« Paix du vieil étang.
Une grenouille y plonge.
Un ploc dans l’eau. »

« J’évite toujours ce coin du parc plutôt fréquenté par des types qui reviennent de la cueillette des pommes dans les plaines d’Alberta. Ils arborent tous la même barbichette rousse, le même regard clair et irresponsable, et les mêmes ongles sales qu’ils regardent avec un mélange d’étonnement et de fierté. Ce sont pour la plupart des gosses des banlieues cossues de Montréal (Saint-Lambert, Repentigny, Beloeil ou Brossard) qui veulent jouer aux travailleurs migrants avec, dans leur poche, un exemplaire fripé du gros bouquin de Steinbeck. L’année dernière, ils lisaient L’Attrape-Cœur de Salinger tout en rêvant d’une virée de trois jours au centre-ville, et en ayant pris soin de dire à leur mère qu’ils coucheront chez leur cousin. Ils passeront plus tard à Kerouac qu’ils emporteront dans un train de nuit du Canadian Pacific qui va jusqu’à Vancouver, avant de se mettre à Bukowski et à la bière en fût. Le début de la dégringolade. Ce n’est pas la première génération d’éberlués qui traîne dans ce parc – celle d’avant se shootait à Burroughs et à l’héroïne. J’ai même connu l’époque où les garçons lisaient Le Loup des steppes et les filles gardaient toujours dans leur sac un exemplaire du Prophète de Gibran. C’est un parc littéraire où les jeunes gens apprennent à vivre dans les bouquins. »