochon de lait confit, la gueule envahie de verdure, le corps rosâtre découpé en grosses tranches jusqu'à l'arrière-train, trônait au centre. Autour étaient disposées une dizaine de terrines grandes comme des soupières contenant divers pâtés, des saucissons, des andouilles, des crépinettes, un jambon fumé entier, des têtes et des pieds de porc en vinaigrette...
Une montagne de tranches de gros pain gris et deux jarres de terre cuite emplies de saindoux complétaient le festin."
 

dimanche 2 octobre 2022

Le Canal de Conrad

Ô toi qui a lu le « Nostromo » de Joseph Conrad, tu rentreras de plein pied dans la boue de ce roman. Et même si tes sabots ne sont pas encore crottés par cette première aventure, le regard neuf porté vers cet imaginaire, tu t’engouffreras dans cette « Histoire secrète du Costaguana » comme certains enfouissent leur tête dans un tonneau de vieux rhum colombien. Vierge ou presque de Conrad (au cœur des ténèbres), je suis. Vierge ou presque de Vasquez (le bruit des choses qui tombent), je suis également. Mais parce qu’il faut vivre, je m’enfonce dans la forêt vierge, moite, humide, boueuse, des moustiques aussi gros que des éléphants. Dans cette jungle verdoyante et hurlante, des cris de détresse, animal ou humain, je pars à la grande Aventure, celle qui transporte une âme, transforme un pays. Aux prémices, il y a deux hommes, don Miguel Felipe Rodrigo Lázaro del Niño Jesús Altamirano et Teodor Józef Konrad Korzeniowski, plus communément appelé Miguel Altaminaro et Joseph Conrad, le journaliste détenteur de la vérité face à l’écrivain-marin usurpateur, car n’allez pas croire un traitre mot de ce Nostromo…

« Mon histoire commence en février 1820, cinq mois après l'entrée victorieuse de Simón Bolívar dans la capitale de mon pays libéré de fraîche date. Toute histoire a un père, et celle-ci commence avec la naissance du mien, don Miguel Felipe Rodrigo Lázaro del Niño Jesús Altamirano. Connu de ses amis comme le Dernier Homme de la Renaissance, Miguel Altamirano est né à Santa Fe de Bogotá, ville schizophrène que j'appellerai désormais indistinctement Santa Fe, Bogotá ou Cette Foutue Ville. Au moment même où ma grand-mère tirait violemment les cheveux de la sage-femme et poussait des cris qui épouvantaient les esclaves, à quelques pas de là, on édictait la loi qui permit à Bolívar, en qualité de père de la patrie, de choisir le nom de ce pays tout juste sorti du four et de le baptiser solennellement. La république de Colombie - pays schizophrène appelé par la suite Nouvelle-Grenade, puis Etats-Unis de Colombie et même Ce Foutu Pays - était donc encore un nourrisson, et les cadavres des Espagnols fusillés n'avaient pas eu le temps de refroidir. Mais hormis la cérémonie superflue de ce baptême, nul autre fait historique ne marque ou signale la naissance de mon père. Certes, j'avoue avoir été tenté de la faire correspondre au jour de l'indépendance. Il m'aurait suffi pour ce faire de la reculer de quelques mois à peine. (Je ne peux m’empêcher à présent de me demander si cela aurait dérangé quelqu'un ou même si quelqu'un s'en serait aperçu.) En vous faisant cet aveu, j'espère ne pas démériter de votre confiance. Chers lecteurs et jurés, je sais que je suis enclin au révisionnisme et à la mythographie et qu'il m'arrive de m'égarer, mais je reviens toujours au bercail narratif, aux règles complexes de l'exactitude et de la véracité. »

vendredi 30 septembre 2022

Femme Lumière

« La Maison rouge de mes parents est construite à l'orée d'une pinède, beaucoup plus vieille qu'eux.
Je suis petite encore quand ils s'y installent.
Je ne sais pas que cette terre-là deviendra la mienne.
Mais mes doigts se l'approprient déjà, grattant la terre, lui confiant mes morts.
Une douzaine de cochons d'Inde, mes chats, puis mes grands-parents s'y déposent un à un, chargeant le champ de leurs mémoires, nourrissant les trèfles de leurs souvenirs. »


