Un jour que je me promène dans la campagne du Midwest, entre les tracteurs et les champs de maïs transgéniques, je croise le regard d’un gamin du coin, à l’accent fort prononcé de chewing-gum. De loin, il ne me voit pas l’observer, un vrai binoclard plus myope qu’une taupe, s’il y avait encore des taupes dans ces champs à l’abondance de pesticide. Il me rappelle vaguement quelqu’un, un type que j’avais vu à la télé, dans un film de Nicholas Ray, Jimmy et sa légende.
Et, un jour, il s'est présenté.
Jimmy Dean, étudiant en droit.
Franchement, il n'avait rien pour lui.
Un petit jeune homme, les dents barrés par un bridge, et gauche avec ça, l'air d'un oiseau tombé du nid, un accent impossible par moments, des réminiscences du Midwest, une diction imprécise qui rendait certaines de ses phrases parfaitement incompréhensibles.
Je n'ai aucun mal à l'avouer : je n'ai pas repéré au premier coup d’œil qu'il deviendrait celui qu'il est devenu.
Du coup, sa vie défile devant moi à la vitesse grand V, comme à bord d’une Porsche 550 Spyder. Des pages de sa vie se tournent et filent, pas que l’envie de connaître sa fin ou sa vie se fait pressente, mais l’écriture est fluide. Depuis son enfance, ses premiers pas sur les planches dans une troupe d’amateurs du lycée, avec une prof qui en pincerait pour lui que ça ne m’étonnerait guère.
Jimmy parle, sobrement, comme un grand timide, il joue plus du regard et des silences, à qui veulent bien les comprendre. Mais le théâtre semble être sa vie. Dès la première scène, il y met son cœur, sa rage, sa fureur de vie. A n’en pas douter, le gamin deviendra géant, et pas qu’à l’est d’Eden. Bien au-delà, même.
Ses proches aussi parlent. Ils nous le dévoilent sous un autre jour, ses voisins, ses camarades, sa première copine. Mais aussi dans les témoignages divers et variés, la voix d’Elia Kazan, de Marlon Brando ou d’Elizabeth Taylor. Que des géants là aussi. Les grands noms du cinéma se rassemblent autour de sa mémoire. Mais vite, arrive un tournant, le temps de jeter un coup d’œil à la lune, et la vie dérape dans le bas-côté. Et Donald Turnupseed entre en scène...
Je m'appelle Donald Turnupseed. Je suis l'homme qui a tué James Dean.
J'avais vingt-trois ans, en septembre 1955. J'avais quitté la marine pour reprendre des études à l'Institut technique de San Luis Obispo. Je rentrais chez moi, à Tulare, pour le week-end. Ma voiture était un coupé Ford Tudor de 1950, noir et blanc.
Je m'appelle Donald Turnupseed. Je suis l'homme qui a tué James Dean.
J'avais vingt-trois ans, en septembre 1955. J'avais quitté la marine pour reprendre des études à l'Institut technique de San Luis Obispo. Je rentrais chez moi, à Tulare, pour le week-end. Ma voiture était un coupé Ford Tudor de 1950, noir et blanc.
A titre personnel, j’apprécie grandement Philippe Besson, et je ne manque pas de le lire dès que l’occasion se présente. Il m’a totalement bouleversé sur certains de ses romans. Même « moins bons » - avis totalement subjectif et personnel, je prends un plaisir à le suivre. Bien évidemment, j’ai vu, à de nombreuses reprises, « La Fureur de Vivre », James Dean icône du cinéma américain de ces années-là, ce binoclard du Midwest au talent brut, à l’émotion abrupte. Le roman en lui-même ne m’a en revanche pas bousculé. Je ne suis pas, soyons honnête, un adepte des biographies qu’elles soient romancées ou pas. J’avoue même que si l’auteur avait remplacé les protagonistes par des anonymes complets, j’aurais eu probablement plus d’engouement. Je préfère sentir la vie des anonymes, moi l’anonyme bison qui traine mes sabots usés et mon vieux cuir ici, prendre le pouls de ces inconnu(e)s, question de perception.
Au carrefour des routes 466 et 41, je devais prendre à gauche. J'ai bien vu la Spyder arriver en face, elle descendait des collines, elle avait l'air de rouler à vive allure, mais c'était comme une image imprécise, à cause de la chaleur qui vibrait. Ce qui s'est passé, c'est que j'ai eu un moment d'hésitation. Juste une poignée de secondes. Je n'aurais sans doute pas dû.
Au carrefour des routes 466 et 41, je devais prendre à gauche. J'ai bien vu la Spyder arriver en face, elle descendait des collines, elle avait l'air de rouler à vive allure, mais c'était comme une image imprécise, à cause de la chaleur qui vibrait. Ce qui s'est passé, c'est que j'ai eu un moment d'hésitation. Juste une poignée de secondes. Je n'aurais sans doute pas dû.
« Vivre Vite », Philippe Besson.
On ne se remet pas d'être passé à côté du grand amour de sa vie, je vous assure. On fait semblant d'être heureux et peut-être l'est-on quelquefois, par hasard, sans le faire exprès. Mais ça ne dure pas. On revient toujours au malheur, au remords, au chagrin. On traverse les années avec un sourire impeccable et, dans la solitude, on se verse un whisky et puis un autre. On a du mal à trouver le sommeil parce que des images reviennent nous hanter, alors on avale des somnifères et on s'avachit, on sombre dans des comas passagers.
