jeudi 24 mai 2018

La Simca 1000

Une Simca couleur cerise, début août. Comme chaque été. Comme chaque année. Elle est le signe d'un mois de vacances sous le soleil de Majorque. Le petit José se souvient, devenu écrivain. Il prend sa plume, face à la mer, cette Méditerranée d'un bleu azur, souvenirs d'enfance des années soixante. Et avec cette quête d'enfance et d'antan, ressort toujours un brin de nostalgie conjuguée à de la mélancolie.

« Il y avait deux mers dans la baie. La première était placide et silencieuse, bleu pâle, presque blanche, veinée de différents tons de vert quand on s'en approchait. Les barques, peu nombreuses, flottaient de telle façon qu'elles avaient l'air de montgolfières et le fond sous-marin, d'une masse d'air emprisonnée par un merveilleux scénographe dans un grand récipient de cristal liquide. L'autre mer était tempétueuse et rugissante, bleu foncé, à la surface éclaboussée de bave blanche et avec de grandes vagues rageuses qui vomissaient des giclées d'écume blanche en arrivant à la côte, comme sur une estampe d'Hokusai. »

De Majorque, il y a cette caserne, son père lieutenant, et cette distinction de deux mondes. Le sien, zone militaire interdite au public, et celui extérieur, avec ses civils. Il y a ce soleil brûlant qui impose les siestes avant d'aller se baigner dans le bleu profond. Il y a cette sécheresse autour de lui, un sol brûlé qui fait penser au début du Maroc. Il y a ces cactus, ces herbacées, ces fleurs, ces plantes et le bruit des cigales. Les souvenirs deviennent un moment de nature-writing, à l'image des écrivains américains. A cette évocation, il y a aussi cette plume solaire pour ce « solstice » d'été.

dimanche 20 mai 2018

De Champollion à Soutine, au sommet des Écrins

L'histoire d'un gamin qui fréquente le lycée Champollion et qui découvre le massif des Écrins par sa face Nord. 
L'histoire d'une région, Grenoble, entourée des plus belles montagnes que je n'ai jamais gravies. Et pourtant...
L'histoire d'un jeune illustrateur émerveillé par un peintre russe. De Soutine à Rochette. 

"En bas, il y a toujours un con pour te dire ce que t'as le droit de faire ou pas.
Ici, c'est la montagne qui décide. Personne d'autre."

Ce jeune gamin qui s'emmerde profondément au lycée découvre par hasard l'escalade. Et là, la magie des lieux, de l'effort aussi, le prix du risque et l'insouciance de la jeunesse, font qu'il trouvera sa voie, en même temps qu'il dessinera quelques croquis. Le récit initiatique de l'adolescence face à l'adversité et à la bravoure. Parce que là-haut, tout aux sommets des montagnes et si proches des anciens de renom, il s'émerveillera d'un ciel aussi bleu que Soulages ses peines.

Beaucoup de bleus dans le ciel, de bleus à l'âme jusqu'aux souvenirs de la lune bleue. Les cases sont bleues. Un peu grises aussi, comme la roche à gravir, ou comme la vie d'un adolescent de Grenoble. Une teinte blanche, est-ce la neige au sommet du col, ou le faux col de ma bière ? 


mercredi 16 mai 2018

Copacabana Viagra

« Je m'évapore au-dessus de Copacabana. J'ai lu un jour que la mort était le moment le plus significatif de la vie. C’est vrai. La mienne aura été bonne. Elle l’est toujours. Plus pour très longtemps. »

Cinq vieux proches de la fin. Le temps même d'écrire le mot « Fin » ou même de décrire leurs vies qu'ils sont déjà morts et mis en bière dans le cimetière Saint François-Xavier,155 rue Monsenhor Manuel Gomes, de Rio de Janeiro. L'usage veut que je vide une bouteille à leur au-delà et leur vie trépidante et passée. Álavaro, Sílvio, Ribeiro, Neto et Ciro. Cinq hommes, cinq amis, du même âge, qui se racontent en cinq chapitres dédiés à leurs histoires respectives et entremêlées. Et au milieu de ces histoires, il y a souvent leurs femmes, leurs histoires de couples, d'infidélités, de culs et de bites érigés comme le Pain de sucre, les bienfaits du viagra, Copacabana. Ces vieux souvent aigris et grincheux ne me sont guère sympathiques, mais puisque l'homme est né pour jouir, je les suis avec plaisir. Quel homme ne s'est pas imaginé sur les plages de Copacabana, le regard porté sur le charme de la faune et de la flore brésilienne. Des tangas et des strings, les couleurs chatoient mon âme comme le soleil caresse le cul dodue de cette sud-américaine.

dimanche 13 mai 2018

Une Nuit à San Francisco


Il y a certaines musiques qui rentrent dans votre vie comme des hommes ou des femmes, sans en comprendre la raison. Combien de fois me suis-je retrouvé à déambuler dans le port de San Francisco, (Sittin' on) The Dock of the Bay, la lumière bleutée de la nuit ou de la lune pour illuminer mes désirs nocturnes. Une musique qui se balade de jazz et de folk, un mélange multiculturel de blues et de ballades entre l'Irlande et l'Amérique.