Cela ne t’a probablement pas échappé, mais il y a quelques mois, une nouvelle ère à démarrer, celle d’un virus et d’une pandémie. Oublions donc tout ça, pendant quelques minutes, pendant quelques pages. Pourtant, nous y sommes en pleine pandémie, confinés chez soi. Mais au lieu d’un appartement, de la rue Sherbrooke ou d’ailleurs de Montréal, je me retrouve en pleine forêt. Et là, j’oublie tout, même ce maudit virus et je plonge les yeux fermés, le cœur ouvert dans la poésie de la nature. Calisse que c’est beau…  

« J'attrape une serviette dans un geste quotidien et je descends d'un pas encore endormi vers la rivière. C'est mon entrée dans la journée, mon plongeon matinal, qui équivaut à dix espressos. Je me déshabille, je glisse un pied dans la boue, puis mon corps en entier dans l'eau glacée. J'ouvre les yeux sous l'eau pour regarder le ciel. J'aime le voir de là.
Quelque chose frôle ma jambe. C'est gros. Je sors ma tête de l'eau. Un castor me fixe.
On ne bouge pas, ni lui ni moi. Il est dans ma bulle, clairement. Et je suis dans la sienne. Ni l'un ni l'autre n'abdique. Il ne semble pas avoir peur. Il plonge à nouveau près de moi et effleure ma cuisse nue. J'immerge ma tête sous l'eau et le cherche du regard. Je nage doucement, on est maintenant face à face. Je pourrais à cet instant prendre sa place. Habiter là en bordure du courant, m'y établir. Vivre entre des murs d'arbres tissés et le bassin clair du ruisseau.
Comme je l'imagine mal aller faire des tartines aux enfants, je me décide à sortir. Je frissonne. Enroulée dans ma serviette, je le vois s'enfouir à l'abri du rocher. Je crois qu'on peut dire qu’on s'est rencontrés.
Je remonte vers la Maison bleue plus chanceuse que quand je l'ai quittée. »


dimanche 25 septembre 2022

L'Ange Gabriel

Il était une fois... un joli conte de fée... Et comme tout conte de fée, une jolie fée. Et dans le ventre de la fée, un bébé... Jusqu'ici, tout va bien. Un jour, naquit donc l'enfant, l'ange Gabriel. Avec un prénom comme ça, il ne peut effectivement qu'être angélique. Je ne sais pas ce que tu penses de moi, peu importe j'aurais tendance à dire, je ne vaux pas le coup qu'on s'épanche sur mon cas, mais crois-tu que je sois le genre à lire des contes de fée... Alors, oui, Gabriel est l'unique fils d'une femme magnifiquement belle, mais à la vie trop éphémère pour notre petit ange qui se retrouve rapidement esseulé au milieu de ses silences, ses démons, ses pulsions.
 
Et pendant ce temps-là, je fredonne, Gabriel-le- Tu brûles mon esprit, ton amour étrangle ma vie Et l'enfer Ouais, devient comme un espoir car dans tes mains je meurs chaque soir... Au masculin, prémonitoire.
 
"Elle pleure tout bas, noyée et brûlée à chacune de ses toux. Dans sa tête se mêlent les odeurs fades et âcres de sperme et de bile. Gabriel laisse tomber un bras en travers du petit ventre plat, en signe de tendresse, de paix demandée. Avec une sorte d'inconscience insolente, de légèreté enfantine, il lui fait même un sourire. Et elle aurait envie de le blesser dans son orgueil, de l'envoyer balader en trouvant les mots qui le réduiraient à une poussière, une minuscule poussière de monstre. Mais elle n'est qu'épuisement dans tout ce corps allongé, sa misère, sa solitude, sa déveine, son rêve cassé, elle en crèvera."  

