mercredi 27 septembre 2017

Ainsi parlait Zarathoustra à L.A.

Allant à la bibliothèque, je l’avoue j’ai un faible pour les lunettes de la bibliothécaire, du genre brune et souriante, je croise la route de mon fidèle compagnon. Des années que l’on se suit de caniveaux en motel à l’abandon, vétusté des lieux et du temps. Il déambule comme un pauvre ou un miteux alcoolique, à la recherche d’un mégot au fond de la poche d’un cadavre endormi ou d’un bout de trottoir entre deux flaques de pisse encore chaude et fumante. Compagnon qui sait si bien m’émouvoir si bien me faire rire, le grand Arturo Bandini est de retour. Il est en pleine forme. Il a la rage, envers le monde, envers la société, envers les femmes. Il est tout simplement humain et c’est ce qui me plait chez lui, le grand Arturo Bandini. Mais d’où me vient cette passion subite pour la bibliothécaire ? sa paire de jambes, ses gros seins, ses lunettes ? Je l’entends d’ici, sa tirade enflammée digne d’un Nietzsche sous amphétamines. Un jour il sera publié, Arturo Bandini le Grand avec les majuscules là où il faut et j’irai voir la bibliothécaire, avec son sourire et son large décolleté pour lui demander : « avez-vous par hasard le grand Bandini en rayon ? » Elle regardera dans son fichier informatique, un grand sourire et un ange passera, et se lèvera de son fauteuil en skaï noir épousant ses délicieuses formes. Je regarderai bien sur son cul comme l’aurai fait Bandini et l’aurai suivi dans les rayons obscurs de la bibliothèque attendant le moment propice pour la prendre debout entre les plus grands philosophes me retenant d’éjaculer… O Zarathoustra ! sur ses lunettes…     

« Dissertation Morale et Philosophique sur l’Homme et la Femme, par Arturo Gabriel Bandini. » Le mal est réservé à l’homme faible, voilà pourquoi il est faible. Mieux vaut être fort que faible, car être faible, c’est manquer de force. Soyez forts, mes frères, car je vous le dis, si vous n’êtes pas forts, les puissances du mal auront votre peau. Toute force est une forme de puissance. Tout manque de force est une forme de mal. Tout mal est une forme de faiblesse. Soyez forts, sinon vous serez faibles. Evitez la faiblesse si vous voulez devenir forts. La faiblesse dévore le cœur de la femme. La force nourrit le cœur de l’homme. Voulez-vous devenir des femmes ? Dans ce cas, devenez faibles. Voulez-vous devenir des hommes ? Oui ? Alors, devenez forts. A bas le mal ! Vive la Force ! O Zarathoustra, accorde à tes femmes une abondance de faiblesse ! O Zarathoustra, accorde à tes hommes une abondance de force ! A bas la femme ! Longue vie à l’homme.


Et dire qu'au levée du jour, j’avais le blues. Même l’érection matinale ne parvenait pas à me sortir de ma torpeur et l’envie de sortir de mon pieu, de soulever les draps bouffés par les mites et d’avaler des corn flakes trop humides ne semblaient pas une motivation au goût du jour. L’absence d’envie, la perte de vie, jusqu’à ce que je refasse « la route de Los Angeles ». Et là, je me suis mis à écrire sur mon clavier, à taper furieusement un agencement de lettres dans le désordre. Je ne tiendrais jamais la comparaison avec le grand Arturo Bandini, cet immense écrivain au talent aussi rital que la mama cuisant ses pâtes al-dente en soutien-gorge. Un verre de whisky, un mégot dans le cendrier. La bouteille à mes pieds. L’inspiration en vrac. Je troque mes charentaises pour des mocassins au cuir délavé par la gerbe de longues soirées dans les bars irlandais de la Bunker Hill. Et découvre les rayons de soleil qui me donnent mal au crâne et illuminent les jambes des femmes. A la recherche d’une idée fumante…

