La nuit, un jour. Le hasard d’une
rencontre, et cette promenade dans l’obscure forêt qui entoure mon âme. La lune
bleue n’illumine plus la clairière de la vie, elle s’enfuit à l’ombre des
nuages, là où l’âme miséreuse ne peut la regarder, la sublimer. Un vent
souffle, emportant tous ses parfums, de la résine de pins à la fleur de jasmin.
Quelques étoiles, pour lesquelles on ne croit plus, j’hume ces 3 heures du
mat’, le meilleur instant de la journée, de cette vie, à peine recroquevillé
pour garder une once de chaleur en moi. Un bouquin sur les genoux, qui sent
plus le sapin que le jasmin. Je me trouve dans cette forêt aux milles senteurs,
qui chatoient mon âme nocturne. C’est une putain de rencontre, peut-être la
plus belle plume de cette année. J’ai été émerveillé par la poésie de l’auteur.
En une nuit, j’ai visité « le
camp des autres ». J’y suis resté plusieurs nuits, tant je me suis senti à
mon aise, longtemps j’ai observé, jusqu’à ce que le temps s’estompe dans ma
mémoire. Le jour est apparu, le soleil est venu. La nuit est réapparue, pas la
lune. Je fais avec, désormais. Tristement, je sens ces herbes sauvages qui s’envolent
des pages comme les volutes d’une cigarette laissée à l’abandon dans un
cendrier à la terrasse d’un café. Je n’ai jamais autant senti dans un bouquin,
cette ode aux parfums de la nature. Respire. Inspire. Fraîcheur d’hiver, senteur
de la forêt. Une petite fumée sort de mon corps chaque fois que je respire, ce
souffle qui s’échappe c’est un peu de mon âme qui s’enfuit. Et pendant ce temps,
un petit enfant erre dans cette forêt. Et moi, en sauvage que je suis, je le
poursuis, les pages se tournent comme les feuilles qui s’envolent. La brume
entoure la brume. Elle devient intense, comme le plaisir que j’ai à lire cet
étonnant bouquin, dans le genre jamais lu jusqu’à présent. A la limite, je me
fous de Gaspard, probablement mon coté peu sociable qui ressort même dans mes
lectures, mais je respire ces sensations olfactives parce que ce putain de
bouquin est rempli d’odeurs et d’émotions.
« Mélange
de feuilles putréfiées, de glands rongés, de mycéliums velus, de lichens et de
mousse. Galle des pourritures, fougères mortes, brindilles broyées, branches
cassées, graminées, mauvais herbes, lianes et épineux, baies moisies, germes
mort-nés, graines. Bois spongieux habité de larves et de vers, écorces
émiettés, imbibées d’une humidité constante, sous toute les formes de l’eau,
givre, gel, rosée, neige, brume, buée, brouillard, haleine de bêtes, urine,
sperme, lymphe, sang, vapeurs croupies. Superposition de couches et de couches
de saisons, de pluies, de lumières lourdes ou légères, de sels minéraux,
d’évaporation, de chaleur et de froid, de ravages et de renaissances, de
cendres. Nid grouillant de cadavres et de nouveau-nés, de cycle de dévoration et
de reproduction, de poils, de plumes, de peaux, d’os, de viandes, d’humus, de
glaise, d’argile, de temps, de nuit, de ciel. Danse nuptiale des prédateurs et
des proies, des instincts et des hormones, des nuits sans fond et des
brouillons bouillonneux de la lumière, des vibrations du soleil et de la lune.
Lit sans fond et archaïque, berceau et tombeau, déesse mère du vivant, crâne
fendu d’où s’est extrait terrifiée la bête aux rêves nus qui ne sait pas
croire. La forêt. »
C’est souvent l’heure des bilans à
l’orée d’une année, d’une vie ou d’une forêt. Pas besoin de revenir sur les
souvenirs passés, les mots sont encore présents en moi. Et l’atmosphère. J’ai
découvert de grands auteurs cette année, et parmi ceux-là, Thomas Vinau fut la
plus grande surprise. Je ne m’étais pas attendu à ressentir tant de parfums et
d’émotions dans cet auteur français qui écrit presque du nature-writing à la
française. Le pic épeiche s’envole, un loup hurle la mort ou la tristesse d’une
putain de vie – c’est la même chose, le vent fredonne sa mélodie façon
onomatopées saccadées comme un saxo alto jouant un jazz libéré, le bison finit
son verre, le silence en main, le cœur perdu dans l’immensité de cette forêt.
« Dans le ventre sauvage d’une forêt, la nuit est un bordel sans nom. Une
bataille veloutée, un vacarme qui n’en finit pas. Un capharnaüm de résine et de
viande, de sang et de sexe, de terre et de mandibules. Là-haut la lune veille
sur tout ça. Sa lumière morte ne perce pas partout mais donne aux yeux qui
chassent des éclairs argentés. Gaspard est recroquevillé contre le chien. A
moitié recouvert par lui, il le serre dans ses bras trop courts. Le feu
n’empêche pas d’avoir froid, le maintient dans un demi-sommeil parcouru de
sursauts. Le feu n’empêche pas d’avoir peur, le monde entier autour d’eux
grouille comme une pieuvre sombre. Le vent siffle, souffle, gémit, gonfle les
buissons comme des poitrines et fait craquer les branches. On entend les
insectes sous les écorces, les becs de rapaces qui fouillent dans les goitres égorgés,
les petits os craquants sous les mâchoires des rongeurs. On dirait que c’est le
sol tout entier qui bouge. Et au loin parfois, lorsque tout se calme, un
hurlement éventre le vide noir qui les entoure. Il y a des loups, ou des hommes
quelque part qui se déchirent l’âme. Il y a des peines, des cris, des
grognements tout autour qui givrent jusqu’à l’aube. »
« Le Camp des Autres », Thomas Vinau.
Et bien, quel lyrisme, quel enthousiasme ! Ce livre a l'air de sentir la vie et la pourriture.
RépondreSupprimerEt qu'est-ce qu'il chante bien Feu Chatterton ! Ses concerts ont l'air de sentir fort aussi...
Oh oui.
J'ai découvert il y a peu de temps Feu ! Chatterton sur ce titre (merci la grève à France inter) et l'ai trouvé hypnotique et entraînant, comme ce roman de Thomas Vinau que je découvrais aussi...
SupprimerEt il a l'air d'y mettre de l'énergie dans ses concerts, ça doit sentir la vie et la sueur...
Une forêt aux mille senteurs, une ode à la nature, une plume poétique, que ce doit être bon pour l'âme...
RépondreSupprimeril ne manque plus que l'odeur du suc de l'érable... mais y'a pas ça dans nos forêts...
SupprimerRavie de t'avoir fait découvrir cette "putain de plume"...
RépondreSupprimerLa part de nuages m'avait encore plus touchée, c'est dire ;)
Est-ce vraiment possible d'être encore plus "putain de plume" que dans ce roman là ? Ca serait dire son potentiel...
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