mercredi 27 décembre 2017

L'esprit de la Quilmes

Une fois de plus, il est question de disparition. Comment souvent en Argentine. Et les disparitions sont aussi fréquentes que mes envies de décapsuler une Quilmes et respirer ce parfum de la pampa. Et comme souvent chez les écrivains argentins, le passé ressurgit de ses ancêtres.

Un jeune écrivain argentin revient au chevet de son père mourant. Quelques années d’exil en Allemagne l’ont éloigné de ses racines, de sa famille, de son histoire. Absence de dialogue, ignorances des uns et des autres, du père et du fils. Ce retour sur la terre argentine n’est guère de bon augure, toujours empli d’une certaine tristesse et d’une espèce d’abandon de vie. Il rentre chez lui, son ancien chez lui, rien n’y a bougé même pas les odeurs, et fouille le bureau de son père. Il n’attend rien, ni réponse ni question. Peut-être juste avoir l’esprit occupé pendant que son père se meurt à l’hôpital.

« Trois affaires d’homicide, de disparition et d’enlèvement en un an dans la ville », affirmait un autre article qui soulignait : « Trois affaires non résolues ».

Un vieux carton. Des dizaines, des centaines de coupures de journaux. Certains brutes, d’autres commentées. Des centaines d’annotations de l’écriture de son père. Des photos. Tous ont un point commun la disparition d’un homme qu’il ne connait pas. C’est à ce moment- précis que l’histoire se complique.

lundi 25 décembre 2017

Écouter la Musique Intérieure d’une Vie

« Jorge fait la planche sur un fleuve large et profond. L’eau froide soutient son corps et lui gonfle les sens d’ardeur vitale, tout est bleu et frais, tout est très beau. Pour flotter sur l’eau, il est capital de ne plus entendre, de fermer les oreilles de l’intérieur et de plonger tout entier dans un silence liquide. Il est possible de flotter sur l’eau sans eau, il suffit de se remplir de silence. »

Certains hasards m’emmènent dans des lieux inconnus dont l’intensité du voyage m’éblouit par sa poésie. Certains romans me transportent dans des pays où les sens effleurent ma main qui tourne les pages. Je ferme les yeux et j’entends New-York au début du siècle dernier. Je change de chapitre et je plonge dans un coin perdu de l’Argentine. Le temps d’une respiration, mon cœur bat au rythme du fado, le regard porté sur Lisbonne.

En compagnie de Karl, Fernando et Jorge, l’auteur distille quelques notes d’onirisme entre ces lieux qui deviennent pour moi à la fois magique et mélancolique. Les mots touchent au sublime, le silence se remplace par une petite musique intérieure qui enivre l’âme des hommes qui n’appartiennent pas au ciel. En filigrane, d’illustres écrivains insufflent leur esprit, l’auteur rend ainsi hommage à Kafka, Pessoa et Borges.

« Une musique vient de loin. Une musique qui n’est pas jouée, qui s’entend à peine. Une musique qui entre par la fenêtre et qui est le ressentir ou le souvenir de quelqu’un qui est déjà passé et qui est resté par là. Une mélodie est la plus belle épitaphe à laquelle on puisse aspirer.
La musique de la rue eut l’amabilité de réveiller Fernando et de lui dire qu’il était encore vivant ou, tout du moins, qu’il était encore capable d’entendre la musique. Les oiseaux dans sa poitrine s’envolèrent vers d’autres cieux, laissant derrière eux des petites plumes, bien peu de chose. »

Prêter une âme à un lieu, à une musique, à un silence, voilà ce que propose ce premier roman de Nuno Camarneiro. Il raconte trois histoires, simples et humaines, de trois jeunes hommes trop sensibles pour ce monde. Des jeunes hommes qui s’entourent de silence et de poésie et qui prennent le temps de découvrir ces lieux, les autres, les âmes flottantes autour d’eux.

jeudi 21 décembre 2017

In The Name of Rock : Jessica

J’ai laissé la moto au garage, comme mon âme de biker. Plus une question de prudence qu’un hommage à Johnny. Mais écouter les Allman Brothers Band dont le nom a perdu en 1973 une partie de sa raison d’être en Harley peut s’avérer dangereux. « Brothers and Sisters », cinquième album du groupe. Un album qui me fait du bien, presque joyeux. Certes, de l’excellent blues, une pointe de boogie-woogie, un soupçon de country, mais j’ai tendance à préférer les oraisons funèbres et intimes à l’hymne à la joie et la joie de vivre. Le blues se doit d’être triste, sombre mais lumineux, l’univers d’une âme en peine, d’un pauvre type devant son verre, à demi vide. Alors, dans un nuage de poussière, âme du désert, je démarre le pick-up, couleur poussière, siège en cuir, radio branchée canal « Radio Poussière ». J’ai les santiags qui frétillent dans le South, direction le dinner, mélange de bruit et de poussière, celui avec une serveuse au sourire plantureux. Bière et slide guitare au programme pour une nuit torride, celle avec Jessica.

