jeudi 27 juillet 2017

L'éveil de Léveillé, un tonneau de Rhum au Canada

L’orage gronde, le ciel devient noir, black is back, un noir devant moi, il me sert un verre de rhum, couleur ambrée, rhum de la Martinique. La chaleur m’envahit, comme la flemme dans mon hamac, une négresse joue de sa feuille de bananier, gros seins nus qui se balancent, je me balance dans le hamac, les esclaves faut que ça serve, ses charmes me tiennent éveillés. La Martinique, première partie de mon voyage où je découvre l’avis d’un « éveillé », Mathieu Léveillé. Normal qu’il se réveille après une séance de torture, sous le coup de la loi. Je ne comprends pas pourquoi abîmer la marchandise, en lui coupant un jarret. Toujours est-il que ce cher Mathieu (enfin pas si cher que ça, ça ne vaut pas le prix d’un kilo de café ou d’un tonneau de rhum) est condamné avec ses deux jarrets à la pendaison, avant même un café noir.

« En 1685, le Code noir, texte juridique réglant la vie des esclaves dans les îles françaises, est promulgué et le marronnage, officiellement puni :" L'esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour où son maître l'aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées, et sera marqué d'une fleur de lys sur une épaule. S'il récidive une autre fois, à compter pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé et sera marqué d'une fleur de lys sur l'autre épaule. La troisième fois, il sera puni de mort", stipule l'un de ses 60 articles. »
Pendant que je balance toujours mes rêveries coloniales au grès de la bise et du hamac, Mathieu Léveillé broie du noir dans sa cellule, dans le noir. On ne va tout de même pas installer une lumière, encore moins tenir la chandelle à ses désirs de fuite. Mais une étrange proposition lui sera faite, qui le tiendra éveillé toute la nuit. Quoi qu’il n’ait pas vraiment hésité bien longtemps, le noir veut vivre. Pour échapper à la corde, il se voit proposer un job, un peu mieux payé que rien du tout, et c’est toujours mieux que de s’exercer aux nœuds coulants. Quoi que dans son nouveau métier, il devra savoir faire autant les nœuds marins que ces nœuds coulants. Et hop, destination le Canada, qu’à l’époque on appelait encore Nouvelle-France, pour rester esclave mais devenir bourreau. Plus de chaînes à ses pieds, désormais, ce sera lui le maître des clés, des cadenas, des chaines et des brodequins.
« Par la fenêtre de sa cellule, il aperçoit la mer. Une mer turquoise, démontée par moments. Les alizés soufflent depuis des jours, apportant de la fraîcheur à toute l’île. Cela fait des semaines que Mathieu est enfermé. Il ignore pourquoi il a accepté la proposition qu’on lui a faite. Ou plutôt, il refuse de se poser la question. Faire souffrir des êtres humains, après avoir tant souffert, est-ce moral ? Est-ce raisonnable ? Il n’en sait rien. Il ne veut pas savoir.
Il veut continuer à vivre. Alors ? Comment refuser ? »

Au Canada, il fait frette. Mathieu qui n’a vu que le soleil de Martinique, et ses ancêtres le soleil de l’Afrique, en fait la douloureuse expérience. Attention à ne pas geler ton gros majeur, dans ce tourbillon de blizzard, fuck le blizzard dira-t-il même. Et puis, au Canada, il est seul. Il se sent seul. Les administrés l’ont bien compris, un homme seul, ça déprime et ils ne veulent surtout pas perdre leur nouveau bourreau qu'ils ont eu tant de mal à engager. Il faut d’urgence commander une négresse esclave en Martinique pour la faire femme et épouse. En attendant, pelleter la neige sur la place publique et continuer le job, le fouet, la torture, les exécutions. Même s’il est toujours seul parce que personne, noir ou blanc, ne veut fraterniser avec un bourreau.

Serge Bilé, d’origine ivoirienne, est journaliste à France Télévision, correspondant en Martinique. Il a beaucoup écrit sur l’esclavage et milite activement pour que le lecteur ou les administrés n’oublient pas cette période sauvage et inhumaine qui traite certains hommes comme de la marchandise – qui ne vaut d’ailleurs pas grand-chose – simplement parce qu’ils sont noirs et de fait esclaves. De Mathieu Léveillé, il ne sait au final que peu de faits de sa vie. Les grandes lignes, et de conjectures en conjectures, il reconstruit son histoire, sur des faits vérifiés et sur des suppositions. Difficile de se mettre à la place de cet esclave devenu bourreau, mais toujours est-il que cette histoire extraordinaire se lirait presque comme un roman et qu’elle fait partie de l’histoire de notre pays et de celle de la Nouvelle-France qui deviendra quelques années plus tard, terre canadienne. 