Cet album, je le chéris plus que tout au monde. Il m'a tant apporté de bonheur dans mes nuits d'insomnie ou mes errances solitaires. Il a été un compagnon de route. Tu veux te faire un concert ? Pars à San Francisco, une nuit illuminée, un concert inoubliable. 

Il est quatre heures du matin, quand cette musique be pop a lula m'entraîne seul sur cette avenue, au cœur de la baie ou au plus profond de mon cœur. Des chœurs qui s'enchaînent, et cette voix de crooner qui me chavire, une trompette qui me chet et où mon esprit divague sur les vagues du rivage, visage en sueur et en pleurs d'une nuit ô combien émouvante.

vendredi 11 mai 2018

Les Escales de Nad' et du Bison : la Patagonie

Lieu : Isla Magdalena, Patagonie Chilienne
Lever du soleil : 9h15  | Coucher du soleil : 18h03
Décalage horaire : - 5h
Météo : 4° ressentie 3°. Couvert. Faibles pluies et neiges mêlées.
Latitude : -52.918628 | Longitude : -70.577160
Musique : Procol Harum, A Salty Dog
Un Verre au Comptoir : une Piraat, sans les embruns


 


« Nord clair, sud obscur, orage sûr », affirme un dicton, mais cette fois le sud comme le nord se fondaient en une seule et même obscurité.

Le vent fouette le visage des marins affairés sur le pont à relever l’ancre. Des gueules burinées par le soleil du profond sud et le froid des grandeurs extrêmes. A son bord, un vieux capitaine, la barbe grisonnante, le regard toujours perdu dans ses souvenirs d’antan. Tel un vieux loup de mer, je l’imagine me racontant des histoires de pêches et de pirateries. Un regard qui se lit comme un livre ouvert, des chapitres de vie et de mort. Il m’a accepté à son bord pour que je témoigne de son histoire, l’histoire de la fougue de l’Océan qui n’a rien de Pacifique et de la Patagonie. Pendant ce temps-là, la mer se déchaine contre la coquille métallique qui me sert d’abri sommaire et presque éphémère, déverse toute son impétueuse haine, une écume blanche au bord de ses lèvres comme la bave d’un chien enragé, contre ma misérable existence.   

Quand les bateaux quittent vers le large, ils laissent dans leur sillage un fracas de vagues – d’émotions fortes ou douces - houle dansante sur les falaises rongées par la mer. Des mille tempêtes au sommet du Cap Horn, des rafales de vent et de glace déséquilibrent le vol des caranchos. J’ai croisé ton capitaine, ce bon vieux loup de mer. Il m’a raconté l’histoire de Men Nar, la dernière Indienne Ona qui désormais ne quittera plus jamais mes pensées … Sa tribu venait d’être massacrée quand Esther et Riera le Pelé l’ont trouvée au pied d’une meule, une balle de Winchester plantée dans le talon. La jeune adolescente venait de parcourir quinze km de marche entre le cap Domingo et l’embouchure du fleuve. Les chasseurs d’Indiens l’avaient violée. Car dans cet extrême austral du monde, la main de l’homme est aussi féroce que ses paysages laissent à rêver. 

« Une sinistre pénombre violacée nimbait le crépuscule de cette journée splendide, dont le froid vif glaçait êtres et choses d’une patine de désarroi qui ronge l’âme et gâche la vie. »

mardi 8 mai 2018

La Sonate du vent, d'ici et d'ailleurs


« Le vent a des hurlements de bête féroce. Au moment de quitter sa voiture, Yu a l'impression qu'un molosse enragé se jette sur lui. Il a un mouvement de recul. Le long des rues, papiers sales et sacs plastiques tourbillonnent sous la bourrasque. Quelques véhicules cahotent sur la chaussée éventrée en soulevant des nuages de poussière ocre. Les rares passants, silencieux, font la gueule. Les bâtiments bas à deux ou trois étages, passablement décrépits, couverts d'enseignes délabrées, semblent se tasser sur eux-même comme des chiens battus. On dirait que les rayons du soleil subissent eux aussi la loi du vent. L'absence d'arbre amplifie le sentiment de désolation. Où suis-je donc ? Se demande le nouvel arrivé. L'air lui colle à la peau comme une gale. Il se campe dans une posture de défense. Ouais, c'est pas la joie ! Et de secouer ses cheveux et ses vêtements comme pour en chasser une vermine. »

