Il
fait froid, il fait sale. Des poussières du Nord. Bienvenue chez les ch’tis où
les hommes battent leurs femmes avant ou après d’aller boire une bière entre
potes, où les filles se font prendre dès l’âge de floraison, où il n’y a même
plus assez de patates pour faire des frites, seuls quelques quignons de pains
rassis trônent encore sur la table ou dans la soupe. Une lecture du grand Nord,
celui des Hauts-de-France maintenant, celui des bas-fonds d’antan, le temps de
Zola. Cette poussière noire se retrouve sur tout le paysage, et même là où on
ne l’attend pas, dans les bronches et les poumons. Les gars qui descendent à la
mine, en ressortent le teint noir. Leurs crachats sont mêmes devenus noirs.
Même la misère leurs fait broyer du noir. Ne pense pas à ton petit noir du
matin, même dilué avec un ersatz de chicorée, le goût reste infect et
l’amertume prenante. L’eau noir probablement. L’amertume de la vie les emporte au
tréfonds de la terre, à creuser des galeries souterraines pour un extraire une
substance qui n’a rien à voir avec l’or noir, et pourtant. Back in Black.
« Le puits dévorateur avait avalé sa ration
quotidienne d’hommes, près de sept cents ouvriers, qui besognaient à cette
heure dans cette fourmilière géante, trouant la terre de toutes parts, la
criblant ainsi qu’un vieux bois piqué de vers. Et, au milieu du silence lourd,
de l’écrasement des couches profondes, on aurait pu, l’oreille collée à la
roche, entendre le branle de ces insectes humains en marche, depuis le vol du
câble qui montait et descendait la cage d’extraction, jusqu’à la mesure des
outils entamant la houille, au fond des chantiers d’abattage. »
Il
y a Maheu, puis la Maheu, et pis le Etienne le ch’ti nouveau qui débarque dans
l’espoir de trouver un boulot, même dans le noir, même mal payé, parce que
c’est la misère d’être là. Lui aussi veut descendre six pieds sous terre, pour
extraire l’essence de la vie, quelques francs en fin de semaine pour boire
comme les autres hommes des bières sans être obligé de se faire inviter. C’est
l’essence même des gars du Nord que de se retrouver dans une taverne
poussiéreuse où la bière claire avale quelques poussières au fond de la gorge.
Mais pour ça, il faut que les brasseurs et autres taverniers n’insufflent pas
une grève les fûts en cale sèche. A propos de grève, le cariole communale n’a
pas ramené son flot de gens entassés. Le peuple est obligé d’aller au taf à
pied, les sabots crottés dans la gadoue. Bah, de toute façon, la mine affiche
porte close, comme les grilles du métro des années plus tard, même les maisons
sont closes. Grève générale comme on annonce tournée générale…
« La salle, petite, avait une nudité claire,
avec ses murs blancs, ses trois tables et sa douzaine de chaises, son comptoir
de sapin, grand comme un buffet de cuisine. Une dizaine de chopes au plus
étaient là, trois bouteilles de liqueur, une carafe, une petite caisse de zinc
à robinet d’étain, pour la bière ; et rien d’autre, pas une image, pas une
tablette, pas un jeu. Dans la cheminée de fonte, vernie et luisante, brûlait
doucement une pâtée de houille. Sur les dalles, une fine couche de sable blanc
buvait l’humidité continuelle de ce pays trempé d’eau.
« Une chope,
commanda Maheu à une grosse fille blonde, la fille d’une voisine qui parfois
gardait la salle. »
Tu
n’entends pas ? ces cris de révolte et de colère qui sortent du sol et du
sous-sol même, c’est-à-dire du peuple et du bas peuple. Ces pauvres gens qui
n’ont rien et ne rêvent que d’une tranche de lard sur une tranche de pain pour
accompagner un demi-bol de soupe brûlante, encore faudrait-il qu’il y ait du
charbon pour entretenir le foyer de cette flamme incandescente d’une vie
indécente de misère et de pauvreté. Oui le peuple grogne comme un bulldog qui
n’aurait plus d’os à ronger ou comme un poivrot à qui la serveuse ne voudrait
plus le servir. C’est un relent d’actualité qui s’évapore de ces pages d’un
siècle passé mais à la poussière toujours aussi présente. C’est la naissance du
syndicalisme, la tentative d’une organisation pour contrer le capitalisme
naissant des riches et des bourgeois. C’est mon premier livre de Zola, il était
temps me diras-tu, c’est qu’enfoui sous la poussière miséreuse de ma vie,
j’avais échappé à ça ; et en ça, parle-je des descriptions contemplatives
de la région, ce noir ce soir, ce noir qui blanchit même la neige et la vie, ou
de cet étrange sentiment que, quel que soit le siècle, le paysage social
n’évolue guère. Le pays espérait une révolution, il a eu du sang et des larmes.
Et en même temps, la neige s’est remise à couvrir les terrils froids laissés un
temps à l’abandon…
« Les bruits vagues se mouraient, des larmes
étouffées, des jurons perdus ; et, dans le silence qui s'alourdissait peu à peu,
on entendait venir le sommeil de la faim, l'écrasement des corps jetés en
travers des lits, sous les cauchemars des ventres vides. »
« Germinal », Emile Zola.
