Moi,
mon truc, c’est l’Amérique, celle avec de la poussière et de la bouse de vache.
Celle où je peux prendre mon temps, pour vivre, pour respirer, pour contempler.
Contempler les rives de cette rivière bouillonnante de truites arc-en-ciel.
Contempler le corps de cette femme au petit jour dans la chambre d’un vieux
motel au bord d’une route inachevée. Contempler ce verre de bourbon, couleur
ambrée, fumée de tabac, posé sur le comptoir collant d’un bar au néon qui ne
clignote plus de toutes ses lettres. Oui, mon truc c’est la contemplation. Et
feuilleter quelques nouvelles de temps en temps, des histoires banales de vies
inutiles et bancales. Se demander ce qu’est vraiment la vie, et si cette vie
vaut le coup d’ouvrir une bonne bouteille de Tennessee Rye…
« Il faisait déjà sombre sur la route de dégagement quand il croisa une famille indienne dans une vieille Ford à plateau, avec sept ou huit gosses entassés à l'arrière. Deux garçons plus âgés se tenaient debout, accrochés au toit de l'habitacle, leurs longs cheveux noirs flottant dans le vent comme des ailes de corbeau. Le chauffeur avait l'air d'être leur grand-père. Il ne croisa pas d'autre voiture. Un éclair en nappe révéla des balles de foin bien alignées et un troupeau de vaches à cornes qui parurent soudain figées en pleine lumière du jour avant de disparaître dans l'obscurité. L'horizon plat s'illumina tout entier, palpitant d'or et d'argent, mains on n'entendait pas de tonnerre. Et il ne pleuvait pas. Il jeta un coup d'oeil dans son rétroviseur, regardant si les deux garçons s'étaient retournés pour l'observer, mais la fourgonnette avait déjà disparu. Quand ses yeux revinrent à la route, la bande blanche centrale avait disparu. Il eut l'impression d'être en train de tomber. Juste une seconde. »
L'Amérique, comme un dimanche matin ou le soleil se lève tristement. Je déambule dans les rues, sans but sans âme. Spleen de la solitude, mélancolie du solitaire, j'écoute une musique, folk & country, histoire de cœur et de cow-boy désabusé au stetson usagé. Je lève la tête au ciel, histoire de voir les âmes entre les nuages et les cieux, Sam entre autre...
Sam est au paradis, j’ai donc sorti de mes étagères mes « Balades au Paradis », un recueil de nouvelles et de souvenirs. Des nouvelles, comme j’en ai déjà lu, de lui et d’autres, la température du Middle-West qui élève ma soif de lecture avec bourbon et bière en prime. Et puis, « à mi-chemin », Sam nous raconte des anecdotes, composées comme des nouvelles, sur son dernier tournage (j’avoue cette seconde partie est un peu moins emballante). Peu importe le film d’ailleurs, de toute façon un film avec Sam Shepard n’est finalement pas si mauvais, Sam décrit son univers, celui de Hollywood, avec une certaine forme de cynisme. Il se voit allouer une limousine avec chauffeur pour traverser le Texas par sa maison de production alors qu’il ne rêve que d’un vieux Ford pour soulever la poussière et crapahuter dans les nids-de-poule. Il se voit porter un peignoir d’un hôtel cinq étoiles, alors que finalement a-t-il vraiment besoin d’un peignoir pour boire un gin-tonic à la terrasse de sa chambre ? Sam, la simplicité même. Dans la vie, dans les écrits. Quelques bouteilles dans le mini-frigo, normal, suffisent pour en faire un grand acteur et un grand écrivain.
« Moi, mon truc, c'est le bain bouillant avec plein de bière bien mousseuse, les pépées à poil, une bonne bouteille de vin, un peu de téloche et, hop, au lit, au revoir tout le monde. Point. Je suis même pas un grand fana du sexe. Enfin, je veux dire, c'est bien, le sexe, je prétends pas le contraire, mais bon, je ferais pas des folies pour, comme certains. Je suis pas en chasse tout le temps. Je peux prendre du bon temps tout seul. Vous me suivez ? Je peux regarder. Oui, je suis capable de voir le potentiel fantastique qu'il y a dans un corps de femme sans avoir forcément à le posséder. En un sens, c'est encore plus excitant. L'image, la vue. Les nénés qui vous font saliver, tout ça... Alors ça, j'adore. Mais croyez pas, hein, j'en fais pas non plus une obsession, comme certains. »
Et
pendant que je conduis, cannette Huit-Six entre mes cuisses, que t’y poses ta
main pour t’y abreuver aussi, la poussière de l’ouest donne soif baby, je sens
cette odeur de ribs à des miles. Alléché par cette promesse, je ne dévie pas de
ma route, les grillades pour un homme c’est sacré. Surtout avec un stetson et
des santiags. Je ferme mon bouquin, j’ai faim, j’ai soif, lumières enfumées,
quelques filles dansent entre les chaises, les hommes braillent, les coyotes
hurlent, les filles transpirent. Saine transpiration de plaisir, plaisir des
yeux, une serveuse rousse et pulpeuse me sert une bière fraîche et blonde,
histoire de me faire patienter, les ribs comment à dorer, je reluque les filles
aux sourires à la chevelure dorée, j’adore ces p’tits coins de paradis, éden du
Middle-West.
