dimanche 18 avril 2021

Conte Noir


« D’instinct elle recule, le Sig Sauer caché dans le dos. Elle est toute menue et ravissante, et maquillée à faire peur. Des yeux avec des peintures de guerre et des couleurs de tranchée et de boue dévorée, mais un visage en cœur, des arêtes fines. Elle porte un jeans slim et marche pieds nus. »

Bambi, un roman âpre et sombre. Bambi, une adolescente de quinze ans bientôt seize ans. Voilà. Tout est dit. Bambi, c’est pas comme un conte de fée, de toute façon l’histoire de Bambi n’a rien d’un conte pour enfants, Bambi c’est un conte pour adultes bourré de rage et de tristesse. Bambi, le gun dans son jeans slim, ce sont des SMS auxquels un vieux con comme moi ne comprend pas grand-chose. Mais il comprend qu’à l’intérieur de sa mignonne petite tête, cela bouillonne, sauvagement. Elle est prête à exploser, et le moindre de ses rencarts « sugar dating » peut virer au bain de sang. 

Dans cette poésie de l'asphalte qu'il faut appréhender au départ, je découvre un autre monde que les clichés d'un conte pour enfant auxquels Bambi ferait référence. Une violence féminine que l'on ne soupçonnerait même pas en regardant la douceur du visage de l'auteure Caroline de Mulder. Une enquête sur la jeunesse dans la rue que l'on pourrait autant placé dans la banlieue de Paris que de Namur.    

Le sugar dating, ce sont ces rencontres entre de jeunes filles avec des vieux messieurs, des pauvres types, des vieux cons, des pervers avec des femmes qui veulent plus baiser. Alors, le gun en main, Bambi se venge, se sert, noie son chagrin, crie son désespoir, hurle sa rage. Intense, brutale, trash. Elle braque, elle vole, elle humilie. Une vie sans repos mais tout en colère. En colère contre sa mère, contre les mecs de sa reum, contre l’école, contre la société. Cela fait beaucoup à quinze ans presque seize, et cela fait surtout un roman tristement noir, là où il n’y a plus d’espoir comme lorsque l’ampoule du lampadaire du coin de la rue a explosé et que la nuit n’expose même plus la mélancolie de sa lune ou la brillance de ses étoiles. Le noir complet, absolu, le genre de noir où tu te noies profondément et où seul le rouge sang apporte une terrible nuance de couleur. Sauf que même le sang, au bout d’un certain temps, vire au noir.

« Bambi se dit qu’elle a seize ans. Seize ans, elle va crever. Elle se lève, prend son gun. »

 « Manger Bambi », Caroline de Mulder.

 

Sur une masse critique entre noir et sang, 
talons aiguilles et jeans slim, 
Merci donc à Babelio et aux éditions Gallimard.

 


« Gueule consumée, peau mal rasée comme barbouillée de cendres, des joues qui pendent. Il sent l’alcool. Paumé dans un endroit pas pour lui, il a vraiment tout du pauvre type. Des fringues façon classique, mais classique cheap. Sans son haleine avinée qui couvre tout, il sentirait l’usure, le râpé, le fond de tiroir et la friperie. Il a l’âge des porcs en crise. Bambi trouve que c’est une pitié, ce vicieux précaire qui, dans un monde idéal, aurait des thunes pour raquer des restos stylés à de jolies loutes trop jeunes comme elle. D’avance, elle sait qu’il n’y aura pas de resto, tout au plus paiera-t-il sa coupe, et ce n’est même pas sûr. »

6 commentaires:

  1. Bel avis sur un bon roman. Le choix musical est particulièrement judicieux.

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  2. Tu me tentes... j'avais jusqu'à présent mis de côté, ayant lu des avis assez mitigés, notamment sur le style, que certains ont fini par trouver lassant (?).

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    1. Effectivement... pas tout à fait le style... mais de temps en temps, il y a des "interludes" langage de jeune, langue du SMS... qui effectivement, pour le vieux type que je suis, casse un peu le rythme, le temps d'arriver à décoder ces morceaux de phrases, de mots, de lettres... Et sans ça, j'aurais, pour ma part, apprécié plus... Mais voilà, Bambi est jeune, quinze ans bientôt seize...

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  3. Un livre "portrait de jeunes" tristement noir, tout pour me plaire...
    Quand même la frette dans laquelle on peut se noyer l'âme vire au noir.
    Tabarnak

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    1. Des portraits d'jeunes, à la triste, à la sombre, à l'âme triste et sombre...

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