Forcément, tu la connais cette Jessica. Elle est belle et elle boit sa bière au goulot. Ou alors c’est parce qu’elle boit sa bière directement à la bouteille qu’elle est si magnifique à mes yeux. Ses lèvres dansent au son du blues et de la descente, ses seins tournent avec la country, le stetson s’envole laissant voir le regard de braise qui anime cette nana. Un gros gars barbu et tatoué émet un rôt fier et enivrant de son odeur, ça tapote affectueusement sur la croupe des serveuses, objets sexuels de tous les désirs, ça cogne des santiags contre le plancher poussiéreux et mégotté, on dirait un troupeau de bisons sur une piste de danse, tout dans la légèreté.    

dimanche 17 décembre 2017

Les Agneaux du Yorkshire

La tête dans la cuvette des chiottes, Johnny dégueule sa bile et sa tristesse d'une nouvelle soirée au pub, solitaire et abondamment arrosée de pintes mousseuses et maltées. Première scène du film, je suis dans mon élément. Pour la seconde soirée, j'aurais le droit aux mêmes conséquences des bières anglaises dans un pub anglais, la tête toujours plongée en avant dans les chiottes d'une putain de vie.

Au milieu de ce monde de brutes et de super-héros, je ressens le besoin de me ressourcer à la campagne. Sentir l'odeur du fumier et découvrir de nouvelles amours, le Yorkshire. Johnny travaille du matin au soir, sans repos, à la ferme familiale, son père fatigué et malade, sa grand-mère lassée. Difficile de s'en sortir quand il a l'impression que personne ne répond à ses attentes et que son univers est si restreint qu'en dehors des bêtes à nourrir et d'un plancher de merde à nettoyer, il n'a personne à qui parler, sa génération préférant fuir cette campagne attristée et n'y revenir que pour parader pendant les vacances. Restent les sorties au pub, enculer rapidement d'autres hommes dans le box des vaches et gerber.

Jusqu’au jour où Gheorghe, saisonnier roumain venu donner un coup de main pour les agneaux, l'enclos, les pâturages, lui fasse découvrir toute la beauté du panorama, lorsque le soleil se lève sur la lande venteuse du Yorkshire. Au début sauvage et bestial, à l'image de cette campagne, cet amour deviendra passionné...

mercredi 13 décembre 2017

Le Train des Larmes et le Goût du Sirop d'Érable

Il retira l'omoplate d'orignal qu'il avait enfouie sous la braise, et entreprit de lire le présage.

Mukwa est un jeune Ojibwé. Je suis en terre indienne, terre froide et enneigée, à l'ouest du Québec, à l'est de la Colombie-Britannique, avec un territoire qui s'étend jusqu'au nord du Michigan. Il n'y a pas si longtemps que ça, quelques années en arrière, à peine quelques décennies. Dans la tradition, il aurait dû certainement prouvé qu'il était un homme, avec sa longue chevelure noir-corbeau, en chassant peut-être l'ours avec un couteau, ou en digne fils de trappeur poser seul des pièges à vison. Mais à l'heure où les hommes mettent un pied sur la lune pendant que d'autres hommes regardent à la télévision ces hommes mettre un pied sur la lune, blue moon sous le hurlement du loup solitaire, que valent ces traditions ancestrales ?

Dans les wagons de troisième classe destinés aux enfants indiens, tout le monde pleurait.
Même chose sur les quais, puis tout le long du trajet.
Railway of tears...
Jamais train n'avait aussi bien porté son nom.