« Price fit une entrée au pas dans l'agglomération, passant devant un petit panneau qui affirmait : « Belvidere, la Ville qui Vivra Vaille que Vaille ». Il ne voyait rien qui mérite le nom de ville : un garage abandonné, un resto à grillades désaffecté, Tibbs' Ribs, tout était délaissé à part une station-service Conoco, avec un petit café et un self adjacent. »
« Balades au Paradis », Sam Shepard.
Le soleil se couche maintenant, les étoiles se réveillent, s'illuminent, dansent au son du ukulélé. Je le regarde là-haut faire d'autres balades au Paradis, pérégrinations musicales, virées en canoë stellaire ; une guitare, un regard, une âme. Bloodline.
synchronicité, je viens de ressortir ce week-end ce recueil que j'avais commencé puis abandonné (pourquoi ? je ne sais plus...) !
RépondreSupprimerDe mémoire, j'ai préféré "A mi-chemin", mais il est vrai que je l'ai lu il y a bien longtemps, et ma mémoire peut me jouer des tours. Toujours est-il que des nouvelles de Sam Shepard promettent toujours une bonne plongée dans le Middle-West. Tu n'as plus qu'à sortir une guitare et les odeurs de ribs caramélisés viendront...
SupprimerP'tit coin de paradis le Midwest ?
RépondreSupprimerTout est relatif, 'le Michigan c'est pas juste froid en hiver, c'est carrément l'arctique.' :-)
C'est que moi, j'aime le froid en hiver, j'aime l’arctique et que les nanas aient froid entre les cuisses pour que je vienne les réchauffer... Oui, j'aime ces hivers dans le Michigan (bon peut-être que si j'y vivrais j'aurais une autre vision moins romantique de la chose)
SupprimerLu les deux il y a bien longtemps. Le Sam, le Kris, des gars bien.
RépondreSupprimerDeux gars bien, ça tu l'as dit. Avec cette envie de boire une bière en silence en leur compagnie. Juste parce qu'il se dégage quelque chose de leur aura...
SupprimerJe m'y plongerai bien dans ces nouvelles...
RépondreSupprimerTu as un steston, avant ?
SupprimerUn jour je prendrai un gobelet en plastique et j'irai attendre ce Sam au bar.
RépondreSupprimerFerme les yeux, commande un bon vieux whisky, et tu sentiras la présence de Sam...
SupprimerBonjour, le Bison, j'avoue que la disparition de Sam Shepard m'a "foutu" un coup. C'est une certaine Amérique qui disparaît "L'ouest, le vrai". Bonne journée.
RépondreSupprimerÇa m'a donné ce petit coup de tristesse... Tout fout le camp, même l'Amérique depuis la mort de... Johnny Cash ? ... Il reste la musique et ses films... Mon Amérique et sa poussière.
SupprimerMoi aussi j'irais bien trinquer avec Sam un de ces quatre.
RépondreSupprimerD'où l'intérêt de crever avec son stetson...
SupprimerJai lu ses deux livres il y a longtemps, je ne me souviens pas des histoires mais je me souviens que moi aussi un m'avait plus plu que l'autre et que j'avais été épaté. Tu as raison, c'était plus qu'un grand acteur.
RépondreSupprimerUn bel hommage que tu lui rends.
Et s'il le fallait les vidéos prouvent que Kris Kristofferson est aussi plus qu'un grand acteur.
Je ne sais pas pourquoi, la ressemblance, l'âge, les deux milieux acteur-chanteur, lorsque je lisais Sam Shepard, j'avais envie d'écouter Kris Kristofferson... Sans doute pour prolonger mon incursion dans cette Amérique...
SupprimerMoi, mon truc, c’est d’imaginer une virée en canoë stellaire, un soir de blue moon ça doit être magique en hostie... ^^
RépondreSupprimerPuis des ribs et d’la poussière, pour traverser ses grandes étendues de terre sauvage, d’histoires banales et de vies inutiles qui sont au final la vraie vie, la plus belle qui soit.
Il me reste tant de grandes découvertes littéraires à faire...
moi aussi, j'ai tant de découvertes littéraires à prospecter... De quoi faire le tour du monde plusieurs fois dans un canoë stellaire...
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