J’arrive
sur le quai de la gare, essoufflé, tout en sueur de désir et du grand amour qui
m’attend probablement de l’autre côté de la voie, à l’autre bout de la ligne du
train bleu. Le soleil commence à se lever. Personne sur le quai. A croire que
les cheminots sont en grève. Juste une femme, sublime avec son prénom à l’odeur
de poussière et d’atmosphère, Arlette. Brune et grande, le genre à porter du
Simone Pérèle taille 100 bonnet D, l’espoir dans son sourire. Elle me raconte
autour d’un café brûlant sorti d’un thermos sa vie sa passion pour les trains,
et surtout ces petites gares qui égrainent le passage dans une certaine France,
loin des grandes agglomérations où les gens s’agglutinent sur les quais. Là, je
respire le silence en même temps que cet air frais qui brûle un peu les poumons
et ce parfum de jasmin qui s’évapore de son corps.
Arlette
navigue de trains en trains, de gares en gares, de bars PMU en bars PMU. Elle
les connait tous, les fréquentent tous à une haute fréquence, carte grand
voyageur à la recherche de son Juju. Elle me raconte ses souvenirs, ses
anecdotes, ses rencontres. Elle me parle de ce numéro de téléphone graffité sur
la porte des toilettes avec son message alléchant « Gros
Zob au 06 11 36 xx xx ». Bien sûr, elle a appelé. Elle me parle
longuement de René-Georges, ce type secrètement amoureux d’elle, grande gueule
et chemise ouverte, odeur de sueur et de naphtaline, représentant de la France profonde et de l’anisette.
« C'est
grâce à Phil que j'avais retrouvé Juju, après son échappée. À l'époque, j'étais
venue partager avec lui l'émotion qu'elle m'avait causée, et il m'avait emmenée
au café Molette, au milieu de vieux ivrognes assommés à l'anisette, qui se
racontaient des histoires encore plus vieilles qu'eux. On s'était assis autour
d'une table en formica rouge sur des sièges qui crissent quand on les bouge, et
on avait bu un alcool qu'on ne trouve plus que dans ce café : un Mandarin
Curaçao. J'imagine que même René-Georges ne doit pas connaître le goût de cette
"liqueur digestive" qu'on sirote ici précautionneusement, le gargotier
gérant au plus juste la fin de son stock de cet alcool disparu des rayons
depuis belle lurette.
Après
avoir épuisé la bouteille, on s'était mis à parler de tout et de rien avec le
patron, appelé le Rouff allez savoir pourquoi. Nous étions ses derniers
clients, à l'exception d'un schnock assis face à une "mousse" qu'il
renouvelait chaque demi-heure avec la régularité d'un métronome. »
Entre
deux gares, parce que c’est forcément un livre à lire dans un train, je
découvre une autre facette du conteur Eric Bohème, facétieux qui m’a entraîné
loin de sa « Zone 4 », sans le confort de la première classe, loin de
sa Cote d’Ivoire, entre Lamure-sur-Azergues et Vierzon. Une pointe d’humour,
une pointe de cynisme, un cocktail mélancolie-nostalgie qui n’a rien à envier
au Dry Martini, même si je préfère un verre d’anisette, comme Annie aime les
sucettes à l’anis. Chacun son truc, chacun sa gare. D’ailleurs le train entre
en gare. Personne sur le quai. Le soleil a disparu, la lune bleue n’est pas réapparue.
Je reprends le train, sens inverse, train de nuit, putain de vie, me dirigeant
dans le noir vers d’autres chroniques ferroviaires.
« Moi
au contraire, je suis émerveillée par les nouveaux trains régionaux, qui
circulent sur les lignes des provinces reculées : ils sont vraiment superbes,
de nuit surtout. Une fois, rien que pour me faire plaisir, je m’étais offert un
Saint-Pierre-le-Moûtier/Saint-Germain-des-Fossés nocturne, aller-retour
non-stop. Les lumières étant tamisées, le paysage filait en s’estompant dans la
pénombre alors que les fougères devenaient fluorescentes. J’avais mis un
tailleur pour l’occasion et le contrôleur m’avait demandé mon billet bien
poliment. Me trouvant seule dans le wagon, je sentais bien qu’il aurait aimé
entamer un dialogue. Mais c’était un jeune, un tendron ; il n’avait pas osé.
J’aurais
bien bu un Dry Martini ou un Negroni, mais bon la SNCF n’a pas encore prévu de
bar lounge dans ses trains régionaux. Le Dry Martini est meilleur servi avec du
Noilly Prat qu’avec du Martini, c’est René-Georges qui me l’a appris.
René-Georges met tellement de conviction dans tout ce qu’il affirme que cela
paraissait crédible, même s’il était à l’époque chef de zone chez Noilly Prat. »
« Le
Monico », Eric Bohème.
Merci encore aux éditions aNTIDATA,
pour ce petit fascicule,
où un vieux schnock comme moi peut, entre deux gares,
boire une anisette au Monico,
en fantasmant sur une Arlette taille 100 bonnet D...
Je veux bien prendre le train en marche avec Arlette ou Micheline...
RépondreSupprimerPar contre, pas de Pastis pour moi, merci ! J'ai pris ma première murge au Pastaga...
Et on se souvient toujours de sa première murge... et puis passé un certain âge, on oublie...
SupprimerDes chroniques ferroviaires, quel beau voyage littéraire... :-*
RépondreSupprimerAutrement, pour les détails, je vous laisse Arlette et son bonnet D, j’aurais envie qu’on me parle un peu plus du gros zob :P
Il te suffit d'aller dans n'importe quelles toilettes de gare ou dans le train pour que tu y trouves ton bonheur... des tas de messages alléchants promettant de gros zob... perso, je n'ai jamais été vérifié si c'était de la publicité ou de la spéculation...
Supprimer