mardi 10 janvier 2017

Police des Rennes

« Lundi 10 janvier.
Nuit polaire.
9h30 Laponie centrale.
C’était la journée la plus extraordinaire de l’année, celle qui portait tous les espoirs de l’humanité. Demain, le soleil allait renaître. Depuis quarante jours, les femmes et les hommes du vidda survivaient en courbant l’âme, privés de cette source de vie. Klemet, policier et rationnel, oui rationnel puisque policier, y voyait le signe intangible d’une faute originelle. Pourquoi, sinon, imposer à des êtres humains une telle souffrance ? Quarante jours sans laisser d’ombre, ramenés au niveau du sol, comme des insectes rampants. Et si, demain, le soleil ne se montrait pas ? »

Et si je t’emmenais dans le noir, du matin au soir, à la lueur des étoiles ou des aurores boréales. Demain, le soleil aura décidé de se lever pour quelques minutes avant de se dissoudre de nouveau dans la nuit. Demain, mon cœur et mes doigts se réchaufferont de la chaleur du soleil, juste une demi-heure. Demain, je ferais connaissance de la police des Rennes. Tu connais la police des mœurs ? c’est la même chose mais pour les rennes. Il faut contrôler que certains rennes n’aillent pas forniquer avec des femelles d’un autre cheptel.

Un lapon mort, qui va garder son troupeau de rennes ? Un tambour disparu, danse autour du feu, rite lapon ou veillée funéraire ? L’homme est avide de richesse, l’homme est malveillant, l’homme est pourri, de nature. Même en Laponie, l’âme humaine démontre toutes ses faiblesses et son engouement pour le pouvoir et les richesses. Même en Laponie, un homme peut se faire tuer, pour un secret. Les oreilles découpées. Même en Laponie, un homme peut se prendre une baffe par sa partenaire lorsqu’il l’embrasse. En somme la Laponie et ses hommes, ça ressemble à ma ville et ses autochtones. Sauf qu’à l’évocation de la Laponie, mes yeux pétillent devant les aurores boréales, mon âme frétille devant le string rouge de la Mère Noël, mon majeur se réchauffe du tord-boyau maison. Bref, la Laponie a ce pouvoir de me faire rêver et de me sortir de mes errements d’une nuit d’hiver même pas froide et sans étoiles.    


« Dans un tel lieu oublié du monde, aux confins de tout, le visiteur comprenait vite qu’on ne pouvait devenir qu’alcoolique ou mystique. Karesuando n’était pas un lieu qui autorisait la nuance. Ici, le gris était condamné. Noir ou blanc, il fallait basculer. »

Les rennes ne connaissent pas les frontières. Rassemblée entre La Suède, la Norvège et la Finlande (oublie la Russie, même un renne ne voudrait pas y franchir la frontière), la Laponie s’ouvre à mes yeux, son peuple, ses ancêtres, sa vie sous une tente, ses chamans, et ses exclusions. Les lapons se sentent occupés par les norvégiens, ou les suédois… Les norvégiens pensent que le gouvernement donne trop d’importance aux lapons, histoire d’absoudre leur péché d’extermination des années précédentes. Bref, le lapon n’est jamais à sa place, comme ces troupeaux de rennes qui broutent sur des territoires qui regorgent de ressources minières.

Mais cette nuit, je profite de la nuit, de ses étoiles, des lueurs évanescentes dans le ciel, dans le silence absolu, crissements de pas dans la neige confondus, brames du renne dissolus. Qui sait de quoi demain sera fait ?   
 
« Mardi 11 janvier.
Lever du soleil : 11h14 ; coucher du soleil : 11h41.
27 minutes d’ensoleillement. »

Je remercie avec chaleur et vodka Zubrowska mon p’tit Bibi de m’avoir embarqué dans un pays aussi froid que noir, aussi éloigné qu’une neige immaculée au sommet d'une montagne alpine.

Le Dernier Lapon, Olivier Truc.

Dans le cadre de la session 31 de
Lire sous la Contrainte


21 commentaires:

  1. Moi aussi j’ai un faible pour le string rouge de la mère Noël, enfin je voulais dire pour la Laponie.

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  2. Il faut absolument que je lise cet auteur...

