« Nous avions à peine vingt ans
et nous rêvions juste de liberté. » Voilà, au mot près, la
seule phrase que j'ai été foutu de prononcer devant le juge, quand
ça a été mon tour de parler.
Une poussière se soulève de
l'asphalte brûlant, la poussière de ma bécane, la poussière de ma
vie. Le moteur vrombit au milieu d'un silence qui s'épanche comme
sur les plaines d'un cimetière. Une lune, bleue, illumine la voie,
celle qui me mènera au bonheur complet, à la liberté, celle de
vivre, celle d'aimer. Aimer la vie, aimer le sourire de cette
serveuse venue rouler son cul avec ma pinte de bière. Je craque
toujours pour un sourire, ma braguette, elle craque pour son cul. Je
me retrouve dans un coin de la salle, dans la pénombre des vies
tristes, là où la poussière est plus abondante, là où je ne
risque pas de gêner ces gens heureux qui roulent des mécaniques,
qui roulent sur des machines rutilantes ou sur des femmes
ruisselantes en écoutant Led Zep.
Quand j'ai fini ma bière, pis mon
whisky, j'enfourche ma bécane bichonnée et je roule seul, au milieu
de la poussière, avec j'imagine, un sentiment de liberté. Même pas
envie de fonder un club, la solitude est ce qui me va le mieux, même
en bécane, surtout. Alors un club avec écusson et règles, je sais
pas, j'ai pas eu le temps de mater tous les épisodes de Sons of
Anarchy. Je poursuis donc mon chemin, la voie tracée sur le bitume
brûlant. Quelques gars derrière moi. La vie de bohème en somme, le
cuir usé et poussiéreux, les santiags usées et poussiéreuse, ma
vie trop longue et encore plus poussiéreuse.
« La poussière, la bécane, le
cuir et la sueur, le chevalier des temps modernes qui traverse le
pays sans jamais s'arrêter, tu vois ? Où va-t-on à bécane
quand on a déjà franchi toutes les nouvelles frontières ?
Mais dans le ciel, mec ! Les Spitfires ! Bordel à queue,
le nom de ton club, vous êtes des génies, mec, des cracheurs de feu,
des dragons de métal qui brûlez les ruines de notre sinistrose et
roulez pleins gaz sur les cendres du passé ! Des Attila en
cuir, là où roulent vos bécanes, l'herbe ne repousse pas. Des
motos avec des ailes ! Des Gary Cooper en blouson noir, mec, un
genre de mise en abîme sur la putain de traversée du désert de la
civilisation tout entière avec la soif et la colère, le retour aux
sources, l'homme et sa machine, la domination de la matière, tu
vois ? Mec, vous êtes des alchimistes ! Vous transformez
l'acier en gouttes de vie ! Le motard sauvage comme figure de la
résistance, avec le guidon pour glaive et le chrome comme armure, tu
vois ? Un truc pour faire remuer tout ce foutu silence, pour
faire pisser les vieilles salopes de peur dans leur petite culotte,
que ça pétarade un peu dans les chaumières, tu vois ? »
Bien sûr, je m'arrête dans quelques
bouges, histoire de rendre hommage aux serveuses, là où on te sert
un whisky poussiéreux. En ce lieu sombre, dès que je m'assois sur
ces hauts tabourets, une bière sur le comptoir, ma face qui se
reflète dans le miroir d'en face, je ne peux que détourner le
regard de cette putain de vie et filer en douce chevaucher Lipstick, la puissance de ma bécane chromée sans l'ombre d'une poussière, le phare projetant les inquiétantes ombres des solitaires.
La nuit, belle et immense, se pare de sa tenue de jais, la lune bleue
s'est même dérobée de ma route, mon regard perdu vers un horizon sans fin. Je roule dans le noir, dans la
profondeur des ténèbres, trop tard pour mon salut. Je rêvais juste
de liberté, d'amour et de rock'n'roll, la poussière a eu raison de
moi, le vide d'une vie.
« J'espérais qu'avec la nuit il
voyait pas ces putains de larmes, ces salopes toutes salées qui
coulaient encore sur mes joues. »
« Nous rêvions juste de
liberté », Henri Loevenbruck.
« - Les Rolling Stones, niveau
harmonie, à côté des Beatles, je veux dire, c'est de la merde en
boîte.
- On s'en fout, de l'harmonie, ce qui
compte, c'est le rock'n'roll, lopette !
- On s'en fout des Rolling Stones. Ce
qui compte, c'est Led Zeppelin.
- Ouais, exactement, mec. Faut
reconnaître, y'a pas de magie, dans les Stones, c'est juste des
péquenauds qui ont réussi. Alors que Led Zep, mon pote, c'est
mystique. »
Si on n'a de goût ni pour la moto, ni pour les santiags, peut-on tout de même goûter cette bière ? Blonde, forte et boisée... Tout un poème... J'aime bien le café littéraire du Bison :on y fait toujours des découvertes intéressantes ! ^^
RépondreSupprimerEn fait, je suis plus pick-up que moto et pourtant, je bois de la bière... Et cette Cornet ! Elle m'a fortement surprise...
Supprimerj'aime les Beatles, les Stones et of course Led Zep. Puis-je rajouter les Stranglers quand même ?
RépondreSupprimerOublie ! Il n'y a que Led Zep !! et la discussion est close.
SupprimerY a d'la joie, bonjour bonjour les hirondelles...
RépondreSupprimerT'es un vrai biker, toi !
SupprimerRien à voir avec la bécane mais la grève a du bon, la play list de France Inter est une splendeur et là, va savoir, j'ai pensé à toi :
RépondreSupprimerhttps://youtu.be/KBoFVOSRnWk
C'est ce que j'ai entendu dire, pas plus tard que ce midi autour d'une ou deux bières... Du Pink Floyd, hier soir un concert punk rock, et puis ce morceau, grandiose, sublime. Merci d'un tel partage, ça me va droit au cœur...
SupprimerMoi je n'ai retenu, dans la traînée de poussière, qu'une seule réplique : "Ta gueule, Oscar !" ;-)
RépondreSupprimerC'est déjà une belle réplique... Bon, faut connaître aussi des Oscar pour pouvoir la replacer...
SupprimerJe rêve aussi de liberté, de solitude, de silences, je n'ai même plus d'ailleurs besoin d'en rêver, je vis, libre, silencieuse à mes heures, solitaire.
RépondreSupprimerJe rêve de rhum, de vie cubaine, de palmier et de forêts humides... d'ailleurs, pourquoi c'est humide, je me pose encore la question...
Alors je noie ma réponse dans un rhum 20 ans...
20 ans, j'adore ces petites jeunettes... que je dégusterai volontiers dans le silence de ma non-existence.
Supprimer