mercredi 11 novembre 2020

Voisin, Voisine


Des odeurs de citrons charriées par le vent s’engouffrent dans les ruelles écrasées par le soleil de l’après-midi. Je déambule entre deux ombres, ombre de moi-même, en direction de la plage. Le regard perdu dans mes pensées, celles qui te font dire que ta place n’est pas ici, celles qui te proposent d’en finir de la plus belle des manières, en toute discrétion. Un air de trompette s’évapore d’une fenêtre, la suavité de Paolo Fresu, un air marin, un air de Sardaigne. La voisine y apparaît, à demi-dénudée, un gros sein qui prend l’air chaud du vent. Je la regarde, son sourire, la longueur de ses cheveux qui habillerait presque sa nudité. La chaleur écrasante toujours, la sueur perlante, je continue mon chemin avec mes tristes pensées, la mine solitaire n’écoutant que le vent se distiller entre les notes de Paolo. D’ailleurs ou justement, une nouvelle pensée s’aventure entre les habituelles, je repense à son album mystique « Mare Nostrum », la voisine a de sublimes écoutes en plus de sublimes courbes.   

 

« …elle était tellement fatiguée à cette heure-là, et il faisait si chaud, et elle passait les nuits à ne pas pouvoir dormir, à cause de ses pensées tristes, ne se tranquillisant que si elle arrivait à perfectionner son suicide. D’ailleurs, quel mal y a-t-il à se suicider, quand vous savez que votre enfant sera entre de bonnes mains… »


D’ailleurs ou justement, la question est là, celle qui accapare de longues heures de silence, comment organiser son départ… Comment faire d’un acte voulu et réfléchi le suicide parfait, celui qui consiste à faire croire aux autres que ce n’est qu’un accident, histoire de ne pas peiner, histoire de ne pas dire aux proches que vous n’aviez tout simplement plus envie…

 

La chaleur s’estompe légèrement, un dernier verre sous les oliviers, la nuit se fait, les ombres s’agrandissent sous le regard dévoilé de la lune. Une lumière à sa fenêtre qui s’allume, je me retourne vers elle, et la vois, l’observe, la mémorise comme on mémorise un sourire intimidant, un souvenir éternel. Et si un sourire ou une lune pouvait arriver à faire changer les plus tristes pensées, comme des ondes sensuelles.  

 

« Une nuit où elle traînait sur le balcon et il y avait une lune qui semblait dessinée au fusain, et le vent apportait l’odeur de la mer et les arômes du jardin, elle le vit tout à coup devant elle, le voisin.

[…] Elle s’y attendait tellement peu qu’elle n’avait sur elle que sa combinaison transparente aux bretelles déchirées qui laissait un sein découvert. »

 

« Mon Voisin », Milena Agus.

Traduction : Françoise Brun.




8 commentaires:

  1. Je l'ai quelque part mais pas encore lu.
    J'ai eu la chance de rencontrer Milena Agus aux Littératures Européennes Cognac et j crois bien lui avoir fait dédicacer un roman pour une certaine bûcheronne si mes souvenirs sont bons....

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    1. Une belle chance de la rencontrer effectivement autour d'un cognac, elle a l'air si réservée...

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    2. En effet :-*
      Bon... j'ai une corde de bois à aller bûcher, calvaire ^^

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    3. et des frettes à boire, tabarnouche de câlisse ^^

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  2. Ma voisine à moi, c'est pas vraiment ça. Mais là, l'Italie, Paolo Fresu (un de tes chouchous, je crois), je dis Si, Signora.

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    1. Avec ta passion pour ce pays, j'aurais pensé que tu aurais justement choisi une voisine italienne.

      Paolo le Sarde, je suis obligé de le ressortir lorsque je lis Méditérannée et Sardaigne. Mais oui, je l'aime beaucoup, une nouvelle vague dans le jazz italien...

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  3. Ah Milena Agus et ses odeurs d'Italie... c'est fou comme le destin peut modifier sa course folle à la vue d'un voisin. Le mien, c'est pas vraiment ça comme dirait notre ami plus haut, mais sa danse quotidienne sur son balcon a de quoi me distraires ^^
    Ah Milena, quelle belle plume :-*

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    1. Ah... Milena... J'avais eu une première impression magnifique... et puis une seconde, moins emballante... mais avec ce riquiqui texte d'une cinquantaine de pages, j'ai retrouvé un charme plein et fou... Comme quoi c'est pas la taille qui compte, et ce qui est riquiqui peut être mignon aussi...

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