Le jeune Mukwa est contraint par les autorités de prendre le train des larmes. Il se trouve sur le quai, avec d'autres indiens comme lui, en pleurs. Railway of tears... Direction le pensionnat Sainte-Cecilia. Quitter son monde, et découvrir celui des blancs. Un monde fait de brimades, d'humiliations, de torture même. Des nonnes sadiques, des prêtres pédophiles, le regard tourné dans la direction opposée à ces pensionnats canadiens pour ne pas voir cette triste vérité de l'âme humaine et ces cimetières improvisés. Exterminer l'âme indienne, tuer l'indien dans l'enfant. Lui faire oublier sa culture, sa religion, ses origines. « Kill The Indian in The Child ».

samedi 9 décembre 2017

Dans les Bains de Budapest

« On regarde les filles. Ça commence à bouger. Au fur et à mesure qu’on s’imbibe, arrivent des meufs de plus en plus jolies. C’est toujours comme ça. »

Encore une soirée où j’ai pécho pas une meuf. Peut-être qu’il faudrait que je me mette à causer au lieu juste de bander de désir, en silence. Je vais me servir un verre, vodka glacée, cocktail détonnant, neurones en mode autodestruction. Une musique hurle, son chanteur déverse sa rage, je nage. Dans les bains de Budapest, l’érection fertile à la vue de ces maillots de bains échancrés, teenagers et milfs. Je ferme les yeux, le silence assourdissant se fait en moi, oreilles bouchées par l’eau à l’odeur chlorée, et je me fais plein de films pornos dans la tête.

Le pétard tourne de mains en mains. Je me retrouve sur le périphérique de Budapest, dans un tombeau roulant, voiture « empruntée ». Les pupilles dilatées, Greg conduit les yeux fermés. A la place du mort, « la Bouée » 105 kilos de muscles difficile à bousculer au water-polo. Derrière, Nicky et Vicky, 13 et 15 ans, deux sœurs qui me sucent avec passion folle et fou rire. Éduquées sur YouPorn, j’ai le plaisir de sentir leur langue caresser mon sexe, avant de le voir s’engloutir dans leur bouche salivant de désir. Elles ont dû regarder les mêmes vidéos pornos que moi. Une main dans leur culotte, l’humidité que je perçois ravive ma libido en berne après ces nombreux verres et ces joints, dans la chaleur de la nuit. Prendre la bretelle de sortie, se retrouver en rase campagne, sentir un choc sous la voiture. Je pousse un cri de douleur, Nicki ou Vicky les dents sur ma batte, je sors ma main dégoulinante de sa chatte. Probablement un sanglier, ensanglanté maintenant, qui a traversé la route qu’on a écrasé. Je suis dans un roman hongrois, premier roman de Benedek Totth, comme dans les premiers romans de Bret Easton Ellis. Mais c’est à partir de cet instant que la vie déraille.

mardi 5 décembre 2017

Les Escales de Nad' et du Bison : Haïti

Lieu : Tarmac de Port-au-Prince, Haïti
Lever du soleil : 6h07  | Coucher du soleil : 17h13
Décalage horaire : -6h
Météo : 31° Ressentie 34°, Beau temps avec quelques cirrus
Latitude : 18.594395 | Longitude : -72.307433
Musique : Sonny Rollins, Don't Stop The Carnival
Un Verre au Comptoir : Desperados Black


 

« Charlie Parker crève la nuit. Une nuit moite et lourde des Tristes Tropiques. Le jazz me ramène toujours à la Nouvelle-Orléans et ça fait un Nègre nostalgique. »

Je débarque sur le tarmac de Port-au-Prince. Je croise un type, dans le genre souriant et avenant. Les dents blanches, fraicheur de vivre. Il respire la bonté, la bienveillance et l'humanité. Tout mon contraire. Je l'avais déjà aperçu bien des années avant à Petit-Goâve, sa terre natale. J’apprends que grand-mère Da est partie pour le « pays sans chapeau », il y a quatre ans là-bas c’est le ciel, où repose son âme. Au cœur de ses souvenirs, les odeurs de café sont les mêmes. Quelques gouttes de Barbancourt dans sa tasse encore fumante est une réjouissance, jouissance en bouche, touche d’extase. Le café des Palmes est divin. Et la mémoire des sens ineffable, terre sauvage vers laquelle on revient sans cesse. Certes, l’errance est un rêve, elle nous emporte aussi loin de nos racines que les étoiles, mais au jour du réveil, nous savons que le pays d’une seule d’entre elle brillera à jamais d’une lueur unique. Au fil de ses déambulations, l’homme se dit qu’il n’avait pas réalisé à quel point ce « caillou entouré d’eau » lui avait manqué durant ces vingt dernières années, à quel point il avait marché à côté de sa vie.