jeudi 22 septembre 2022

Cool Jazz

 « Je me rappelle un ciel matinal blond comme de la cendre, un vent chaud qui sentait le charbon et les feuilles de bouleau. La route muette qui se déroulait devant nous. Chip a entrouvert sa fenêtre et, à sentir toute cette poussière, j'ai cru que j'allais pleurer. Je me suis contenté de serrer les paupières, d'enfouir ma figure dans ma veste. »

Berlin, 1989. C’est la chute du mur. Une projection festive, un documentaire sur un groupe de jazz qui fit un disque d’anthologie, 3 minutes et 33 secondes d’émotions et de souffle. Sid, Chip et Hierro, deux noirs de Baltimore et un métis allemand. D’ailleurs Wynton Marsalis sera même présent dans la salle pour applaudir à la projection et à la mémoire de ce trio éphémère. Sid et Chip arriveront sur un tapis rouge, les jambes flasques et tremblotantes par l’âge, la peur…  

Berlin, 1939. Les rues sont devenues grises, les nuits sombres. Il y a encore quelque mois, cela groovait dans les petits cabarets. La jeunesse aryenne s’encanaillait dans cette effervescence presque sauvage, faite par des sauvages… Sid à la basse, Chip à la batterie et le jeune Hierro à la trompette, dans une ambiance enfumée. Deux noirs et un métis allemand quand Goebbels interdit cette « musique nègre », tu imagines le tableau. Nos trois musicos tentent la fuite, vers Paris où ils y croisent un certain Louis Armstrong, la grande vedette de ces temps-là, et ces 3 minutes 33 secondes.  

jeudi 15 septembre 2022

Le Carnet Bleu


Une nuit, je me réveille tout en sueur. Le cœur battant d'un rythme si effréné que
même John Bonham n'arriverait pas à suivre le tempo, j'avais l'impression de revenir de la mort. Sans lunettes noires, est-ce cette lumière blanche et éblouissante qui m'a fait rebrousser chemin. A moins que ça soit l'odeur d'un bourbon 15 ans d'âge qu'on agitait sous mes narines qui m'a attiré de l'autre côté de ce long couloir sombre. Toujours est-il que si je vous écris, c'est que je suis revenu parmi vous. Pour le meilleur ou pour le pire. Tout dépend de l'inspiration. Justement en panne, j'erre dans les rues de Brooklyn, le souffle court, la pression qui monte. Même pas un bar d'ouvert, pour se prendre une pression et libérer la mousse de son fût métallique. A quoi ça sert que je rentre chez moi, m'installer devant un clavier où les lettres ne se bataillent même plus entre elles pour s'afficher à l'écran. Se servir un verre, alors... Alors, j'erre, je dérive dans cette putain de vie, sans plus aucun but, si ce n'est boire ou écrire... Sous ce ciel gris.
 
"Le ciel avait la couleur du ciment : nuages gris, air gris, petite pluie grise portée par des bouffées de vent gris."
 
Au bout de l'errance, je découvre une minuscule boutique encastrée entre deux immeubles délabrés. La papeterie de Maître Chang, rêve d'un chinois en Amérique. Je pénètre l'antre obscure, faible lumière qui me fait m'interroger sur l'ouverture d'un tel magasin perdu dans ce quartier. Pourquoi je ne l'avais jamais vu ? Suis-je rester si longtemps dans le noir à attendre la mort ? M. Chang me rassure, devant ma mine usée, son rideau de fer ne s'est ouvert qu'hier. Je lui prends, subjugué par sa couverture en moleskine et la douceur de ses pages, un carnet bleu. D'un bleu presque gris sous ce ciel du jour obscur.  
 

jeudi 8 septembre 2022

Ambiancer, Marabouter


Trois ans de taule pour une bagarre, c'est cher payé même en Francs CFA. Enfin bon, il est temps de tourner la page. Sauf que Solo, c'est son nom, il aime bien ambiancer à la tombée de la nuit, caresser la croupe des gazelles, mais pour ça il faut aussi de la thune. Alors Solo doit replonger dans ses fréquentations, son cousin Tito qui lui a tout appris et qui lui demande juste de voler une caisse, de passer par l'essenserie pour remplir le réservoir et de l'attendre... Une histoire simple, un coup à se renflouer rapidement. D'ailleurs il touche une avance. Et le soir même, c'est chaud l'ambiance. Trois ans qu'il n'avait pas levé une femme, mais pas une de ces gossettes où il faut allonger de l’argent juste pour voir leur string, alors qu’on ne s’est même pas allongés... Sodomie ou brouette, nuit chaude femme cochonne. Une lune bleue dans le maquis, nuit cochonne femme chaude.

