samedi 10 août 2019

Les Jambes Grises


Je m'endormis et rêvai aux bâches avec lesquelles nous avions recouverts les morts, cette nuit-là, et dans mon rêve elles se soulevaient et nous pensions que c'était le vent et nous avions beau planter les piquets elles se soulevaient encore. Nous les retenions avec nos mains de toutes nos forces mais une force plus grande continuait de les soulever et chacun au fond de lui savait que c'étaient les morts qui poussaient avec leurs jambes grises. »

Allemagne, Juillet 1945. C'est la libération des camps, des prisonniers marchent en rang. En silence. Le silence règne sur les étoiles, sur le plafond de ma chambre. En silence, je découvre mon troisième roman de Hubert Mingarelli. Ne me demande pas d'où vient l'attrait pour cet auteur, je n'en sais rien. Si, demande-moi... Parce que je crois que ce que j'apprécie chez lui, c'est la poésie de son silence, un silence omniprésent dans les pages de ces récits. Celui-ci ne fait pas exception. Au milieu de cet univers, un photographe anglais parcours cette lande devenue misérable mais presqu'encore plus belle vidée de sa vie. Accompagné d'un chauffeur à ses ordres, ils errent tout deux, s'arrêtent pour prendre en photo des gens. Quelle motivation ? Peu importe... Quel secret se cache derrière ces deux personnes ? Je ne saurais dire... Pourtant... oui pourtant, parce que ce roman vaut tous les pourtant. Une atmosphère presque hypnotique, la pluie mouille, le soleil évapore la rosée, il y a de la vie dans ce silence, la nature y est sublimée, et pourtant ils sortent d'un triste moment de l'humanité, une défaite de l'âme humaine, cette guerre...

Un vent léger apporta l’odeur d’un chèvrefeuille, et soudain je fus accablé de solitude comme sous le hangar. Une solitude sans début et sans fin. Je la devais sûrement à la beauté de la clairière, de la lumière déclinante et du lointain vrombissement des avions. »



A suivre le cours du Rhin, à dormir sous le regard de la lune, dans un champ ou à même la paille d'une grange, il ne s'y passe rien d'intéressant. Et pourtant, cette errance a quelque chose de captivant, de furieusement poétique même. Jusqu'au vont-ils aller, un stock de rations dans le coffre de la voiture ? D'ailleurs, un roman qui commence par croiser un type avec un pack de bières ne peut qu'attirer le pauvre type que je suis, remontant à la surface mes sombres souvenirs de Paulaner. Et parce qu'une bière se boit en silence, moine ou pas, écrivain ou pas, buveur-lecteur tel que je me qualifie, la qualité d'un livre se jauge avant tout à ces verres bus en toute amitié et humanité. C'est mon seul critère de sélection, jugement d'étoiles, sensation de plaisir, l'histoire est devenue secondaire devant l'intimité d'une bière, dans la poussière d'un ranch ou sur « La Terre invisible ». J'adore l'onirisme de cette histoire et le silence palpable entre ces deux êtres hantés par leur sombre vie.

Toute la nuit la soif me tourmenta mais me sauva des morts et de leurs jambes grises. »


« La Terre Invisible », Hubert Mingarelli.




Sur une masse critique, 
poésie du silence et de la guerre ;
Merci donc à Babelio et les éditions Buchet-Castel.



10 commentaires:

  1. Je viens de lire mon premier livre de cet auteur, La beauté des loutres. Un peu minimaliste mais intéressant. Ce que tu écris de La terre invisible m'incite à tenter. Et Lou Reed, right or wrong, génial. So long, my friend.

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    1. Minimaliste, c'est aussi ce que j'aurais pu dire de ce roman. Ne pas dire, mais laisser parler le silence. Peu de mots, mais de belles images. La beauté des loutres, un titre bien énigmatique pour une histoire... Intéressant, tout de même, cette terre invisible pourrait te plaire, me semble-t-il...

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  2. J’ai connu Mingarelli grâce à l’homme qui avait soif un beau souvenir de lecture.
    Ta chronique donne envie de ce plonger dans ce silence sauf que je n’apprécie pas trop sur fond de seconde guerre mondiale... trop vu ... et pourtant je suis certaine qu’il doit etre magnifique .... peut etre plus tard quand je serai à la retraite avec une paulaner !

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    1. oui mais combien de guerres avant la prochaine Paulaner...

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  3. Tu en parles très bien de ce livre ! Une fois de plus...

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    1. je ne sais pas. En tout cas, moi, je l'ai beaucoup aimé. De toute façon, dès qu'il y a du silence entre les lignes de la vie, c'est mon kif. Mais pas sûr qu'il ne plaise à tout le monde...

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  4. Je ne connais ni le livre ni ton univers, mais beau billet !
    anthO

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    1. Merci anthO, l'auteur est à connaître, mon univers nettement moins...

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  5. Hubert Mingarelli me touche aux larmes, de ces larmes qui chatouillent mes cordes sensibles.
    J’ai en tête « Hommes sans mère », la solitude et le silence du vent dans les cœurs esseulés.
    J’ai presque même en tête cette Terre invisible que je n’ai jamais lue mais que je lirai un jour comme un passage obligé. Cet auteur me fait du bien. Et « t’entendre en parler » est un pur bonheur...

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    1. Je ne connais pas celui-là, ces hommes sans mère, mais la solitude et le silence semble être un fil conducteur de beaucoup de ses histoires...

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