« Un matin, au réveil, j’ai eu une idée. Une idée fumante, grosse comme une maison. La plus grande idée de ma vie, un vrai chef d’œuvre. J’allais trouver un boulot de veilleur de nuit dans un hôtel – voilà mon idée. Cela me donnerait l’occasion de lire et de travailler en même temps. J’ai sauté au bas de mon lit, avalé mon petit déjeuner, puis descendu l’escalier six à six. Sur le trottoir, je me suis arrêté quelques secondes pour ruminer mon idée. Le soleil brûlait la rue, arrachait de mes yeux les derniers lambeaux de sommeil. Bizarre. Maintenant que j’étais bien réveillé, mon idée ne me semblait plus aussi géniale ; c’était simplement l’une de ces idées qui naissent dans le demi-sommeil. Un rêve, un simple rêve, un délire fumeux. Je ne pouvais pas trouver de boulot de veilleur de nuit dans cette ville portuaire, pour cette simple raison qu’aucun hôtel n’employait de veilleur de nuit. Déduction mathématique assez élémentaire. J’ai donc remonté l’escalier jusqu’à notre appartement et je me suis assis. »

Je m’assois sur un banc, regarde les jambes passées, regarde la colonie de fourmis croiser la route des joggers. A la queue-leu-leu. Fascinant, ces fourmis dans un parc, de quoi construire un chapitre entier dans mon prochain roman. Elles passent leur journée à déambuler, à se suivre, à ramasser des mégots ou des feuilles mortes. Sans jamais se plaindre, elles marchent, courent, volent au vent. Captivant. Et elles ne le font même pas pour elles. Non, c’est juste un loisir ou un devoir envers leur société, la société secrète des fourmis. Puissant. A la queue-leu-leu. Ma queue se redresse. Une paire de cuisses à l’horizon, la bibliothécaire. Je laisse de côté la vie des fourmis, pour me concentrer sur celle de ses cuisses. Ouvertes, fermées. Je fais semblant d’ouvrir le livre que je viens d’acheter, aussi lourd qu’une caisse pleine de Jim Beam, faut dire que Schopenhauer, c’est du lourd. Si avec ça, je ne l’emballe pas et n’arrive pas à la déballer dans ma piaule et lui enlever ses lunettes…   

« J’étais toujours dans le parc. J’y ai lu cent livres. Il y avait Nietzsche et Schopenhauer et Kant et Spengler et Strachey et d’autres encore. Oh Spengler ! Quel livre ! Quel poids ! Aussi lourd que le Bottin de Los Angeles. Jour après jour je le lisais sans rien y comprendre ; d’ailleurs je me moquais de le comprendre ; je le lisais simplement parce que j’aimais tous ces mots rugissants qui défilaient de page en page avec de sombres grondements mystérieux. Et Schopenhauer ! Quel écrivain ! Pendant des jours je l’ai lu sans discontinuer, en me souvenant d’un passage çà et là. Et puis, quelles tirades sur les femmes ! J’étais totalement d’accord. Exactement les mêmes idées que Schopenhauer à propos des femmes. Ah, quel écrivain ! »

Mais assez de ces grandes tirades déclamées à l’ombre de ce cyprès. Viens par-là, femme, assis-toi sur ce banc que je mette ma main entre tes cuisses et que je sente ton parfum du désir mouiller mon âme virile. Tu seras ma perte, comme toutes les femmes, mais comme Arturo Bandini tu hantes mon esprit. Pendant que mon majeur se fourvoie dans ses poils, je lui récite des vers de Kant, un verre de Chianti poupée ?, elle me sourit, je lui balance mon regard de braise qui décrit si bien mon âme, je suis rital et je le reste et ma langue s’aventure dans sa bouche. Je n'aime pas parler. Une odeur de whisky s’empare de nos bouches, brûle nos sens, j’adore, Arturo est en moi, la bibliothécaire est sur moi.    

« J’ai débouché la bouteille et l’ai brandie devant moi. « Saluti ! » Et je me suis envoyé une rasade. J’ignorais pourquoi j’avais acheté cet alcool. C’était la première fois de ma vie que je dépensais de l’argent pour de la gnôle. Je détestais le goût du whisky. J’ai été surpris de le trouver dans ma bouche, mais il était bel et bien là, et avant que je n’aie le temps de réagir, l’alcool me travaillait, griffant mes dents et attaquant ma gorge – il se débattait et lacérait comme un chat qui se noie. Son goût était horrible, comme de poils roussis. Je l’ai senti descendre, me faire des trucs bizarres dans l’estomac. Je me suis léché les babines.
« Merveilleux ! Tu as raison. Ce whisky est merveilleux ! »
Il s’était niché au creux de mon estomac où il roulait en tous sens en essayant de trouver une place confortable, et je me frottais vigoureusement le ventre pour que la brûlure de ma peau égale celle de mon estomac.
« Splendide ! Superbe ! Extraordinaire ! »

« La Route de Los Angeles », John Fante.