« Koumba avait vu les quelques photos qu'elle lui avait présentées. Franchement, elles étaient cochonnes. Sodomie, brouette, écrin à bijoux, tape-cul, approche du tigre, vignes enlacées, cerf en rut... Koumba aurait sûrement flingué sa femme si c'était elle qui se retrouvait sur ces fichues photos. Il en était sûr et certain. Putain. Malgré ses quarante ans au compteur, Ginette baisait encore comme une gossette de vingt ans, s'était-il permis de penser. »

jeudi 1 septembre 2022

Les Mouettes d'Aurora


"- Harry, combien de temps faut-il pour écrire un livre ?
- Ça dépend.
- Ça dépend de quoi ?
- De tout."

 
Je me retrouve devant une toile d'Edward Hopper. Les maisons d'éditions aiment particulier ce peintre pour illustrer les romans de leurs auteurs. Peut-être ai-je même choisi d'entrer dans cet univers, juste à cause de l'image de Hopper que je me fais. J'y vois un moment de plénitude mélancolique, plonge dans une Amérique d'un autre temps. une station-service, une église et un diner. Ce dernier est essentiel dans le tableau d'une ville, c'est dedans que se joue toute l'histoire, celle même d'un homme qui va devenir écrivain et qui à force d'observer la jolie serveuse va écrire le plus grand roman d'amour qu'il soit. Un chef d’œuvre. Je m'assois alors, commande une bière, la serveuse me l'amène avec un sourire si charmant. Je laisse le temps défiler devant moi. Je commande une seconde bière, la serveuse me l'amène aussitôt avec un sourire si craquant. Je lui dit que je suis écrivain et rien qu'à regarder son cul je pourrais écrire des tas de poèmes dessus. Juste en caressant ses jambes, j'imagine une lune bleue qui illumine la nudité de son corps. Rien qu'à repenser à son sourire, je pourrais écrire un roman. Au final, c'est facile de devenir écrivain, suffit de trouver la muse qui hantera votre âme jusqu'à l'inspiration.
 
"Si les écrivains sont des êtres si fragiles, Marcus, c'est parce qu'ils peuvent connaître deux sortes de peines sentimentales, soit deux fois plus que les êtres humains normaux : les chagrins d'amour et les chagrins de livre. Écrire un livre, c'est comme aimer quelqu'un : ça peut devenir très douloureux."

samedi 27 août 2022

La Fugue d'Arthur

Au temps d'une pandémie et d'un pass sanitaire, Sylvain s'en va battre la campagne de la Meuse à la Reie. Il s'en cours sur les traces de la fugue d'Arthur. La fulgurance d'un poète maudit, Arthur Rimbaud entre deux versants d'une colline, entre deux méandres d'un fleuve. Sous la pluie ou dans la brume, je les imagine tous deux discourir autour d'un verre de bière, une Blanche de Bruxelles, de Namur ou de Bruges. Il est cinq heures du soir au Cabaret Vert.    
 
"La poésie est le mouvement des choses. Rimbaud se déplace sans répit, change de point de vue. Ses poèmes sont des projectiles. Cent cinquante ans plus tard, ils nous atteignent encore. Quand le monde se fige, c'est la mort. Aucune poésie ne survit au formol. Voyez les quarantaines sanitaires." 
 
