mardi 24 janvier 2017

Des larmes, des vagues, mon vague à l’âme

« Je me lève aux premières lueurs de l’aube, après une nuit d’insomnie et de fantasmagories exténuantes… Je suis si fatigué, si troublé. Je n’en peux plus. Je ne peux plus continuer comme ça. Tous les chemins de l’ombre conduisent à cette certitude atroce : il m’est arrivé ce dont j’avais le plus peur. Et le pire est que je ne sais pas si c’est vrai, si c’est fini ou s’il manque encore quelque chose, causes ou effets… Tout est épars, flottant, incohérent. Je ne sais pas si c’est la vérité ou si je suis en train de l’inventer… J’ai inventé tant de choses, la réalité m’a démenti tant de fois, qu’il m’est impossible de ne pas avoir des doutes… Il n’est pas possible qu’il fasse déjà jour. La nuit se prolonge, elle se balance comme un grand bateau obscur, entre la pensée et le rêve, entre la terreur et le réalisme. Je voudrais attraper une idée, une seule, et la contempler… Mais elles passent toutes hors de ma portée. »

Une nuit, réveil en sueur, je contemple les étoiles. Il ne me reste plus qu’elles depuis que le monde s’est effondré, mon monde. Se retrouver seul, dans le noir, silence absolu, j’entends mon cœur battre. Battre pour une femme, une femme qui est partie. C’est un peu de mon âme qui a disparu, s’est envolé au milieu de ces étoiles. Alors des larmes coulent, celles d’un homme perdu, sans repère, sans envie, dans une putain de vie.

Il est écrivain, au devenir prometteur, mais l’inspiration n’y est plus, sa muse partie. La télé est allumée. Ou pas. Elle grésille, lueur grise dans la pénombre. On dirait un vieux Rintintin qui est diffusé. Un oiseau me parle, un cactus me répond, enfin, je ne sais plus trop. Hallucinations d’un insomniaque. D’ailleurs, que croire. Les images se confondent, de la réalité ou du rêve. J’invente, j’imagine, je rêve, je fabule, je divague. Ma vie, mon âme, mon œuvre. Des larmes, des vagues, mon vague à l’âme. Le jour se lève, ma vie est derrière moi. Il y a les larmes d’un homme qui ruissellent comme la pluie le long de la vitre. J’ouvre la fenêtre, vois le vide sous moi, le vide de ma vie, un chien aboie, le cabotin, pendant que le ciel vire à l’orange.


Second roman de l’argentin César Aira que j’ai l’occasion d’approcher, ce petit livre a rempli toutes ses promesses. Même plus, submergé par l’émotion et la folie. Les larmes se déversent, d’une tristesse latente, les hallucinations me plongent dans un univers parallèle alors que Rintintin continue d’aboyer sans que personne ne semble l’écouter. Livre irrésistiblement onirique. Il ne plaira peut-être pas à tout le monde, mais moi j’ai adoré, tout simplement, cette fantasmagorie d’un écrivain. Un putain de bon bouquin, de la littérature comme je l'aime, argentine au plus près de la pampa.   

« Et mon âme s’élevait irrésistiblement, dans une spirale, vers le rose et le violet… Elle devenait aussi vaste que l’univers, aussi vaste qu’un trou noir ou que le passage du temps, tout en restant clouée à un point minuscule, à l’articulation du nom de l’Argentine. Il y avait autre chose en même temps, qui était et qui n’était pas mon âme : cette chaleur en hiver, ces ciels que ma personne parcourait en quête d’étoiles, cette présence du soleil… n’étaient-ils pas aussi une fable phallique venant s’installer dans ma vie ? Si, bien sûr, et pour être précis je dois en venir à quelques détails plus privés. Les mois qui suivirent ma séparation furent la saison la plus chaste de ma vie. J’étais si déprimés que je n’avais même pas envie de jouir seul. Mais la chasteté, comme tout le monde le sait, est en général une expérience phallique. Toutes les énergies qui auraient pu se perdre (il est vrai que cette perte est aussi une multiplication ; mais ce que personne ne considère, c’est que toute multiplication est une perte), je les conservais en moi, même sous la forme de mélancolie, comme un sculpteur conserve la pierre en lui donnant tel ou tel aspect. »


Les LarmesCésar Aira.

18 commentaires:

  1. Je pense que ça pourrait me plaire… Je note ça quelque part :-)

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    1. Moi, j'ai été emballé par ce court roman argentin. C'est que l'onirisme et la fantasmagorie en littérature, j'adore...

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  2. j'aime beaucoup ta façon unique de présenter des "bouquins" comme tu dis. Et je reviens ici avec plaisir, d'autant que les breuvages proposés me vont parfaitement !

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  3. Le goût amer des larmes et de la bière...

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  4. Ivre d'émotions, de larmes et de vagues à l'âme. Une lecture qui me semble aussi belle que les étendues sauvages de la Pampa...

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    1. (L)ivre d'émotions, même ! Faudra que je la ressorte, celle-là ; elle me plait bien.
      Moi, j'ai trouvé la lecture particulièrement belle (comme la bière) mais c'est aussi parce que j'aime bien l'onirisme de l'auteur (d'une bière aussi).
      J'ai même déjà envie de le relire (si j'en avais pas tant à lire). Et aussi envie de reboire une Maredsous Triple (ça me procure des vagues à l'âme)...

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  5. Evidemment ton billet me tente ainsi que la Pampa, mais pas envie de larmes en ce moment. Je veux des choses légères et de la bière ;-)

    Mais je le note... Oooohhhhhhhh ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii :)

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    1. J'ai de la bière. Toujours. Mais je n'ai rien de léger. La légèreté, c'est pas mon truc...

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  6. Merci pour la découverte de cet auteur que je vais m'empresser d'ajouter à ma wish list :D

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    1. Considéré comme un successeur à Roberto Bolaño...

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  7. Bonjour,

    J'ai découvert ton blog en suivant quelques unes de tes critiques sur Babelio. Toujours un plaisir de lire un esprit tourmenté. Enfin c'est comme ça que je le sens.
    Ça donne des idées de lecture et de bonnes bières, parfait.

    Bonne journée et bonne bourre.

    Minuit-Treize.

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    1. Toujours de bonnes bières.
      Toujours des idées de lectures.
      Quand à l'esprit tourmenté... juste celui d'un type qui fait toujours la gueule et qui est toujours en retrait au fond de la pièce, par choix. :D
      Bienvenue, minuit treize de Babelio.

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  8. Ce sont les plus intéressants, les asociaux du fond de la pièce ;).

    Merci !


    Minuit-Treize

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    1. certains asociaux peuvent avoir une vie totalement transparente et disparaissent dès qu'un regard se détourne...

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    2. Tristement et salement vrai. On en oublie presque les autres regards qui eux, restent voir même se posent pour la première fois. Mais ils ont sûrement moins de valeurs, en tout cas moins de signification.

      M-T

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