mercredi 17 octobre 2018

Le Dernier Arrêt

« Les guirlandes de Noël brillaient au-dessus de la scène, au-dessus des stripteaseuses, toute l'année, rouges et vertes. Les filles dansaient principalement sur du mauvais rock'n'roll. Les barmans, les serveuses, les danseuses et le videur étaient des femmes. L'endroit s'appelait The Last Stop. »

Plaisir avouable que de rentrer dans ce sombre bar qui doit sentir la fumée du siècle dernier, la sueur des danseuses d’il y a dix ans, le foutre et la pisse de la veille. Un dernier arrêt avant la fin de la nuit, un dernier verre avant la fin d’une vie. En vieil habitué de ces lieux mythiques où traîne mon imagination perverse, je me fonds, le regard triste, les yeux sombres dans le noir de cet endroit aux décolletés chamarrés. En vieil habitué, la serveuse m’apporte sur son plateau argenté une pinte d’une bière assez fade et un bourbon au gout de vieille planche. En vieil habitué, je reluque son cul en train de flotter vers une autre table, l’envie irrévérencieuse de lui fourrer mon désir ardent. En vieil habitué, je me rabats vers la danseuse qui arrive à garder un semblant de sourire malgré le glauque de sa vie, et lui glisse un billet en compensation entre les charmes luisant de sueur et la ficelle de son string. Des habitués comme moi, le coin en déverse chaque nuit sa floppée de solitaires venus juste boire un verre, lire un livre, attablé, assoiffé dans un brouhaha immonde et quelques poupées bien roulées.  

« Ron aimait boire seul, mais il n'aimait pas être seul à sa table. Quand il commandait au bar, il demandait toujours un verre de tequila puis il allait toujours à une table où il y avait des gens qu'il ne connaissait pas et à qui il n'adressait pas la parole. Les gens jetaient un coup d'œil dans sa direction mais ils ne disaient rien. »

Evidemment, j’en suis également de la partie. Boire seul semble être la seule chose que je sois capable de faire. Chacun ses compétences ou ses plaisirs. Quand le désir a abandonné toute vie, il reste des lieux fréquentés pour un dernier arrêt, The Last Stop et ainsi méditer un verre plein une bouteille vide sur les « Effets indésirables » de la vie. Des bouts de vie anonymes qui virent lorsque la lune cache sa luminescence bleue à l’absurdité de vies en parcelles invisibles. Larry Fondation écrit sur les caniveaux, le bitume, l’asphalte brûlant et tous ceux qui trainent leurs démarches bringuebalantes autour, entre deux bars illuminés de néons bleu ou entre deux ruelles sombres qu’arpentent des porte-jarretelles rouge incandescents. Des minuscules nouvelles, tendance polars ou paumées, Los Angeles et son univers glauque, celui des bas quartiers et des quartiers de bars où des pauvres types boivent seuls leur bière, devant leur souvenir d’une vie râté. 

« Effets Indésirables », Larry Fondation.




J'écoute Steve Miller, et ce depuis les années 70, et puis l'autre jour ce type se ramène - un gars que je connais à peine - et il me dit que je devrais écouter autre chose ; que c'est les années 90. Le lendemain, j'ai acheté des CD de groupes récents - Gun N' Roses, The Smiths, Nirvana - mais je ne sais pas trop. Je me passe encore Space Cowboy.
Je n'ai plus de crackers et j'ai faim.
Je ne vais pas être payé ; j'en suis sûr.
Elle est belle et blonde, elle est assise à côté de moi, se fait les ongles des pieds.
- Vous attendez le vol pour Miami ? je demande.
- Oui, elle répond poliment, sans quitter ses ongles des yeux.
Son vernis est orange fluo. Je luis dis que j'aime bien la couleur et elle me demande de souffler dessus pour que ça sèche pendant qu'elle se fait l'autre pied. Elle est pressée et veut finir ses ongles avant d'embarquer dans l'avion, alors je le fais. Me voilà en train de bander. Mes lèvres sont tout près de son pied. Quand ils appellent les passagers, elle s'en va. Pas moi. Je lui fais un signe de la main, sans conviction me semble-t-il.>



Sur une masse critique, 
de la littérature de paumé comme je l'aime ;
Merci donc à Babelio et
aux éditions 10/18 

pour ces confiances renouvelées, la bière et Steve Miller.

2 commentaires:

  1. Un billet qui rend désirables ces Effets... ;)

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    1. Je ne l'ai pas dit, mais j'ai trouvé qu'il y avait du Brautigan dans ces effets (in)désirables... Il devrait te plaire...

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