samedi 2 mai 2020

On dirait le Sud

Un endroit où aller... une promesse dans cette collection d'Actes Sud. On dirait le Sud, avec ses odeurs, ses parfums, sa chaleur et sa moiteur. On dirait le Sud, Le temps dure longtemps, Et la vie sûrement Plus d'un million d'années, Et toujours en été. On dirait le Sud et ses silences en ce début d'après-midi où seuls quelques vieux n'ont pas bougés de leur chaise en fer forgé sur la place centrale, comme momifiés par la sécheresse de l'air andalou. Un soleil hurle sur les plaines brûlées par tant de lumière. Lunettes de soleil, verres teintées de noir de jais, direction l'Andalousie, d'une côte à l'autre, d'un océan à une mer, de Gijon aux marais salants d'Isla Cristina, Santa Cristina et sa San Miguel, le vent me dévie vers Almeria. Refrains d'enfance.

En trois lieux, l'auteur me plonge dans ses souvenirs avec ses touches de nostalgie, ses brins de mélancolie et ses découvertes liées à l'adolescence. La Plaza Del Sordo, le Lycée Noir, la Calle Noya. Des essences pour chacun de ces paysages, comme un subtil mélange de parfum d'orange et de fleurs de jasmin, l'amour est au détour d'une crique, la zarzuela mijote dans la cuisine de grand-mère qui ne veut surtout pas qu'on l'appelle abuela ni même abuelita.

« le temps de procéder à quelques manipulations mystérieuses, agitant ses moulins à condiments au-dessus d'un grand plat en céramique, Mme Issambra venait poser sur la table une zarzuela encore fumante. A droite on trouvait des olives noires arrosées d'huile, à gauche une large marmite de blé doré et, tout à l'extrémité de la nappe, ce gâteau praliné qui n'existait nulle part ailleurs, dans aucune pâtisserie de la ville, sorte d'antiquité gourmande, couverte de crème d'amande et d'un mince filet de sucre noir, dont le nom m'échappe obstinément depuis que je ne vis plus en Espagne. »

Dans cette vie d'antan, il y a ce grand frère que l'on suit au début, que l'on veut imiter, et une certaine complicité. Et puis l'âge venant, de l'un puis de l'autre, les chemins se séparent, souvent à la première mobylette. Il ne peut plus le suivre, et l'indifférence prend en lieu et place de cet amour fraternel. L'âge aussi de la grand-mère qui un jour ne se réveilla plus. Les liens étaient pourtant fort, alors à défaut de comprendre ce départ, il imagine son ombre, comme un fantôme présent dans son salon. L'internat, le lycée, les années où il rêve d'une fille aux jambes caramélisées, la plus belle, du genre celle d'une vie,  dans le silence d'une crique, dans le fracas du ressac de la mer. Il ramasse des galets, en souvenir de chaque rêve éveillé.

Un bout de désert au détour d'un coin de rue, la ville a cessé d'exister au-delà. Le vent chaud soulève la poussière, des poussières de vie qui s'étalent à tout jamais dans le souvenir de ces plaines andalouses qu'il a vu si souvent en songe. Son Shazam à lui, le Concierto de Aranjuez, avec cette question sans réponses : Quelle version ? Une multitude s'offre à lui, Miles Davis, Paco de Lucia, Pepe Romero, Miloš Karadaglić... Cet après-midi, sous un soleil de plomb, les yeux fermés par la poussière, la gorge nouée par la poussière, il se décide pour un esprit plus jazzy, un cœur espagnol, Chick Corea...

« Le soir, je pensais à ce qui se trouvait de doux et de renflé sous le chandail de Sandra. C'était un défilé de sensations muettes : l'arrondi, le pâle, le tremblant, le pincé, le soyeux, l'éléphantesque, le pulpeux, le lisse parfait. Je l'imaginais qui respirait en soulevant sa poitrine ou roucoulait une phrase doucereuse dans mon oreille. Je vissais sur sa jambe le pied nu de Beatriz. J'osais même lui greffer pendant quelques minutes la fesse douce de Bettina. Je lui fabriquais un ventre souple et des hanches grasses avec les souvenirs d'une virée sur la Playa de la Dona de Mazarron qui remontait à la dernière fête de Ferragosto. Il m'était facile dès lors de déplacer ma langue de ses lèvres vers ses cuisses et son pubis. Il existait une surface continue et bien organisée sur laquelle mon imagination pouvait glisser sans risquer de se perdre. Je substituais aux profondeurs de sa bouche, que j'avais consciencieusement inspectées, celles de son vagin que je me représentais, sur cette carte mentale, comme un étroit tunnel de sang. »

… et en profite pour souhaiter un bel anniversaire à toutes les andalouses...

« Almeria », Olivier Dubouclez.


14 commentaires:

  1. Salut, le Bison
    Titre plein de mystère et de soleil, mot magique prononcé avec douceur dans une chanson.
    A chaque mouvement
    On entendait
    Les clochettes d'argent
    De ses poignets
    Agitant ses grelots
    Elle avança
    Et prononça ce mot
    "Almeria"
    Initials BB, S. Gainsbourg

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    1. Bien vue ! Je ne me souvenais plus de ces paroles...

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  2. et toujours des extraits choisis avec régal. Et un bonus avec le magistral Chick Corea

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  3. Chuck Corea me va si bien.
    Muchas Gracias ...

    <3

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    1. Chuck?! Tu aurais une passion pour Chuck... NORRIS! Le seul Chuck que je connaisse... :-)

      J'aurais cru que tu étais plus Chick... Encore foiré !!!

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    2. Et ça le fait rire Bibi !
      Gna gna gna ;-)

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  4. Almeria ça me fait penser à Gainsbourg moi.
    Ouf tu n'as pas choisi Miles que je ne porte pas dans mon coeur. Très arabisante la version Chick.
    Mais je préfère les guitares de Paco ou Peppe.
    Je suis allée à Almeria. Il n'y pleut qu'un jour par an. C'était ce jour là :-) Mon Jules, cet aventurier, m'a emmenée dans le désert. Terrorisée, surtout quand un type chelou armé jusqu'aux dents a surgi de nulle part.
    Pour me détendre nous sommes allés visiter le site où ont été tournés les westerns spaghetti. De faux cowboys rejouent les scènes... Il y a encore l""arche" où etait pendu le frère de l'homme à l'harmonica dans Il était une fois dans louest.
    Ma vie est (était) passionnante non ?

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    1. Miles, je l'avais déjà sorti... Il faut varier les plaisirs... Et puis j'ai trouvé cette version de Chick que je trouve sublime avec la danseuse. On sort presque de l'Andalousie pour rejoindre l'orient, mais après tout, l'Andalousie c'est le mélange de l'Espagne et des Maures, me semble-t-il... Waouh, le frère de l'homme à l'harmonica encore pendu, il a du bien sécher depuis... :-)

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  5. Santa... Cristina...
    Je ne sais pas pourquoi, je trouve que ça fait bizarre mis ensemble... ^^

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    1. pas de commentaire.
      Je suis du genre à idéaliser les personnes chères.

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    2. Pfffft réponse a la Grenouille !

      ;-) à Bibi

      Slurp à vous deux ! :)

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  6. Un beau livre forcément, pour un très bel anniversaire <3
    À la santé de Cristina avec une San Miguel ou une Blanche de Chambly :-*

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    1. un beau voyage nostalgique en terre andalouse, avec les premiers émois pour la beauté andalouse... Il parait que le soleil caramélise les jambes et la lune bleuit la terre poussiéreuse...

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