lundi 29 avril 2019

Fleur de Geisha

Et si je levais un peu les yeux de mon bouquin...

« - Le printemps est là, a-t-elle murmuré en flairant le vent. Les cerisiers n'allaient pas tarder à fleurir. Le ciel avait un sourire rose tendre. »

Sentir le vent bousculer ma crinière ondoyante et voir s'emmêler quelques fleurs de cerisier venir atterrir dans mon verre de bière. Regarder ces fleurs si éphémères embellir les vies de promeneurs anonymes, de belles amoureuses ou de sombres et tristes solitaires. Comme un feu d'artifice floral qui illumine les jardins à l'ombre du zen et des temples. D'ailleurs, question temple, je me retrouve à Kamakura. Splendide ville où règne le Daibutsu de sa majestuosité, des vagues qui se déchirent sur ses falaises, et de longues marches d'escalier pour atteindre l'antre sereine des nombreux temples égrainés aux abords de la forêt.

« Les oiseaux bavardaient gaiement, comme s'ils picoraient les vestiges de la nuit. »

Guider par quelques senteurs, animer par le plaisir d'un thé fleur de geisha, je découvre une papeterie que je n'avais jusqu'à présent jamais osé pénétrer. C'est que je suis timide et qu'il me faut du temps pour oser m'aventurer dans certains plaisirs de la vie. M'attabler à la terrasse, commander une bière, et la regarder, écrire, s'appliquer sur chaque syllabe calligraphiée, trouver le bon sens d'écriture, l'enveloppe adéquate, la qualité du papier, de l'encre, de la plume, surtout pas de critériums. Même le choix du timbre a son importance. Chaque chose a de la valeur dans la correspondance, même dans une lettre de rupture. 

« Au même moment, une bourrasque venue de la montagne a secoué les branches du cerisier pleureur. C'était comme le doigt de Dieu qui déposerait une douce caresse sur ma joue. »

Qui y'a-t-il de plus beau dans la vie éphémère d'un pauvre type que d'entrapercevoir le kimono ouvert sur cette toison brune à part justement voir un cerisier pleurer de ses milles fleurs. La jeune et belle Hatoko, loin de mes fantasmes lubriques et mal perçus, reprend la papeterie de l’Aînée, sa grand-mère. Et par la même occasion se lance dans le métier, ô combien incongru en cette période 2.0, d'écrivaine publique. De cartes de vœux aux mots de rupture, de lettres d'amour au derniers mots d'un amour, elle y met tant d'âme, de beauté et de bonté dans chacun de ses gestes, dans chaque mot ou chaque kanji employé. Elle laisse surtout la lettre reposer une nuit auprès de l'autel sans cacheter l'enveloppe, la nuit étant le royaume des ancêtres, leurs conseils de bienveillance s’immisceront à l'intérieur.

« La Papeterie Tsubaki », c'est du bel ouvrage qui fait du bien à la vie, comme un bon verre de Nikka. Ou un verre de vin blanc accompagné de la personne choisie. Ou une bonne bière. Parce qu'au final, lorsque la papeterie tire son rideau, on boit pas mal dans ce roman d'Ito Ogawa dont les effluves maltées se mêlent harmonieusement avec celles d'un thé et d'une fleur de cerisier. Il y est question d'âme et de tristesse, de peine et d'amour, de moi et de Kamakura.

Et si je reposais mes yeux vers mon verre de bière...

« Dans l'air printanier encore un peu frais, j'ai savouré ma bière, les yeux arrachés à l'arbre. »

Merci. Infiniment.

« La papeterie Tsubaki », Ito Ogawa.
Traduction : Myriam Dartois-Ako.


« En attendant que l'anguille soit prête, il a commandé une bouteille de bière.
Un ravier nous a été servi par la même occasion.
Dedans, il y avait plein de foies d'anguille.
- Du foie confit à la sauce soja. Ça se marie bien avec la bière.
Il devait aimer ça car il plissait les yeux d'un air ravi.
Il m'avait servi un verre de bière et je m'apprêtais à lui rendre la pareille
quand il m'a réprimandée :
- Tu n'es pas ma bonne, tu n'as pas à faire ça.
Je m'étais encore fait disputer.
Peut-être a-t-il remarqué mon abattement, car il a repris, radouci :
- La bière, c'est meilleur quand on la verse soi-même.
Servi par une morveuse comme toi, ça va donner du pipi de chat. »

8 commentaires:

  1. C'est pas un nikka sur la photo ;-))

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Si... grande connaisseuse des plaisirs nippons...

      Supprimer
  2. Ito Ogawa est douceur et poésie. Beauté, caresse de l’âme et du coeur <3
    Chacun de ses romans sont une invitation à la vie...
    Que c'est beau (je parle de tes mots pour parler d'elle)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Les mots à elles sont nettement plus beaux que les maux d'un bison poussiéreux...

      Supprimer
  3. Je suis si heureuse de savoir que ce livre m’attend sur ma table de chevet ! :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu as donc au moins un livre magnifique sur ta table de chevet...

      Supprimer