En fait de bières, il n'en sera jamais question. Ni même de vodka, si cher à mes souvenirs baïkaliens. Il faut dire que le gamin n'est pas en âge de boire. Et que contrairement aux illustres poètes que je peux fréquenter littérairement, Arthur n'a guère besoin d'alcool, de LSD, d'opium ou de mescaline. Arthur, l'être pur, le génie inné qui apprend de ses classiques - donc de ses maîtres - aussi sobrement que moi je m'enfile des bibines. Il voyage à travers les mots, je voyage à travers les houblons. Chacun son passeport pour l'autre monde, celui de l'imaginaire et des lettres.  

mardi 23 août 2022

Txikiteo

"J'avais besoin d'un été paresseux et de temps libre pour errer dans l'atmosphère surannée de cette bourgade touristique un peu clinquante, ou pour flâner sur les rives du gave bouillonnant surplombé d'arbres centenaires et de charmants ponts de pierre. Je voulais avoir du temps pour me reposer, pour rêver, pour écrire." 

Été, et si je te proposais une dernière virée au Pays Basque... Juste pour se reposer, pour rêver, pour écrire loin de la ville, loin de la côte ou de ses vagues. Un été dans l'arrière-pays, un été où l'on circule à bicyclette ou en carriole à chevaux. Un été où la bière s'appelle Uhaina comme les jeunes femmes. Un été où je croise le destin de Katya.

Que dire de Katya... Elle est belle, elle est sublime, elle est l'ombre de la lune, elle est le souvenir d'antan. Elle ne laisse pas indifférent ceux qui côtoient son sourire. Sous son ombrelle tournoyant, elle flâne près de l'ancien kiosque à musique, un lieu maintenant où la végétation a repris ses droits. Son coin à elle, son lieu de recueillement, sa "bibliothèque" dans la nature. Elle aime le silence de ce coin de verdure, et lire sous la treille même si à cette époque là, une jeune femme qui lit n'est guère bien vue. 

Mais qu'entends-je ? Ne serait-ce pas la musique d'une txitsu... Ne serait-ce pas la fureur d'une banda... qui égayent les rues pavées de la place du village...
 

vendredi 19 août 2022

Son Dernier Verre à Soho

"Lorenzo prend une douche, se branle, se lave, puis se sèche, s'habille et descend au pub du village."
 
Je le vois entrer dans le pub, le regard triste, le sourire absent, l'air mort. Comme tous ceux qui entrent dans un pub avant midi. Je fais partie de ce lot-là, des âmes errantes qui ont perdu leur âme un jour, sans s'en rendre compte, ou justement si, avec raison. La vie bouge, elle est un flux et reflux d'envie et de désir qui s'échouent aux rivages de ta porte brinquebalante, comme la marée qui laisse son écume blanche avant de se retirer. 
 
"Lorenzo commande une pinte de Black Sheep et regarde le liquide brun couler dans le verre en formant de la mousse. Quand il était à Londres, il buvait de la blonde parce que c'était facile et rapide, mais par une journée comme celle-ci et dans un pub comme celui-ci, il vaut mieux prendre quelque chose de plus costaud."
 
A l'intérieur, le ressort de l'horloge semble s'être cassé, au dessus de la glace miroitant un alignement presque géométrique de verres bus, un reste d'une mousse blanche s'étirant de toute sa langueur. De toute façon, dans la pénombre de ces lieux, l'heure n'importe peu, le temps n'a plus lieu, il est toujours l'heure d'une pinte, que cela soit la première ou la dernière pinte à Soho. La vie, là-bas, c'est cette adéquation entre l'ombre de la table et la lumière du comptoir. Une musique s'échappe d'une vieille platine, pour occuper le silence de ceux que ça dérange. Des êtres entrent, ressortent, se regardent ou baissent les yeux. De temps en temps un rire s'étale, des regards se tournent vers le sourire d'une femme, la porte des chiottes s'ouvrent et se referment.  
 

lundi 15 août 2022

Un 15 Aout


"Cet été-là, je revins avec un sentiment familier mais que j'identifiais seulement. Celui de renouer avec un bonheur certain. Chaque année se rejouaient ici les mystères d'une vie entière résumée en quelques semaines. Il y avait d'abord la monotonie des jours qui se confondent. Et puis l'attente. Avant le basculement de la mi-août, la précipitation douloureuse de dernières soirées dans la lumière d'automne déjà. La fin.

