vendredi 14 juillet 2023

Pastaga au Canada


 L’homme, un peu sauvage, beaucoup silencieux. Quelques femmes passent dans sa vie, pas beaucoup en fait, quelques verres y passent aussi, quelques bouteilles y trépassent. Sa boisson de prédilection, le Ricard, si rafraîchissant dans les chaleurs printanières du Grand Canada, de Terre-Neuve ou des coins plus sauvages ancrées dans les terres, lorsque la neige commence à fondre.

De temps en temps, l’homme retourne à la ville, Montréal sous la neige. C’est le début de l’hiver. Il regarde la lune, de la vapeur s’échappe de sa respiration, il regarde la façade où domine la fresque de Leonard Cohen. D’ailleurs rien ne dit qu’il ne l’écoute pas le soir, à la tombée de la nuit, une femme lovée sur son canapé. La voix de Leonard dans la nuit, la beauté de la lune à la fenêtre, un corps nu, jolies courbes. Mais tout a une fin, comme cette bouteille de Ricard.

« - T’es belle comme la lune, Clara. »

Un homme et ses chiens s’enfuient toujours de la ville pour revenir à la nature, belle et sauvage, comme la chevelure d’une femme brune. Il n’y a que dans le silence de cette beauté qu’il est lui-même, loin des conventions sociales et hypocrites. Là-bas, il regarde, du bout de son fusil, un vol de bernaches. Pan ! A l’automne, il suit la migration des lagopèdes à queue blanche. Pan ! Et ce phoque, une virgule posée au loin sur la banquise. Pan ! La complainte du phoque…

  « Le soir suivant le décès du vieux, une fois rentré sur l'ile, l'homme avait rêvé d'une discussion entre eux. Une conversation anodine. Précédemment, il s'était rappelé une soirée où il avait écouté l'aîné. Une révérence au temps. Il avait d'abord bu pour engourdir un peu l'ombre des évidences amoureuses qui s'effritaient, en plus de la mort de son vieil ami. C'était son rythme ; la porte d'entrée des choses qui restent vivantes et qui doivent être protégées coûte que coûte, même par la fuite. L'ivresse comme le nord d'une boussole. Une force invisible. L'homme avait enchaîné les verres de Ricard doucement. Pour atteindre une autre conscience, d'une lucidité différente, intuitive sans doute. Le contraire d'une tragédie. Pour une rare fois, l'homme s'était enfin désincarné. Loin du narcissisme de l'époque. Ce n'était pas son drame, mais celui de l'humanité, que d'envisager une finalité, la sienne, à travers celle d'un autre. Comme on le fait tous, il s'était dit. Surtout en silence. Ce soir-là, le vent était violent. Et invisible, comme d'habitude. Il avait fait tempête jusqu'au lever du jour. Les yeux de Clara étaient peut-être bleus. L'homme n'avait pas pensé à elle. »

Et entre les coups de feu, des bribes de conversation des autres, ces citadins venus pour le week-end jouer au chasseur. L’homme et ses chiens sert de guide. Il connait la région, toutes les réserves fauniques du Québec, de Terre-Neuve et du Labrador. L’Île d’Anticosti. Une vie à chasser, à trapper, à écouter, la nature, le silence et son blizzard assourdissant. C’est loin de la ville qu’il se sent vivre. En toute liberté, sans l’oppression de devoir discuter avec un homme, avec une femme. Seul avec ses chiens et sa réserve de Ricard, voilà sa vie. Et au bout milieu de la nuit, alors qu’il a la tête enfouie dans ses bras posés sur un coin de table, verre évidemment vide, le fantôme de son « ami »…

Ce Marc Séguin laisse des traces invisibles dans l’âme de l’homme, celui qui lit, celui qui écoute le silence, celui qui boit du Ricard. C’est autant une ode à la nature, au blizzard qu’à cette boisson anisée qui parfume le fond de la cabane, au milieu d’une forêt d’érables enneigés. Il possède une âme, la fragilité d’un amour, la puissance d’une solitude. Est-il encore un homme, ou simplement un pauvre type qui regarde une neige lourde et humide tomber à ses pieds, la lune bleue, belle et intouchable, dans sa tête.      

« Ne lui restaient plus que l’alcool et ses chiens pour entretenir l’illusion d’être un homme bien. »

 « Un Homme et ses Chiens », Marc Séguin.



2 commentaires:

  1. Le chien, le meilleur ami de l'homme ... et du cochon. Sympa, cette vidéo de Dogs. Je crois savoir que c'est la préférée des fans du Floyd sur cet album mais moi j'ai un petit faible pour Pigs. Du grand Pink Floyd en tous cas.
    Et ce bouquin m'a l'air bien intéressant.
    A bientôt.

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    1. Moi, j'ai un faible, un gros faible, pour tout l'album. Et cette tournée de Roger Waters, splendide. (Vu à l'Accor Arena de La Defense). Un grand show à la Waters.
      Le cochon, je ne sais pas, mais le chien, le meilleur ami de l'homme, probablement. Un lien particulier peut se créer entre ces deux espèces, un lien fort, un lien sacré, comme ce roman.

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