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    1. Il ne révolutionne pas le polar, encore moins nordique, mais il crée une ambiance entre les rares éclats de soleil. Il nous plonge dans un monde de neige, de froid et de silence. Et des traditions lapones.
      Donc, oui, il faut que tu le lises même si le suspens n'est pas grandiose, on le lit avant tout pour la neige, les ballades dans le blizzard et les tords-boyaux locaux.

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  3. Tabarnak, c’est le genre d’endroit au monde qui me plaît et qui titille de questionnements mon mononeurone. Pourquoi la lumière du jour s’il y a les étoiles et les aurores? Pourquoi mettre une combinaison thermique quand y’a des strings en poils de rennes? Ça va peut-être « fretter » mais le silence des étoiles et les yeux qui pétillent ça n’a pas de prix. La noirceur du jour est dans les yeux ou dans le cœur? C’est pas un peu à nous d’en capter la lumière même dans le noir? Voilà, c’était tout pour mes réflexions existentielles ^^
    Après, on l’emmerde la police des Rennes, peuvent pas forniquer où ils veulent? :D
    Beau cadeau de Phil, un auteur qu’il me tarde à découvrir...

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    1. Imagine une route, la neige autour et l'horizon qui disparait avec la ligne de neige. Tabarnak, qu'y a-t-il au bout de la route ? Le vide ou la vie. Le vide de ma vie. Qui sait ? Quand on a pas été jusqu'au bout de cette route, on ne saura jamais ce qui se cache derrière se mur de neige, derrière cet horizon de blizzard, derrière le silence de ces lieux. Et puis là-bas, ça frette grave sous les étoiles.

      Une dernière réflexion pour ce soir ? FUCK le blizzard !

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    2. Ça frette en crisse! Le blizzard? Le blizzard......... FUCK le blizzard! J'm'en vais méditer là-dessus...

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    3. On est tellement nombreux à être un peu bancals un peu bizarres
      Et dans nos têtes il y a un blizzard
      Comme les mystiques losers au grand cœur

      Nique sa mère le Blizzard
      Nique sa mère le Blizzard

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  4. Il faut qu’on sonne l’alarme, qu’on se retrouve, qu’on se rejoigne
    Qu’on s’embrasse, qu’on soit des milliards de mains sur des milliards d’épaules
    Qu’on se répète encore une fois que l’ennui est un crime
    Que la vie est un putain de piment rouge

    Nique sa mère le Blizzard
    Nique sa mère le Blizzard

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    1. Des paroles fauve et sauvages, Tabarnac le Blizzard

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  5. Un style qui va bien. Des phrases simples qui n'enlèvent rien bien au contraire, puisque en feuilletant les pages, on s'imagine bien le lieu. Et on espère avoir chaussé les bonnes groles pour affronter ce climat!
    Un clin d'œil à Olivier de nous interroger sur ces minorités dont on bafoue leurs droits.
    Pour le polar a proprement parlé, c'est du polar du nord avec ces codes.
    J'ai bien aimé me balader là-bas tout en restant chez moi au chaud. Une pensée à Nina ...

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    1. Et l'auteur est correspondant journalistique en Suède. Il est donc bien imprégné de cette neige nordique et s'est beaucoup intéressé à l'histoire et la cause de ces Samis. J'aurais très bien pu me retrouver en Terre Inconnue, mais gelée, glacée, sous le blizzard, une belle promenade que tu m'as proposé, une immersion sous la neige à défaut d'en voir dans tes montagnes...

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  6. Un auteur que je ne connais pas, mais que je rencontre assez souvent. A découvrir plus tard...

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    1. A découvrir plus tard, mais je viens de me rendre compte qu'il rentre dans ton challenge...

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    2. OK Lien noté. Merci et bon weekend.

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  7. Bonsoir le Bison, ce premier volume est à mon avis le plus réussi des trois romans déjà parus. Bonne soirée.

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    1. Probablement que l'effet nouveauté y est aussi pour quelques choses. La découverte d'un peuple et de la Laponie. Les histoires en Laponie ne sont pas si fréquentes. Et puis, je trouve qu'il est aussi difficile de se renouveler dans un polar surtout dans un lieu aussi singulier que la banquise lapone.

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  8. un régal ce polar. Il vient d'en écrire un autre dans ces mêmes contrées polaires

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    1. Un autre et plusieurs autres mêmes. Un régal ces contrées polaires mais attention tout de même de ne point trop en abuser. L'eau-de-vie polaire attaque fort, même les cafards !

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