Août était le mois qui ressemblait le plus à la vie. "
 
Le mois d'août amène sa lumière d'été. Les valises embarquées dans le train, je me réfugie pour des vacances en Bretagne. Là-bas un cousin viendra me chercher. Là-bas, il y reste encore quelques vieilles tantes, un peu moins de vieux oncles, et la grand-mère, si fragile posée dans son fauteuil près de l'âtre de la cheminée qu'on ose à peine l'embrasser de peur de la voir se réduire en poussière. Certaines poussières sont contagieuses et se propagent comme la tristesse des types comme moi. Mais oublions tout ça, le début des vacances s'arrose de quelques bières, des retrouvailles, des que deviens-tu, des enfants qui crient, qui rient, qui pleurent. Au petit matin, j'ai toujours été du matin, pour profiter de sa fraîcheur, du silence de son café, je regarde cette vieille bâtisse en pierres, ayant survécu aux vents, aux marées, aux sables, au blitz et à je ne sais quel mouvement lunaire. Cette maison d'enfance, on la quitte un jour, mais on y revient toujours, pour les vacances au mois d’août. Au loin, j'entends le cri des mouettes qui voltigent autour des bateaux de pêches. Au près, le tintement d'une petite cuillère dans la tasse à café, et la tante, toujours la même qui s'active en cuisine, pour laver les verres de la veille ou griller le pain frais du matin.
 

samedi 13 août 2022

La Folle et le Dictateur

"Elle ne sortait pas souvent lécher les vitrines, comme disaient ses copines qui habitaient à l'autre bout de la ville. Lupe, Fabiola et Grenouille, ses uniques sœurs tapettes qui louaient une grande maison du côté de Recoleta, près du Cimetière général, dans ce quartier poussiéreux de taudis, d'impasses et de débits de boissons aux coins des rues où ça grouillait d'hommes, surtout des jeunes issus des quartiers pauvres bourrés du matin au soir et qui tournaient au vinaigre sous le soleil. Ivres et sans le sou comme ils étaient, ses copines n'avaient aucun mal à les traîner jusque chez elles et, une fois à l'intérieur, à les gorger de vin rouge pour finir toutes les trois le cul en l'air à partager les caresses baveuses d'un mâle chaud comme la braise. Tu ne sais pas ce que tu rates en ne venant pas plus souvent, ma jolie, la narguait Lupe, la plus jeune des trois, une boute-en train de trente ans à la peau mate, la seule qui pouvait encore se permettre de faire son show et de s'habiller comme Carmen Miranda, avec une minijupe en bananes qu'elle secouait à la face des zonards bourrés pour les réveiller."
 
Un vent de folie semble souffler en ce printemps 1986 le long de la Cordillère, la Folle d'en Face avec ses yeux de chatte apprivoisée, le Dictateur avec sa mégère - oups sa femme, incessamment bruyante et épuisante. 
 
La Folle, ce travesti au regard vieillissant et à l'âme si romantique, s'éprend de ce beau Carlos, un jeune "étudiant" militant contre le Général Pinochet. Ce dernier part d'ailleurs en excursion pour un week-end avec sa femme, pas encore sorti de la ville qu'il est déjà fatigué, elle ne cesse de lui parler mode, couleurs et chiffons. Que de bruits dans cette ville, entre les cris des manifestants et ceux des fantômes exécutés ou disparus, sans compter les klaxons. Vive la campagne. Une tranche de pâté, mon chéri ? La Folle pose une magnifique nappe sur l'herbe sauvage, toute fleurie, des papillons sur la nappe, jolis papillons qui te picotent l'intérieur de ton âme. Ah c'est beau l'amour, se dit-elle... Un verre de vin, mon amour ? Du vin chilien, du beaujolais, les plaisirs d'un pique-nique à l'improviste. Tiens, ce ne serait pas la voiture du Général qui passe, lunettes noires et uniforme tristement gris. Ah c'est beau l'amour...
 

dimanche 31 juillet 2022

Hot dog, jumping frog, Albuquerque


Chabadabada. 
Une femme, un homme. Catt et Paul pour les intimes.
Elle est riche et vit à Los Angeles. Hollywood et le soleil californien, la blondeur des femmes, le corps musclé des jeunes hommes, les relations SM…
Il est plus jeune, ex taulard, ex toxicomane, ex alcoolique, ça fait déjà beaucoup pour un seul homme, le visage buriné par le soleil du Nouveau-Mexique.
Ils n’ont donc pas grand-chose en commun.