« Elle est noire.
Elle est amoureuse d’un Blanc. Elle s’est enfuie avec ce dernier pour échapper à sa condition. Elle est donc forcément coupable de l’incendie. La cour confirme la condamnation à mort, mais en atténue certains points. L’accusée n’aura pas le poing coupé préalablement. Elle sera pendue puis étranglée, avant d’être brûlée. La cour confirme qu’elle devra au préalable être torturée « pour avoir par sa bouche révélation » de ses complices. Les juges ont choisi, pour lui arracher des aveux, de la soumettre aux brodequins. Cette torture est pratiquée en France et dans ses colonies jusqu’en 1780 pour arracher des aveux. Inscrite dans le système judiciaire du Moyen Âge et de l’Ancien Régime, elle est destinée à broyer la partie inférieure des jambes. Souvent, les os éclatent. Le supplice est tellement insupportable que les personnes qui la subissent préfèrent le plus souvent, pour faire cesser les souffrances, avouer rapidement, même quand elles sont innocentes des crimes dont elles sont accusées.[…] Mathieu Léveillé est chargé de torturer la condamnée à mort dans une salle de la prison de Montréal. Il doit appliquer la sentence de bout en bout sans faillir et sans protester. Jusque là, il était resté à l’écart du procès de Marie-Josèphe-Angélique. Pour la première fois de sa jeune carrière de bourreau, il va torturer et exécuter pour de vrai. On ne lui demande pas son avis.
On lui demande de tourmenter une jeune femme qui a la même couleur de peau que lui. Qui est esclave comme lui.
A-t-il eu pitié d’elle ? Se sont-ils regardés ? Cette scène a dû être d’une insoutenable émotion pour Mathieu et d’une insupportable souffrance pour Marie-Josèphe-Angélique. A quoi pense le bourreau ? Quels sentiments l’animent ? Se sent-il solidaire de cette femme qui aurait pu être sa sœur ? Est-il au contraire indifférent à son drame parce qu’elle lui rappelle sa propre douleur voire sa déchéance ? On n’en saura jamais rien. On ne peut qu’imaginer et se perdre en conjectures. »

« Esclave et Bourreau, 
l’histoire incroyable de Mathieu Léveillé, 
esclave de Martinique devenu bourreau au Canada », Serge Bilé.



7 commentaires:

  1. Quelle barbarie que l'esclavage!
    C'est un sujet qui me fascine parce que je n'le comprends pas.
    Des études ont démontré, en prenant un groupe cohorte de plusieurs enfants, que la "différence" est acquise dans le milieu familial et l'environnement direct. Quand on demande à un groupe d'enfants d'énumérer les différences entre eux et le petit ami noir, aucun ne répondra la couleur de la peau, ils parleront de la longueur des cheveux, du genre et de mille autres caractéristiques. Les gens sont socialisés à craindre leurs prochains. Ça m'affole...
    Je vais bientôt tendre le bras vers ma table de chevet pour saisir ce livre que j'me meurs de découvrir et qu'un gars dans son ranch m'a gentiment fait parvenir par delà l'océan jusqu'à la banquise, là où y fait frette en tabarnak ;-)
    Fuck le blizzard! :D
    Sinon, ben j'attends toujours qu'on vienne me rafraîchir avec une feuille de bananier. Ou une feuille d'érable... ^^
    Crisse, j'attends pis j'attends et y'a rien qui s'passe. Où sont passés les hommes virils et bien poilus???? :P

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    1. Les hommes virils s'épilent, seuls les ours restent poilus ;-)

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    2. Un gars qui s'épile.... ARK!!!
      Tant qu'il a pas trop d'poils dans craque de fesses quand y s'dandine la graine à l'air pis le cul au vent...

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  2. Une belle écriture. Insicive. Et toujours de la super musique ici : j'aime beaucoup Arthur H et cet album est fantastique. C'est grâce à lui que j'ai découvert, il n'y a pas très longtemps je l'avoue, tous ces auteurs : Césaire, Glissant, Laferrière etc ...
    A bientôt.

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    1. Un magnifique album d'Arthur H. Comme beaucoup. Une voix, quelle voix ! J'ai aussi un peu découvert ces auteurs Laferrière, Césaire, Desportes, Depestre, Maximim, tous ces poètes de ces îles, avec ce disque... De beaux textes à lire et à écouter...

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  3. Tu as vraiment des lectures toutes guillerettes :-)

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    1. J'ai vu qu'il y était question de tonneau de rhum, alors j'ai plongé dedans, tout guilleret que je suis :-)

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