mardi 22 juin 2021

Beurre et Croque-Monsieur


Je commence par un mot de Raymond Carver, comme une exergue de la vie foudroyante du passé. Débuter un bouquin par Ray est toujours de bon augure. C'est un signe diraient certains, si je dois croire aux signes. Mais comme je ne crois à rien, si ce n'est à la poussière qui se dépose sur mon cuir, je me laisse embarquer, d'entrée de jeu par Ray. Et là tu te dis que j'essaie de te vendre du Carver à faire tout un paragraphe sur une simple citation du maître du spleen et du couple. Mais je ne suis pas là pour te vendre quoi que ce soit, même pas un tapis pour enrouler le corps de ta femme dedans. Non, je suis là juste pour déjeuner en paix. Je regarde sur la chaise le journal du matin, les nouvelles sont mauvaises d'où qu'elles viennent, "Crois-tu qu'il va neiger?".

Je prépare un café bien tassé, et des tartines beurrées. Je déjeune toute seule dehors en écoutant les oiseaux.

Parce que les histoires de couple commencent toujours par un café bien noir avant de finir avec un bourbon bien tassé. Du moins dans l'univers de Ray. Sauf que je ne suis pas dans un conte à Ray, je suis dans une suite de temps et de contretemps de Gaëlle Héaulme. Et si le savoureux exergue est bien choisi, c'est aussi parce que d'emblée, je retrouve cet univers qui mêle le spleen et l'ironie, les travers de porcs et de couples, ces petits instantanées d'une vie qui en l'espace d'une fraction de seconde ou d'une éjaculation précoce basculent. Ces petits contretemps comme aiment les définir l'auteure sont autant de petites savoureuses scénettes - cyniques - d'une vie à deux - à la chute cocasse - qui finit souvent à un(e).

vendredi 18 juin 2021

Chambre Avec Vue... sur la Baie

Le jour qui se levait vint repousser d'un mince filet jaune la ligne d'horizon courant bas sur la ville lorsque le troupeau de prisonniers, presque cinq cents au total, franchit sous bonne garde les portes d'accès à la prison pour être dirigé vers le parc de stationnement. Les y attendait une flotte d'autocars aux fenêtre barrées, des autocars pie dont le poste de chauffeur se trouvait séparé des sièges passagers par un solide grillage. L'air était lourd des émanations âcres des moteurs diesel et de la puanteur de choux en train de pourrir. Les prisonniers dépenaillés, pour la plupart des Noirs et des Chicanos, s'alignaient en colonne par deux, enchaînés six par six, regroupés devant leurs autocars respectifs ; on aurait dit un grouillement de mille-pattes humains. Les adjoints du shérif, en uniforme impeccable aux plis rasoir, étaient omniprésents. A chaque autocar se trouvaient affectés trois adjoints, tandis que le reste de la troupe se tenait en retrait, le gros Magnum Python 357 pendu à bout de bras.
 

 
 

mardi 15 juin 2021

Un Quasi-Crime

 les chroniques transat 

Le COURAGE

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« Vous qui tenez ce livre dans vos mains, que savez-vous de moi ? Que je suis une femme qui a subi un viol ? Une femme qui a le courage de tenir une conférence de presse ? Une femme qui ose parler de viol sans fermer les boutons de son chemisier jusqu’au cou ? »

 


Une question de survie et une question de courage. Le courage d’affronter les autres, le courage de se présenter en victime dans un pays aux mœurs encore fermés, le courage d’écrire son trouble, ses erreurs, sa vie. Victime d’un viol, d’une relation sexuelle non consentante, comment en est-elle arrivée là ? Shiori Ito se repasse les évènements de la veille, mais rien, l’obscurité totale, comme dans une boite noire. Mais d’ailleurs, pourquoi se présente-t-elle ainsi, à moi, lecteur lambda d’un autre pays ? Pour me parler de son viol, de son pays, d’autres femmes à qui cela pourrait survenir. Pour faire changer les choses aussi.

 

Sais-tu qu’au Japon, ce crime est rarement dénoncé, c’est ainsi qu’il faut en décrypter les maigres statistiques sur le sujet. Mais sais-tu aussi que dans ce pays où le soleil se lève tôt, il y a deux notions, le viol et le quasi-viol. Et la distinction ferait hérisser les poils de chacun. 

 

dimanche 6 juin 2021

Okonomiyaki


Makiko a trente-neuf ans, quarante à la fin de l'année. Elle est actuellement hôtesse dans un bar. Si je dis ça, on va croire qu'on a tout compris, mais d'abord des hôtesses il y en a de toutes sortes. En fonction du quartier, on peut deviner le salaire, le type de clientèle, le type de services. Bien sûr, à Osaka, il y a des quartiers de bars où on boit comme à l'abattoir, mais celui où travaille Makiko, c'est dans le quartier de Kyôbashi. C'est très local, disons, pas du tout le genre d'endroit où on va pour trouver quelque chose de classieux. C'est rempli de nomiya où on consomme debout et de game centers aux couleurs fanées, où contre une librairie indépendante dont la bicoque penche d'un côté on trouve un restaurant de viande grillée long et étroit comme un couloir, lui-même accolé à un club de rencontres clinquant à piquer les yeux ; ensuite on a un restaurant de fugu, sauf que dès la première bouchée tu peux être sûre que celui-là n'a jamais vu de vrai fugu de sa vie ni de près ni de loin, le fond sonore est gracieusement offert par le pachinko d'à côté, il y a des loupiotes qui clignotent, un café très, mais alors très sombre avec des tables de mah-jong intégrées, un graveur de sceaux où personne n'a jamais vu le moindre employé ni le moindre client, et cetera et cetera ; on entends des hurlements de disputes, des rires, il y a des montagnes de bouteilles de bière cassées sur le côté de la rue, c'est un capharnaüm indescriptible. Mais faut pas croire, en fait c'est un endroit de profonde humanité, pas prétentieux, où le petit commerce est surtout... petit.
 
Makiko approche la quarantaine. Célibataire avec une enfant à élever, elle se pose des questions sur sa vie. Que faudrait-il changer ? Ses seins, peut-être...
 
Midoriko, sa fille, une adolescente de douze ans, elle aussi se pose beaucoup de questions. Notamment, sur ses premières règles. C'est répugnant, le sang qui coule entre ses jambes... et ses seins qui poussent. Pourquoi, ne peut-elle pas resté une petite fille ?...