Catt décide de quitter L.A., délaissant son petit confort intellectuel entre poètes, écrivains et philosophes venus débattre de la vie autour d’un cocktail au bord d’une piscine, eau bleu turquoise. Elle achète donc un ensemble d’appartements à Albuquerque, les fait retaper par des locaux (éviter les gros entrepreneurs qui prennent pour mains d’œuvre pas chères des « esclaves » mexicains), passe une petite annonce dans le journal du coin, du genre « Femme d’âge mure recherche homme, jeune ou pas, musclé et tatoué de préférence, pour gérer la location d’appartements », en somme ce qu’elle veut c’est un homme à tout faire qui s’y connaisse en plomberie et prêt à dépoussiérer sa vie.

« Pour la première fois depuis qu'elle a quitté Los Angeles, Catt a vraiment l'impression de faire un road-trip. Le téléphone sonne alors qu'elle se rappelle un roman de Mishima qu'elle a lu adolescente, Neige de printemps, l'étrange dialectique entre la nature et les émotions humaines, un texte si parfait qu'il est difficile de croire que quelqu'un l'ait écrit. Elle se sent loin de sa propre vie tandis qu'elle ouvre le clapet de son téléphone et Oui, allo ?»

dimanche 24 juillet 2022

Danzas Andaluzas


Assis sur un banc en plastique d’un blanc sale, je regarde par la baie vitrée la neige tomber sur le tarmac de l’aéroport de Pittsburg, Pennsylvanie. Rien qu’à cette vue, j’imagine une chanson, un blues triste et mélancolique, une petite guitare ou deux qui grattent derrière l’oreille. Le regard comme hypnotisé vers l’extérieur, la neige se couche presqu’à l’horizontal, le blizzard se déchaîne contre l’immense fenêtre. Il va y avoir du retard dans les départs, espérant que mon avion ne soit pas annulé, maigre consolation le bar de l’aéroport semble ne jamais baissé rideau, accueillant des gens épuisés, traînant leur spleen ou leurs solitudes à toute heure, en toutes langues.

« - Quand même, qu'est-ce que je ne donnerais pas, là, maintenant, pour un bon demi de bière Mahou avec beaucoup de mousse, à la brasserie Santa Bárbara de Madrid par exemple, avec des amandes grillées bien salées et une assiette de coques... Ça, et une fille, les deux meilleures choses de la vie, le paradis sur terre. »

Après trois gobelets de café lyophilisé au goût si acide qu’il écorche une grimace à mon sourire défait, je décide de prendre position, table du fond, le dos tourné à la tireuse à bière, le regard toujours plongé vers cette nuit sombre qui accueille ses flocons de neige blanche. A côté, je les entends parler, deux espagnols volubiles et enjoués. L’un, Marcelo, entrepreneur et homme d’affaire, file sur Miami, son soleil et ses filles en bikinis, belles comme des Andalouses. L’autre, Claudio, professeur de littérature, attend son avion pour Buenos Aires, sa pampa et ses filles caramélisées, souriantes comme des Argentines. L’un boit une Mahou cinco estrellas, l’autre une Quilmes. Dans leur conversation, il est question d’une femme, il est toujours question d’une femme avec les hommes. Et d’un hôtel. Un hôtel désuet mais avec du charme à Buenos. Et une femme, la plus belle femme qui soit, celle qui vous hante à jamais comme un esprit diaphane venu s’allonger près de ton corps nu d’entre les draps. Elle s’appelle Carlota, mais en fait peu importe son nom. Elle est là et se rappelle à votre mémoire à chaque jour de votre putain de vie.