Lieu : Piombino, Italie
Lever du soleil : 6h46 | Coucher du soleil : 19h37
Décalage horaire : 0h
Météo : 27° ressenti 30°. Ensoleillé, rafales de nord-ouest 30 km/h.
Coordonnée GPS : 42°55’15.42 N / 10°31’33.276 E
Musique : Une barque sur l’océan, Béatrice Rana (Ravel)
Un Verre au Comptoir : Chimay"Une pancarte noire en lettres orange indiquait la "zone artisanale". Avait indiqué. Parce que quelqu'un, génial, avait récemment noirci le a, le r, le t, le i et le s. C'était plus fidèle à la réalité, maintenant."
De la fenêtre, vue azuréenne sur la Méditerranée. Une eau, un ciel, tous deux parés d’un bleu magnifique, aussi bleu que le bikini éclatant de Francesca et d’Anna. En bon pervers, je les mate toutes deux, le sourire enfantin, l’insouciance dans les yeux rimmelés, le regard de défi perpétuel... En face, l’île d’Elbe, une terre de vacances juste à côté, mais pourtant si loin des habitants de Piombino. Une barre d’immeubles, gris sale et à la fenêtre un bon père qui mate aux jumelles cette plage où la jeunesse de cette cité industrielle s’échappe. Pas voyeur, non. Lui, il rage, il enrage de voir sa fille habillée comme une pute. Ça va cogner à son retour, hé oui, y’a des types comme ça.
Même immeuble, autre étage, et donc autres mœurs, une mère qui enchaîne les heures de taf à l’hôpital, au lieu de s’occuper de la marmite, un père dont l’absence et la fidélité laissent entrevoir un nouveau beau portrait de famille. La fille, elle, est à la plage, bikini magnifique. Je l’ai déjà dit ? De quelle couleur ? Pervers, je suis. En attendant, pour me remettre de ces émois, celle d’une vue sur la mer, le silence des vagues, je rêve de spaghettis alle vongole... Je les prendrais al dente, avec un verre de Greco di Tufo, l’âme portée sur l’île d’Elbe, au loin la Sardaigne, au premier plan les premiers bikinis de l’été.
"A trois heures de l'après-midi, en juin, les vieux et les mômes allaient dormir. La lumière, dehors, était de feu. Assis devant la télé, les ménagères et les retraités en pantalon de polyester, les survivants des hauts-fourneaux, inclinaient la tête, asphyxiés par la chaleur.
Après le déjeuner, la façade de ces barres d'immeubles toutes pareilles, collées les unes aux autres, ressemblait à un mur de niches funéraires dans un cimetière. Des femmes aux jambes gonflées, les fesses ballotant sous la blouse, descendaient s'asseoir dans la cour à l'ombre, autour d'une table de camping. elles jouaient aux cartes et agitaient frénétiquement leur éventail en parlant de tout, et surtout de rien.
Les maris, s'ils n'étaient pas au travail, ne mettaient pas le nez dehors. Ils restaient là, avachis, torse nu, ruisselants de sueur, à manier la télécommande. Pas pour écouter ces connards à la télé. juste pour mater les bimbos, ces petites garces, le contraire absolu de leurs femmes."
De la fenêtre de mon appartement où j’habite un petit entresol obscur côté rue, j’ai vue sur le stationnement. Ce n’est pas le paradis cinq étoiles et je n’entrevois aucunement la mer, ne serait-ce qu’infiniment, par un quelconque interstice. Mais mon bonheur me vient d’ailleurs, ou plutôt, il m’est venu au contact de Mr. Johnson, le voisin du dessus. À vraie dire, cette joie ne m’habitait pas d’instinct depuis que papa est mort et que maman a perdu la tête. Ce sont mes grands-parents maternels qui ont d’ailleurs acheté cette unité, prétextant que la mer me ferait du bien. Et j’y viens depuis l’âge de dix ans, depuis cette « catastrophe » qui a noircit le ciel de mon enfance.
Même immeuble, autre étage. Face à la mer dans son appartement cossue de Cagliari qui occupe la totalité du dernier étage, j’ai reconnu sa sincérité au premier regard. J’ai commencé à faire des ménages chez lui, car Mr. Johnson a le moral dans les chaussettes du haut de ses soixante-dix ans. La première fois que je l’ai vu, il avait l’air d’une épave que la mer fait échouer sur les berges de Sardaigne. Lacets défaits, chaussettes dépareillées et vêtements déchirés, je voyais déjà à quel point cet homme est bon, que les apparences sont trop souvent trompeuses. Mr. Johnson est un authentique qui ne cherche à plaire à personne sinon qu’à son public d’autrefois, car Levi fut un célèbre violoniste. À son contact, c’est toute ma vie qui a basculé. Je me suis remise aux spaghettis alle vongole, à la zuppa Gallurese, au pane carasau... Signore quanto è buono !!!