Mais
il est temps de s’asseoir sur un banc, cinq minutes avec toi, à regarder les
gens tant qu’il y en a. Certains rentrent dans ce bar, d’autres en sortent. Comme
une envie de Chouffe ou de Ch’ti, ça dépend de la peinture locale que je veux y
mettre, de fermer mon roman et de respirer en silence cette bière pour étouffer
les poussières de ma vie.
« Lentement, d’un seul trait, le mineur vida
la moitié de la chope, pour balayer les poussières qui lui obstruaient la
gorge. »
Salut, le Bison
RépondreSupprimerC est un roman terriblement noir que tu nous presentes ici. Hommes et bêtes, beaucoup descendent dans la mine pour y travailler, vivre et mourir. J ai un jour vu des photos présentant la descente d un cheval, tête en bas, comme un paquet trop gros qu il fallait faire passer à tout prix...
Et la note d espoir que nous offre Zola est bien mince...seulement le nom d un mois.
Hé bien, le Bison, tu as changé de nappe un peu trop tôt: noir et blanc étaient parfaitement adaptés au roman...
Un peu de "fête" et j'ai voulu changer de nappe. Quelle erreur... je merde dans tout ce que je fais...
SupprimerJe crois qu'avec Zola, il n'y a pas beaucoup d'espoir... remarque, ça me va bien...
Je viens de revoir les photos. La tête n est pas en bas.
RépondreSupprimerEt il y a une scène saisissante d'un cheval dans la mine... Effrayante, effroyable...
SupprimerTon premier Zola ???!!! Ben ça s'arrose !! Ah ben c'est fait je vois !
RépondreSupprimerJe ne crois pas l'avoir lu celui-là mais j'ai lu et aimé Le Ventre de Paris, Au Bonheur des dames et L’Oeuvre. C'était il y a fort fort longtemps...
Et si un second Zola se présente, je crois que je l'arroserais aussi...
SupprimerAh mon Dieu... le cri du coeur de la mécréante !!!
RépondreSupprimerLa chance de découvrir ce chef doeuvre.
Toute ma jeunesse à plus d'un titre puisque je suis originaire de ces Hauts, petite fille de mineur, syndicaliste, communiste, militant, déporté, patriote...
J'espère qu'il t'a donné envie de connaitre le reste des Rougon Macquart.
Le coup de génie d'Émile est qu'on peut prendre chaque ouvrage de cette somme sans chronologie.
Mais je pense qu'enchaîner avec l'Assommoir s'impose. Tu feras connaissance de Gervaise, la jolie maman d'Etienne et de sa petite soeur Nana. Et puis la fée verte...
La faute de l'Abbé Mouret aussi est un de mes préférés, et puis Un rêve... enfin, tous en fait...
Bonne lecture.
En fait, tu connais tous les Rougon Macquart...
SupprimerEt je note cet autre point commun (en plus d'avoir une certain intérêt pour Casey Affleck), je suis également un petit fils de mineur, mais du bassin de Lorraine... ;-)
Oui je les connais et tu me donnes fichument envie de m'y replonger.
SupprimerJ'aimerais mieux ne pas partager Casey:-)
Et comme tu sais j'ai rejoint le bassin minier que tu connais.
Ok, j'ai compris le message... je te laisse Casey... Dommage j'aurais bien pris un whiskey avec lui, lui déposant son stetson sur le comptoir, moi regardant la serveuse qui n'aura de regard que pour Casey...
SupprimerTrès belle chronique... et conclusion émouvante :'
RépondreSupprimerJ'espère que ça te donnera envie d'en lire d'autres des Rougon-Macquart (22 volumes - j'en ai lu une dizaine).
Je pense que la noirceur de "La bête humaine" peut te plaire, même si je ne sais plus si il y a de la poussière... ;)
(peux te le prêter)
Ah oui... quand même 22 volumes... Je ne sais pas si je vivrais assez longtemps pour lire tout ça... je m'y suis pris trop tard... et je ne sais pas si j'ai assez de bière pour la totalité des Rougon-Macquart...
SupprimerPS : il faut que tu vois le film, maintenant...
RépondreSupprimerJe crois qu'effectivement, je ne l'ai jamais vu... Ne m'intéressait pas à l'époque...
SupprimerAh oui le film, le film, le film !!!
RépondreSupprimerIl va te mettre sur le cul. Une tres belle reussite. Et Renaud en Etienne : parfait.
Et puis l'Assommoir. Tu en parlerais bien.
Et puis le film aussi...
Je ne suis pas sûr de parler de bien de quelque chose...
SupprimerTiens, si ça donne pas envie...
RépondreSupprimerhttps://youtu.be/-oh_ei3auic
Dommage, maintenant que j'ai envie, c'est plus le genre de film à être diffusé à la télé... Je ne vais quand même pas souhaiter la mort de l'un ou de l'autre pour un hommage sur petit écran... (Encore que pour le cas de Gérard, ce serait probablement d'autres films qui seraient diffusés)
SupprimerQu'est-ce que ça fait une crisse d'éternité que j'ai lu ce livre, au collège. Puis sur les bancs de McGill, sans doute :D
RépondreSupprimerÀ relire...
J'ai adoré le film!
Il devait y avoir du beau monde sur les bancs enneigés de McGill...
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