dimanche 17 mai 2020

RéApprendre à Vivre, into the Wild

"Le regret me semblait une émotion familière. Mon esprit tâtonnait autour, comme si la lumière avait été éteinte dans une pièce connue où je finissais par trébucher sur la douleur du décès de ma mère. Je me rappelais avec mélancolie qu'elle était partie depuis presque un an. Mais même cette peine n'était pas aussi profonde que la tristesse qu'éveillait en moi la splendeur de la nuit.
- Quelle belle, belle, belle nuit, ai-je dit à Eva.
[...]
- C'est comme de la musique, ai-je dit. Une belle musique. Water Music. Une musique sur l'eau par une belle nuit."

Into the wild. Vivre non pas à l'état sauvage, mais au cœur d'une nature luxuriante du Nord de la Californie. La première ville est à plus d'une heure de route déglinguée par un pick-up rouillé. Alors si les filles rêvent de cours de danse pour l'une et d'université pour l'autre, ce ne sont que de vagues hypothèses pour le moment. Quelques coupures d'électricité au début, rien de bien anormal. Rien de bien gênant, elle lit ses encyclopédies à la chandelle, elle danse au tic-tac du métronome. Et puis un jour l'électricité n'est plus revenue. Comme le téléphone. Comme les voisins. Seules.

Sur la seconde partie du roman, je me suis promené enfin dans les bois, à la découverte de cette nature qu'elles avaient ignorée jusqu'à présent. C'est que tant que le garde-manger était plein, les conserves et les bocaux fournis sur les étagères de la cave, partir à la rencontre des plantes ne faisait pas partie des préoccupations principales. Lire et écouter de la musique, l'essence de la vie - en tout cas de la mienne. A quoi ressemble une fleur de houblon ? Into the wild, j'ai appris à faire attention avec les baies rouges, qui ne sont si rougeoyantes que pour attirer les abeilles et les oiseaux. Encore une histoire purement sexuelle, cette couleur rouge. Bon côté sexe, il faudra se satisfaire soi-même, pas une âme qui vive dans le coin, même pas de zombies pour apporter de l'animation. Quelques sangliers et autres méchants ours noirs - ou bruns je sais plus, je ne me souviens jamais de la couleur des toisons que je regarde.

L'art de survivre, d'abord dans un environnement enchanteur - au début - puis de plus en plus hostile, une fois que la solitude pèse sur les esprits. L'eau qui suinte le long des murs, le dernier bocal de maman ouvert, reste guère plus qu'un fond de bouteille liquoreux de papa, laissées à l'abandon, deux filles devenant femmes, une dernière musique, celle du vent, celle de la tempête qui s'écroule sur leur vie, et l'envie plus fort, rester ensemble, ne pas s'abandonner, même dans la forêt. Into the wild. Une Autre Vie. Réapprendre à vivre.

Au fait, ce n'est qu'une rumeur, mais il parait qu'un virus ravage les gens. Une semaine, en pleine forme, et hop la semaine d'après, les vers qui commencent à infiltrer les corps en décomposition. Alors autant rester confinée, tant qu'à verser deux verres et deux larmes, de whisky.     

" - On est peut-être les deux dernières personnes sur terre, a dit Eva d'une voix qui ne traduisait ni peur ni tristesse.
J'ai hoché la tête un peu rêveusement, et j'ai répondu sur le même ton : 
- Oui, peut-être."

"Dans la Forêt", Jean Hegland.
Traduction : Josette Chicheportiche.


12 commentaires:

  1. Salut, le Bison
    " ...la tristesse qu' éveillait en moi la splendeur de la nuit".
    Je n'ai pas lu ce roman, mais j' aime ces quelques mots. Ils semblent extraits d'un poème romantique et exhalent un parfum du temps passé.

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    1. Les seuls poèmes romantiques que j'ai lu ont été signés de la plume de Charles Bukowski qui en son temps exhalait un autre parfum de tristesse et de splendeurs féminines...

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  2. Sublime cette Water Music. C'est étonnamment moderne à partir de 4 mn, avec l'arrivée des cuivres. Merci pour la découverte.

    La Wassermusik de Telemann est une splendeur aussi. Nettement plus baroque.

    Tu en parles bien de ce livre mais je n'arrive pas à savoir si tu as aimé.

    Mais quelle idée de lire face à un mur blanc (comme chantait Pierre Groscolas) alors qu'il y a un arbre de l'autre côté ! Peur d'être distrait ?

    Le nom de la traductrice est un exercice de prononciation ?

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    1. 1. C'est vrai qu'à partir de la 4ème minute, cela vire presque au jazz caribéen... C'est aussi pour ça que j'ai aimé cette version (et aussi par ignorance d'éventuelle autre version de la water music de Händel)

      2. On ne se moque pas de la traductrice. En tout cas, si elle s'est mariée, elle l'a bien cherché ! :-)

      3. De sous l'arbre, mon bras n'étais pas assez long pour aller chercher ma bouteille de bière, alors je me suis rapproché ;-)

      4. Si tu ne sais pas si j'ai aimé ou pas, c'est que j'ai réussi. Parce qu'effectivement, je suis ressorti mitigé, avec une première partie où j'étais totalement absent, impossible de rentrer réellement dans l'histoire, et de partager la vie de ces deux filles. La seconde partie fut nettement mieux, pour moi. Mais je ne juge pas, je n'étais pas disposé non plus ces derniers jours...

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  3. Lu à sa sortie, j'avais été moins enthousiaste que beaucoup mais il résonne encore souvent en moi. Il m'a sans doute plus marqué que je ne le pensais à l'époque...
    J'ai d'ailleurs failli le relire et je pense que j'y viendrai...

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    1. Il n'a pas si résonné en moi, à part cette Water Music que j'ai découvert...

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  4. Ce livre est dans ma PAL. Une de mes prochaines lecture.

    En ce qui concerne "Into the wild" je n'ai jamais vu le film ...
    Oui j'ai honte !
    :)

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    1. Moi, je ne l'ai vu qu'une fois, encore plus de honte tant je l'ai adoré. Il faut absolument que je me refasse un visionnage...

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  5. Go back into the wild world !??! (#déconfinement^^)
    Pas fait exprès pour le prêt, sorry......

    "Into the wild", the book, je lai depuis longtemps dans ma bibliothèque !

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    1. Le roman de Jon Krakauer est très bien aussi, mais presque trop poussé sur la notion "document" que roman...

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  6. Celui-ci il faut absolument que je le lise, j’comprends pas d’ailleurs que je ne l’ai pas encore lu. Plus que jamais dans mes lectures j’ai besoin de cette nature que tu décris, d’évasion, de terres vierges et hostiles, d’un retour aux sources.
    La toison des ours est brune ou noire ^^ Les ours bruns ce sont les grizzlys, les gros toutous des Rocheuses et de l’Alaska qui te bouffent tout rond. Les ours noirs ce sont ceux qui viennent camper avec toi sous ta tente. Misère... mais on m’a appris quoi faire dans un face à face :D

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    1. Y'en a des ours là-dedans... et les pauvres filles ne savent pas quoi en faire, même... On leur a pas appris...

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