22 commentaires:

  1. Bon, je note qu'il me faut lire Fante, impérativement.
    Tu serais malheureux ici. Les bibliothécaires portent des petites laines et sont plates du buste.
    Tranche de vie: j'aime mes Corn Flakes humides!

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    1. Fante est un incontournable, des lectures impératives.
      Tant pis pour les bibliothécaires, je me contenterai de regarder le vol des lagopèdes à queue blanche, en mangeant un bol de corn-flakes encore légèrement croustillants...

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    2. Bon, je peux t'arranger ça!
      En passant, les serveuses de poutine pourrait fort t'intéresser...

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    3. Jamais vu une serveuse de poutine ! :-))

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  2. Wey! Bandini, Fante, le Bison... Pas de problème, je fais le quatrième. Et je pense être capable de me comporter aussi mal ou bien que les autres. J'ai jadis lu La route de Los Angeles. Comme dans mes Rêves de Bunker Hill avec Mon chien stupide même si je suis picard et je le reste. Un bémol, et là je sens poindre une déception. Voilà. J'ai zappé Zappa toute ma vie. En fait je ne connais de lui qu'un célèbre poster, un postérieur même. California yours.

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    1. Surpris. Étonné même. Non pas que tu sois picard et que tu le revendiques. Mais Zappa... Bon OK, je suis pas un grand fan absolu. J'essaie d'écouter, certains albums me passent bien au-dessus de l'engouement suscité. Mais d'autres, ma foi, j'y prends plaisir, avec Jim ou Jack pour m'accompagner. Je pense surtout à Hot Rats ou Freak Out.

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  3. Mon père s'est toujours pris pour Zappa, moi j'ai lu Fante il y a des années. Faudra que je relise un jour pour voir ce que ça donne après décantation.

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    1. Peut-être la moustache ? :-)

      Fante, c'est comme Brautigan ou Bukowski, je prends mon temps pour parcourir leurs livres. Pas trop souvent, pour les découvrir tout au long de ma putain de vie. Fante, c'est la décantation suprême du whisky dans une flaque de vomis du caniveau.

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    2. On voit que tu as bien saisi le concept de décantation ;)

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    3. La décantation, ça me connait, des années d'études en biochimie...

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  4. Pendant que tu t’abreuves de Nietzsche sous les amphétamines ou des pensées éjaculatoires de Zarathoustra (ça rime joliment avec Kamasoutra), le temps se réchauffe ici, loin du frette j’me balade en canoë stellaire pour m’aérer l’cul à l’air, tu s’rais gentil, HOMME, de m’servir une p’tite frette ou un p’tit blanc bien frais, et qu’ça saute! J’vais pas attendre des heures comme ça! ^^
    Ah oui, Fante, un jour, comme une évidence...

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    1. Ne me parle pas de Kamasoutra, j'ai déjà éjaculé...

      Comme une évidence, j'ai la citation parfaite de Fante, de quoi philosopher des heures avec une caisse de frettes : "Il faut annihiler les femmes. Les détruire une bonne fois pour toutes. Je dois les chasser définitivement de mon esprit. Elles et elles seules ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui."

      Un p'tit blanc bien frais ?
      ...
      Mais bien sûr
      ...
      Un verre de Chablis, et après ? :-)

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  5. J'ai un peu délaissé Fante ces dernières années, il va falloir m'y remettre... (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)

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    1. J'en ai encore d'autres en stock. Je les dilue dans plein d'autres choses non "fondamentales" pour ainsi me consacrer ensuite au plus fondamental, l'essentiel, Fante :-)

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  6. Ça donne très envie de prendre cette route dis donc

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    1. Les romans de Fante pourraient faire de bons films. Même si son "Demande à la poussière" avec Colin Farrell et Salma Hayek ne fut pas une grande réussite...

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  7. sur tes conseils, j'ai lu ce premier roman. J'ai aiiiiiimé ! les rapports avec sa mère et sa soeur sont terribles. Je vais continuer l'aventure avec "Bandini"

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    1. Je suis content... L'oeuvre de "Bandini" est à lire. C'est drôle, c'est pathétique, c'est la vie...

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