Sori, terminus. Tout le monde descend. Sorry, terminus d'une vie. Yu a mis le cap à l'ouest. Mutation indésirée comme le sentiment de se débarrasser de cet employé. Premier objectif, trouver ses nouveaux bureaux, mais toute la ville ne semble pas connaître sa société. Second objectif alors, trouver l'ancien responsable, mais toute la ville ne semble pas le connaître non plus. Étrange sentiment d'être dans un lieu hostile. Le vent, probablement, qui fait courber l'échine. La poussière, certainement, qui rentre dans les yeux, colle au costume, couleur ocre. Poussière d'une vie. Yu déambule, sans but même. Il y fera de drôles de rencontres, face au Sosan-bong, cet étrange montagne qui se pare de couleurs phosphorescentes certains matins.

samedi 5 mai 2018

la Rivière, la Mer, le Silence


Une première note de piano, je ferme déjà les yeux, mon esprit vogue au-delà de la rivière, bien loin d'une fugue d'hiver. Et pourtant, si près, je sens les vagues m'envahir. Mon corps plonge, l'eau est froide. J'ouvre les yeux, j'ouvre mon cœur, l'eau est bouillante. J'ai longtemps été bercé par la musique éthérée du label ECM, aux confins du jazz et du silence. Je me suis immédiatement reconnu dans ces sonorités, comprendre le silence entre les notes.

Le voyage m'amène sur les rives de la tristesse. Le minimalisme du piano s’associe au violoncelle de David Darling. Et le violoncelle me plonge souvent dans les souvenirs, des vagues de mélancolie s'échouent sur le rivage de ma vie, une écume blanche recouvre l'immobilité du sable mouillé. Note la métaphore.

Jon Christensen économise ses gestes, sa batterie distille quelques coups de cymbales, toujours avec parcimonie. Car si la musique se veut subaquatique, elle est aussi légère et aérienne que la grâce d'une baleine en rut dans la baie du Saint Laurent.

Entre deux silences ou des accords de guitare, il est de convenance d'écouter les sublimes percées de Terje Rypdal, guitariste que j'admire depuis son Odyssey de 1975. Ses riffs transpercent les rivages de la mélancolie pour sombrer dans l'extatique. Ils m'hypnotisent, le regard laissé au loin sur l'horizon. La mer qui n'en finit pas. L'océan sans fond sans marge sans limite. Bleu profond, noir. Gris même parfois comme mon âme qui s'aventure dans la pochette de ce disque.

jeudi 3 mai 2018

Le Roi des Corbeaux

Dans les méandres boueux de la Black Snake River, perdue au milieu de l'immensité sauvage des Adirondacks, une petite fille, de la boue dans la bouche, de la boue dans les oreilles, jusqu'à de la boue dans les yeux, gît là, abandonnée avec sa poupée comme morte. Recueillie par une famille dite d'accueil, puis par des « parents » aimants, dans le genre couple de quakers, Mudgirl grandit, s'affranchit, et devient Mudwoman, une femme reconnue mais qui reste solitaire, pas vraiment par choix. Elle devient la première femme présidente d'une université de prestige, reniant pratiquement tout son environnement, sa famille, son passé, son histoire. Même son amant « secret » se fait extrêmement discret. Un corbeau noir dans le jardin l'observe à travers les persiennes de son manoir de fonction. Un cri perçant dans la nuit, un nuage dérive sur la lune, les ombres s'effacent dans le noir de jais d'un ciel sans étoiles.

« Le ravin débordait les jours de grosses pluies. Dans son eau frissonnante des nuages couraient comme des bribes de pensées.
Et de l'autre coté du ravin s'étendaient des terres marécageuses où se rassemblaient de nombreux oiseaux et les plus tapageurs de tous étaient les corbeaux.
De bon matin on était réveillé par des cris perçants et éraillés qui pénétraient votre sommeil comme des griffes déchirants du papier ou un tissu gaufré. »

Meredith Ruth doit lutter contre les préjugés, la misogynie de ses paires, la méfiance du conseil de gouvernance, l'hésitation des généreux donateurs. Fière de ses idées progressistes, voulant remettre en question le conservatisme de cet immense paquebot universitaire pour lequel on lui a octroyé la barre, M.R. ne ménage pas son travail, telle un bourreau, ne flanchant jamais devant la tâche et les obligations. Un congrès la ramène dans sa région d'enfance, ces routes isolées qui serpentent au milieu des Adirondacks, les souvenirs remontent à la surface, le goût de boue en bouche resurgit de sa mémoire. Le cri des corbeaux devient menaçant.