Enfin, un jour, on force un peu trop sur les pilules et on meurt.
Que l on soit binoclard ou pas, quand une personne a du charisme, il ne peut qu éclater et apparaître aux yeux de tous. Même, et surtout, si sa vie est brève et finit derrière le volant d un bolide lancé à folle allure...
RépondreSupprimerC'est donc ça... moi qui pensait avoir un petit point commun avec jimmy alors que je ne suis qu'un binoclard sans charisme...
SupprimerSalut, le Bison
SupprimerÊtre binoclard et conduire une Porsche 550 Spyder....cela contribue peut-être à développer un certain charisme.
ça doit être ça... il me manque la Spyder...
SupprimerSalut, le Bison
SupprimerTu m as donné envie d en savoir un peu plus sur le binoclard du Midwest...
Je viens donc de terminer ma lecture.
Charisme ou pas, le jeu de l acteur peut être apprécié, mais ce livre ne me donne pas nécessairement envie de rencontrer l homme James Dean.
C est ma première lecture de Besson (j ai vu, il y a quelques années, une adaptation théâtrale d Un tango en bord de mer) et je reste sur un goût de trop peu. Le roman est une poignée de confettis, chacun d entre eux nous faisant découvrir un aspect de Jimmy.
Mais, bon, la lecture de cet ouvrage est agréable.
Merci pour cette découverte !
Si c'est ton premier Besson, effectivement... C'est jusqu'à présent celui par lequel j'ai peut-être été le moins emballé...
SupprimerUn tango en bord de mer... Si ça se trouve tu as déjà croisé un bison... j'y étais aussi... L'une des pièces de théâtre qui m'a le plus marquée...
Salut, le Bison
SupprimerJe poursuis ma découverte des romans de P. Besson: je viens de terminer la lecture de son ouvrage relatant les derniers mois de la vie de Rimbaud, "Les jours fragiles ".
Si l' écriture est agréable et si l'auteur fait montre d'une certaine empathie, je me dis que, cette fois encore, je me trouve face à un personnage peu sympathique. Rimbaud, malade, épuisé, moribond est loin de l'adolescent flamboyant qui séduisait le monde...
J'espère avoir la main plus heureuse lors d'une prochaine lecture et partager un moment avec un personnage avec lequel je me sens plus d'affinités. Dure, dure quand même cette lente agonie: sa soeur, Isabelle, a vraiment fait tout son possible pour aider et soutenir Arthur. Quelle tristesse se dégage de cette famille !
En tout cas, l'absence de tout vers dans le roman incite à relire les poèmes de Rimbaud.
Une suggestion de 3e lecture, le Bison, toi qui connais si bien P. Besson ?
Je suis loin d'avoir tout lu, d'ailleurs je n'ai pas encore lu Les Jours Fragiles...
SupprimerEn fait, pour le moment, je stocke les Besson dans ma bibliothèque mais n'en est lu que 5...
C'est dire qu'au final, je le connais bien peu...
Mon plus beau ressenti reste "Une bonne raison de se tuer". Un titre parlant...
Sinon, si tu as envie de iode et de sel, un petit tour sur l'île de Ré avec "Son Frère"...
C'est un livre très différent des autres de Besson, c'est sûr.
RépondreSupprimerCe que j'ai aimé, hormis le fait d'entendre différentes voix, avec différents tons, parler du "binoclard", c'est que Besson n'a pas cherché à embellir la légende je trouve, au contraire...
Effectivement, Philippe Besson a écrit une vie simple loin de l'icône qu'on n'a l'habitude de voir sur papier glacé...
SupprimerSobre biographie... suis restée sur ma faim itou.
RépondreSupprimerMais ça donne envie de revoir (le beau) James dans un film... ;)
N ayant vu aucun film dans lequel J. Dean joue, j ai voulu combler cette lacune: mon choix s est porté sur "Géant ". Ce garçon ne nous offre que des visages extrêmes: soit il est beau, soit franchement laid...
SupprimerA la fin du film, je me suis dit qu il portait vraiment mal la moustache: elle me faisait penser à celle de l inspecteur Crouton.
PS: L inspecteur Crouton est un personnage des enquêtes de Gil Jourdan, une BD créée par M. Tillieux dans le journal Spirou
SupprimerJe crois que Géant, je ne l'ai pas vu... Moi, je focalise sur la fureur de vivre. Là, il me correspond...
SupprimerDifficile d'en parler puisque je ne l'ai pas lu.
RépondreSupprimerMais "Une bonne raison de se tuer" m'avait emmenée tellement loin dans les émotions... Et plusieurs autres encore. "Dîner à Montréal m'attend" :-)
Et qui sait si je ne croiserai pas un jour la route poussiéreuse de James. Parce que c'est James après tout. Mais surtout parce que c'est Besson...
Tu dînes à Montreal, toi ? t'en as de la chance ;-), je ne connais pas cette ville, à part qu'il y a Leonard Cohen qui veille dessus, et peut-être que j'ai entendu dire qu'il y avait des nanas qui pelletaient la neige en mini...
SupprimerUne bonne raison de se tuer... le genre de bouquin qui me parle tant...