lundi 15 août 2022

Un 15 Aout


"Cet été-là, je revins avec un sentiment familier mais que j'identifiais seulement. Celui de renouer avec un bonheur certain. Chaque année se rejouaient ici les mystères d'une vie entière résumée en quelques semaines. Il y avait d'abord la monotonie des jours qui se confondent. Et puis l'attente. Avant le basculement de la mi-août, la précipitation douloureuse de dernières soirées dans la lumière d'automne déjà. La fin.

Août était le mois qui ressemblait le plus à la vie. "
 
Le mois d'août amène sa lumière d'été. Les valises embarquées dans le train, je me réfugie pour des vacances en Bretagne. Là-bas un cousin viendra me chercher. Là-bas, il y reste encore quelques vieilles tantes, un peu moins de vieux oncles, et la grand-mère, si fragile posée dans son fauteuil près de l'âtre de la cheminée qu'on ose à peine l'embrasser de peur de la voir se réduire en poussière. Certaines poussières sont contagieuses et se propagent comme la tristesse des types comme moi. Mais oublions tout ça, le début des vacances s'arrose de quelques bières, des retrouvailles, des que deviens-tu, des enfants qui crient, qui rient, qui pleurent. Au petit matin, j'ai toujours été du matin, pour profiter de sa fraîcheur, du silence de son café, je regarde cette vieille bâtisse en pierres, ayant survécu aux vents, aux marées, aux sables, au blitz et à je ne sais quel mouvement lunaire. Cette maison d'enfance, on la quitte un jour, mais on y revient toujours, pour les vacances au mois d’août. Au loin, j'entends le cri des mouettes qui voltigent autour des bateaux de pêches. Au près, le tintement d'une petite cuillère dans la tasse à café, et la tante, toujours la même qui s'active en cuisine, pour laver les verres de la veille ou griller le pain frais du matin.
 
"Mais en Bretagne, dans cette terre que j'avais laissée vivre sans moi, qui n'avait pas changé, où de vieux parents se faisaient enterrer, un sentiment beau et douloureux d'appartenance émergeait désormais. Si notre pays est celui où l'on a les plus grands souvenirs, alors j'étais d'ici. Alors j'étais de cette terre entre dunes, champs et bruyères, de cette presqu'île lovée entre deux bras de mer." 

Les hortensias exposent leurs couleurs à l'ombre de la treille de vigne sauvage. Dans la moiteur de cette journée, au retour de la plage, à contempler des jeunes femmes timides, des femmes mures sans complexe, des crabes qui courent de travers, des mouettes qui crient ô hey, ô hey, des bunkers ensablés, la mélancolie m'enveloppe de son ombre de souvenirs. Les repas de famille qui s'éternisent, les apéros entre cousins sans fin, les retours de discothèque au petit matin, tous ce brouhaha pendant un mois où des valises viennent et partent, des bises, de bonjour ou d'au-revoir à l'année prochaine. Et puis ce petit cousin qui vous fait dire que vous n'êtes plus vraiment un cousin mais un tonton. Le temps passe, la poussière s'écoule dans le sablier de la vie, les vagues y lèchent le rivage, le visage se porte vers la lune, d'un bleu brillant et silencieux, le regard sombre vers sa solitude. Un magnifique moment, éloge de la lenteur et du spleen, nostalgie de vos plus jeunes années et pourtant la poussière de sable avance inexorablement. Un jour elle ensevelira totalement ces vieux cubes de bétons qui jonchent encore un peu les rives de la Bretagne, là où des enfants jouent encore dans ces bunkers d'une guerre que les anciens ne veulent pas oublier, là où des adolescents fument leurs premières cigarettes, s'embrassent et se touchent de plaisir et d'interdit. Sur la table, la bouteille de Pastis est toujours de sortie, comme ce vieux chat qui n'a plus de nom ni de poil. Je sers une nouvelle tournée, à ceux qui y sont déjà attablés, sans demander. Le Pastis ne se refuse pas, c'est la religion du dimanche, le calice de notre foi.
 
Sur ce dernier verre, je vous abandonne, ma valise m'attend, fermée, linges pliés parsemés de quelques grains de sable, encore quelques crachins d'iodes, encore quelques rayons de soleil, les volets se ferment jusqu'au mois d'août prochain. A moins que...   

"Nous fîmes l'amour en silence. Il restait sur ses oreilles du sel de son dernier bain de mer."
 
"Que reviennent ceux qui sont loin", Pierre Adrian
 

 

2 commentaires:

  1. Je lis, les lignes défilent, je vois ces grains de sables d'une vacance à peine achevée, j'entends en écho le rire des enfants, les souvenirs d'une autre époque, des bunkers qui pleurent et témoignent d'un temps...
    Et je me dis que ce beau roman est nostalgique... <3
    J'aime la nostalgie, elle m'impose de ne jamais oublier...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. un magnifique roman, d'une poésie et d'une nostalgie émouvantes avec des grains de sable qui collent à la peau...

      Supprimer