vendredi 19 juillet 2019

Le Lion de Belfast


« Toutes les histoires sont des histoires d’amour. »

C’est ainsi que commence ce roman, dans le genre ballade irlandaise. Les histoires d’amour c’est mon kif, alors je fonce dans le premier pub, irlandais. Ça braille, ça crie, ça gerbe, mon univers. Des gamins qui se pintent, des vieux qui se pintent, des rousses qui se pintent aussi. Le ciel est gris, les nuages menaçants, la pluie arrive en trombe, les buveurs aussi. Mon élément, cette grisaille et ses bières. Et ça cause amour, des love story qui mijotent autant que l’irish stew dans une cuisine que l’on croit abandonnée. Une radio diffuse les grands titres du lion de Belfast, de quoi chavirer quelques cœurs autour d’une bonne bière, c’est que les histoires de cœurs sont au centre de toute une vie, le mien par exemple je l’ai donné à Van Morrison. Un flash-info, je coupe le son. Une nouvelle déflagration qui coupe cet élan de bonheur et d’ivresse. On s’y habitue presque dans les rues de Belfast. Des graffitis au mur, des bombes qui sautent, des sirènes, des cris affolés, des pleurs chagrinés, ainsi va la vie dans ses rues. Peut-être pour cette raison que chaque week-end est rythmé au son des verres qui s’entrechoquent.

« Il arrivait à pied de Four Winds parce que ce matin-là, il s’était réveillé sonné et nauséeux dans le minuscule galetas de Slat Sloane, dans Democracy Street. Le week-end habituel consacré à la biture. Quarante-six pintes et deux repas. Les distractions de Chuckie constituaient une forme d’évolution inversée. Il consacrait alors tout son temps et son argent à se rendre moins intelligent, moins évolué. Et, apparemment, d’énormes quantités de temps et d’argent étaient indispensables pour finir dans la peau d’un reptile protozoaire vautré sur le sol de la cuisine de Slat. »



Le grand roman de l’Irlande des années quatre-vingt. Pas moins que ça ! Les jeunes sont au pub, ils se bourrent la gueule, pensent aux filles en mini-jupes, je les accompagne, je me sers une pinte, deux mêmes, jusqu’à la biture et la passion de ces rousses à la poitrine généreuse, en bonne catholiques. Mais les protestantes sont plus lubriques. Parait-il ! Car la vie à Belfast se rythme aussi au son des sermons, opposition de religions. Les murs d’usines désaffectées se tapissent toujours plus de peinture et de sigles barbares. WTF et OTG. Et puis j’arrive tout simplement au chapitre 10. Je n’ai pas fini ma Guinness alors que je sens une atmosphère différente, pesante, palpable. Ce chapitre n’est pourtant qu’une mise-en-bouche, une entrée en matière sur le chapitre 11, chapitre anthologique sur l’Irlande. Tu veux sentir le pouls de Belfast, lis juste ce chapitre 11, phénoménal et glaçant. Peut-être mon plus grand moment littéraire sur les terres irlandaises.

« Le cousin de Chuckie et sa promise ont eu une prise de bec. L’une de ces engueulades à deux voix conduite à l’irlandaise (très bruyante). Je ne l’aurai pas juré, mais j’ai eu la nette impression que tout ce pataquès était dû au simple fait que la fille refusait de se raser les poils pubiens autour du maillot de bain. Les deux tourtereaux sont repartis dans des taxis différents. Beaucoup de bruit, ai-je pensé, pour quelques poils. »

Après cet intermède presque musical, presque poétique, qu’est le chapitre 11 qui marquera à jamais ta vie de lec-teur-trice, la vie reprend son cours, envie d’aller aux States, mais pour un irlandais, même sous les bombes et les décombres, la vie est à Belfast, Eureka Street. Je rallume la radio, musique. La pluie triste et morose s’abat, ambiance élégiaque dans un cimetière, sauf que je bois seul ma pinte dans ce pub, mon âme enfouie sous ma propre tombe.

« Oui, ce soir Belfast ressemblait à la ville de l’amour. A la ville du sexe. Ça paraissait bizarre. Ça paraissait anormal. Ça paraissait légèrement illégal et il me semblait qu’on ne m’avait pas invité. J’ai bu quelques bières.
Deux ou trois soirs plus tôt, je m’étais surpris à écouter un disque de Muddy Waters quatre fois de suite. J’écoutais du blues sans arrêt depuis plus d’un mois. J’avais toujours aimé les chansons de ces vieux Noirs déprimés, assis sur une vieille chaise en bois au milieu de La Nouvelle-Orléans et qui parlaient de femmes, oui, qui les avaient quittés, oui, parce qu’elles en aimaient un autre, oui, et pourtant ça allait, oui. Sauf que ça n’allait pas du tout, ah ça non. C’était affreux, ah ça oui, Je m’installais dans cette solitude, dans cette absence d’amour. Je commençais même à m’y plaire. »

Merci. 

« Eureka Street », Robert McLiam Wilson.
Traduction : Brice Matthieussent.




Parce que toutes les histoires sont des histoires d'amour, 
et que danse la lune, 
Blue Moon.

11 commentaires:

  1. http://eeguab.canalblog.com/archives/2006/10/16/3048325.html

    Quelques mots sur McLiam Wilson, bien que je ne connaisse pas Belfast. Mais je n'ai rien lu de lui depuis ces trois romans. Je ne connais pas d'Irlandais mauvais écrivain. Et puis un vieux noir déprimé sur une chaise en bois qui parle de femmes qui l'ont quitté, ça commence à me resssembler (sauf la couleur, sorry). Autant en emporte le Van. Merci cher Bison.

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    1. Va falloir que je lise cette douleur de Manfred...

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    2. en attendant que tu prennes ta guitare pour nous fredonner un air de Muddy...

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  2. Merci.
    Oui le chapitre 11 amené par le chapitre 10 sont inoubliables. On ne ressort pas indemne de cette lecture. Il pourrait suffire de ne lire que ces 2 chapitres. Même si ce livre est pour moi un chef d'oeuvre, lu en 1992 et relu le mois dernier.
    Te souviens tu que dans Eurêka Street on croise un ivrogne du nom de Ripley Bogle ?
    Je t'encourage à présent à aller à sa rencontre...

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    1. Merci à toi. J'avais déjà lu "Les Dépossédés", il y a quelques années, mais il me semblait un peu différent de ses Manfred, Ripley ou Eureka... Mais tant qu'il me reste de la Guinness, j'ai espoir de lire de l'irlandais...

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    1. Un grand moment dont je ne me lasse jamais. Sa version de GLORIA est une des plus belles de l'histoire de la musique, maintes fois reprises, mon cœur ne démord pas de la voix de Van...

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  4. Raaaahhh je j’aime ce Van Morison putin de bordel de merde ;-)

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  5. « Toutes les histoires sont des histoires d’amour. » - Si tu le dis... :-)
    Dans ton roman, les filles en mini-jupe pellète pas la neige et sont pas en mini de poils de castor... sans doute en poils de moutons...
    Je viens déranger la solitude de ta pinte que tu bois seul. Je t’offre un autre verre... hey Rufus!!!
    Une Guinness!

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    1. Moi, je ne dis rien, je me contente de les lire ces histoires d'amour, avec ma pinte solitaire ou avec celle qui m'offre cette pinte de Guinness qui ne peut se refuser...

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