mardi 8 mai 2018

La Sonate du vent, d'ici et d'ailleurs


« Le vent a des hurlements de bête féroce. Au moment de quitter sa voiture, Yu a l'impression qu'un molosse enragé se jette sur lui. Il a un mouvement de recul. Le long des rues, papiers sales et sacs plastiques tourbillonnent sous la bourrasque. Quelques véhicules cahotent sur la chaussée éventrée en soulevant des nuages de poussière ocre. Les rares passants, silencieux, font la gueule. Les bâtiments bas à deux ou trois étages, passablement décrépits, couverts d'enseignes délabrées, semblent se tasser sur eux-même comme des chiens battus. On dirait que les rayons du soleil subissent eux aussi la loi du vent. L'absence d'arbre amplifie le sentiment de désolation. Où suis-je donc ? Se demande le nouvel arrivé. L'air lui colle à la peau comme une gale. Il se campe dans une posture de défense. Ouais, c'est pas la joie ! Et de secouer ses cheveux et ses vêtements comme pour en chasser une vermine. »

Sori, terminus. Tout le monde descend. Sorry, terminus d'une vie. Yu a mis le cap à l'ouest. Mutation indésirée comme le sentiment de se débarrasser de cet employé. Premier objectif, trouver ses nouveaux bureaux, mais toute la ville ne semble pas connaître sa société. Second objectif alors, trouver l'ancien responsable, mais toute la ville ne semble pas le connaître non plus. Étrange sentiment d'être dans un lieu hostile. Le vent, probablement, qui fait courber l'échine. La poussière, certainement, qui rentre dans les yeux, colle au costume, couleur ocre. Poussière d'une vie. Yu déambule, sans but même. Il y fera de drôles de rencontres, face au Sosan-bong, cet étrange montagne qui se pare de couleurs phosphorescentes certains matins.


J'ai l'impression de ne pas avoir tout compris, tant la complexité du roman se teint de philosophie et de mysticisme. Mais c'est justement ce sentiment d'être par moment perdu qui donne une valeur inestimable au roman. Pris par l'onirisme de l'auteur, je me souviens encore de « la vie rêvée des plantes ». Le style est différent mais j'ai cette même envie, une fois la dernière page tournée, de le relire, car je sais que je découvrirais une autre histoire à chaque nouvelle relecture. Il y a des romans qui méritent en effet plusieurs lectures tant le scénario est riche, l'auteur distille des moments de grâce, de rêve, de spiritualité aussi. Il y est question de foi, de croyance et de vie après la mort. Même mort, je crois que j'aurais envie de le relire, et de revivre cette histoire. En attendant, je me construit pierre après pierre ma demeure pour l'au-delà, pour l'après, pour m'abriter contre ce vent qui colle à la peau.  

« Yu ne se sent pas de taille à lutter contre un vent qui rugit comme un molosse en furie, contre les tourbillons de poussière ocre, contre l'air poisseux qui vous colle à la peau comme des tiques, contre la saleté des rues. Il ne peut que se plaindre. Même s'il avait voulu lutter, ces réalités ne se seraient pas laissées faire. Le vent, l'air, c'est à dire les molosses en furie et les tiques, étaient là avant lui, bien avant qu'il se décide à partir pour Sori, avant même qu'il apprenne le nom de cette localité. Ils n'ont pas été ajoutés un jour à Sori, ils lui sont constitutifs. »

Personne n'arrive à partir de Sori. Alors autant s'y faire, ouvrir son cœur, laisser parler son âme dériver sur une sonate du vent, d'ici et d'ailleurs, une bouteille de Glenfiddish 18 ans. Un single malt du Speyside vieilli partiellement dans des fûts de sherry avec des notes de noix fraîche. De couleur vieil or, le nez riche est marqué par d'élégante notes de vanille. La bouche souple est dominée par le sherry. La finale sèche se développe sur la noix et des notes florales. Petit aparté, non pas pour meubler mais pour les amateurs de whisky ou les amatrices d'un mari amateur de whisky. 

Merci infiniment, il n'y a pas que le champagne dans la vie. Il y a aussi la vie à Sori avec un verre de Glennfiddich.

« Ici comme ailleurs », Lee Seung-U.

 

8 commentaires:

  1. Ici comme ailleurs, ton breuvage a une bien jolie couleur...

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    1. Magnifique ! J'adore l'ingéniosité de ton commentaire... Sincèrement, merci.

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  2. OK...La prochaine fois, je dirai rien !!

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    1. Pfff. de toute façon, personne ne me croit quand j'écris sincèrement ce que je ressens...
      pourtant, j'avais bien adoré ton comm', Ici comme ailleurs, cette façon de rebondir du titre du roman à ton comm'... pfff. j'ai plus qu'à retourner à mon breuvage...

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  3. À lire ton récit, du Kafka là aussi.
    J'ai regardé la vidéo, écouté la sonate comme le moine devant le piano.

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    1. Même si je connais peu Kafka, je pense qu'il doit y être présent aussi dans ce roman.
      Magnifique sonate, quand je ferme les yeux, je m'imagine en ce moine...

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  4. J'aime bien les âmes qui dérivent sur les sonates du vent. Je connais même un bovidé qui parle à la neige :-)
    Hostie, c'est ça la vraie vie...

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    1. Il a pas l'air très frais ton bovidé pour parler à la neige...

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