Respire ces odeurs sensuelles, celle des herbes fraiches qui s’échappent de la marmite, celle du linge étendu à la fraicheur d’un toit d’immeuble, celle de la jeunesse, encore fraîche, dont les rêves s’envolent sous d’autres cieux, un ciel bleu qui se voile d’une colonne de fumée de l’aciérie locale. Tous les regards, lorsqu’ils ne sont pas plongés dans l’azur de la Méditerranée se tournent ainsi vers cette longue cheminée qui découpe verticalement le paysage. L’aciérie est le poumon de Piombino, cette ville sidérurgique si triste aux abords de la côte. On respire son parfum, un mélange de tristesse et de dégoût par moment, qui tranche avec le fumet des mamas italiennes et le sourire des prostituées italiennes. Ménagères ou putes, l’avenir tout tracé de ces deux adolescentes dans ce pays d’effluves ensoleillées et d’acier. Respire et ferme les yeux un instant, les embruns iodés se mêlent au parfum de la pasta, le soleil chauffe les barres d’immeuble. Le regard posé sur l’horizon, ligne horizontale de nuances de bleu, une barque sur l’océan. Une goutte, un verre, un océan…
Soudain la porte du cabinet s'ouvrit et un petit vieux à lunettes de soleil sortit au bras d'une dame blonde, diaphane, à l'accent de l'Est marqué. Le vieux souriait en l'exhibant aux autres vieux, assis en demi-cercle dans la salle d'attente.
"Oh, fit l'un, il avait pas une femme, lui ?"
Le vieux à peine parti, les autres s'en donnèrent à cœur joie.
"Je crois qu'elle est morte y a deux ans, sa femmes...
- Ah, je comprends mieux !"
Quelques-uns se levèrent. Un autre replia le Tirreno et le rangea.
"Ces blondes, hein, c'est pas comme les bonnes femmes de Piombino...
- Si ma femme venait à passer, Dieu la garde", et il se toucha les couilles, "je me prendrais bien une blonde, tien !"
[...]
"Sûr. Les Italiennes elles veulent aller au restaurant, au cinéma, mais pour venir chez toi tu peux toujours te brosser, tes chaussettes elles viendront pas te les laver.
- Sauf que les Russes, elles boivent, et pas qu'un peu...
- Peut-être, mais elles ont un cul en béton !
- Et elles te cassent pas les couilles.
- Et toujours d'accord pour te faire un bis, et même un tris, les Ukrainiennes."
Je me laisse emporter par ces vagues d’émotions, des remous azurs aspirant tous mes sens, danse du vent dans mes cheveux défaits. Sens dessus dessous. J’entends au loin des murmures, des voix, des cris aussi, mille idées qui s’entrechoquent, s’opposent, des langues qui s’allient, se délient, des échos d’italien et de sarde. On partage des secrets mais certains sont muets. On s’aime, on se déchire, on se trahit, on se réconcilie, on se juge et on se comprend, on s’éloigne et on se rapproche, on se laisse découvrir ou on s’isole. On guérit de nos maux. Ou non. On se sépare, on s’aime à nouveau et on se déteste. On apprend, surtout, à vivre au jour le jour. A humer le parfum des quotidiens pluvieux et à s’en faire un bouquet. Je suis malade du cœur, au sens propre comme au sens figuré. Mais je me laisse emporter, par la douceur des heures qui défilent, et je suis sens dessus dessous…
« D'acier », Silvia Avallone.
« Sens Dessus Dessous », Milena Agus.
Les Escales,
un trip littéraire composé à 4 majeurs,
amarrée des mots et de la poussière.
Prochaine escale : Vietnam
Merveilleuse cette pianiste, Béatrice Rana. Amoureuse du piano que je suis...
RépondreSupprimerEt merci d'avoir galopé à mes côtés avec tes sabots poussiéreux dans les îles italiennes. S'arrêtant à quelques bars du coin pour boire une Chimay, un Prosecco, un vino Rosso, un Campari Spritz et dieu sait quoi encore.
La Dolce Vita :-*
là où il y a de la poussière et quelques bars du coin, je vais... Heureusement pour moi, qu'il n'y a pas que du Spritz...
SupprimerJe l'aime beaucoup, cette pianiste, même si son nom fait plus penser à des pâtes qu'à de la musique. Elle est jolie et émouvante dans ses interprétations solistes. C'est un peu des effluves de la Dolce Vita qui s'échappent de ses accords...
La Chimay est une bière que j'apprécie et votre chronique italienne me donne envie de faire un petit voyage jusque là!
RépondreSupprimerla Belgique n'est pas si loin de l'Italie, les deux escales sont abordables et peuvent ainsi se réunir, fusionner, se partager... s'enivrer...
SupprimerJ'aime beaucoup cette pianiste que je découvre!
RépondreSupprimerà déguster sans modération... avec une chimay, sans modération...
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