dimanche 22 janvier 2023

L'Accordeur Désaccordée


Je me promène dans une forêt de laine et d’acier, une forêt aux effluves d’herbes et d’arbres, une forêt mi-noire, mi-verte, avec ses zones d’ombres et de soleil, une forêt où se distille une musique, celle de l’âme, celle du cœur, des notes qui errent entre les fougères, des interludes de Chopin. A peine surpris de cette ambiance, je me demande d’où vient le murmure de ce piano.

« Dans son survêtement gris, ses cheveux ébouriffés comme au réveil, sa grande carcasse recroquevillée, il se lança dans un morceau que son tempo nonchalant m'empêcha de reconnaître tout de suite : la Valse du petit chien, de Chopin. 
Du morceau, d'abord indistinct, se détacha peu à peu la silhouette du petit animal. Alors que j'avais commencé à ranger mes outils, je posai sur le client un regard étonné. Un chien géant. Le charmant bichon maltais imaginé par Chopin avait sous mes yeux pris la forme d'un grand canidé maladroit, de type akita, labrador ou retriever. Le tempo était lent, il y avait quelques fausses notes, mais le jeune homme jouait avec le plaisir communicatif d'un petit garçon, non, d'un chiot. Penchant parfois la tête, il semblait murmurer en direction du clavier. 
Ainsi jouait le petit chien. Ainsi sonnait le piano. 
Le regard rivé sur le dos du jeune pianiste, je ne pus retenir mes applaudissements sincères lorsque son court morceau arriva à sa fin. »
Un jour, loin bien loin, un signe. Celui d’un vieux piano qui semble prendre la poussière dans un gymnase du lycée. Et puis un vieil accordeur. Et le silence devint musique. Méticuleux, le cœur sur l’objet en bois, des petits coups de marteau, tendre et détendre, le piano devint accordé. Je veux devenir accordeur dit le jeune homme, plein de timidité et de doute. Là, commença un long apprentissage, qu’une vie entière ne serait achevée. Il faut du temps pour connaitre le piano, l’ambiance, comprendre le lieu, l’objet et le pianiste. En saisir toute l’alchimie afin de faire ressortir les plus beaux accords, ceux qui sortent du cœur et de l’âme.

« Je préférais encore sortir me promener dans la forêt sur laquelle donnait l'arrière de la bâtisse, humant les effluves de verdure, l'oreille bercée par le murmure du feuillage. Alors, mon cœur s’apaisait. Je ne savais pas où était ma place ; mais l'inconfort qui en découlait s'évanouissait au contact de la terre et de l'herbe, à l'écoute du chant des oiseaux perchés dans les branches et des cris des bêtes au loin. Seules mes promenades en solitaire me donnaient un sentiment d’appartenance au monde. »

Dans une forêt de laine et d’acier, à l’ombre des arbres sur un tapis de mousse et de fougère, je lis un roman qui parle de silence, de musique et d’âme. Je lis un roman japonais qui parle d’apprentissage, d’amour et de silence. Une harmonie touchante à lire sous un ciel étoilé, juste illuminé par le bleu de la lune. Et si on fermait les yeux, sentait un verre de Bonnezeaux, en se laissant bercer par une nocturne de Chopin…

« Une Forêt de Laine et d'Acier », Natsu Miyashita.
Traduction :  Mathilde Tamae-Bouhon.



3 commentaires:

  1. Tu l'avais mis dans ton pense-bête le 8 octobre 2020. Et tu l'aimes, tout comme moi. Ecoutons Chopin ensemble. 🎹

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    1. J'ai mis quelques minutes à me demander comment tu avais pu retrouver une telle date qui m'avait pour le coup échappée. Et puis tout d'un coup, bon sang mais c'est bien sur... (et c'est pas beau de vieillir, je perds tout, les noms et les dates...

      L'art du marteau, un très beau roman que j'ai beaucoup aimé également
      http://eeguab.canalblog.com/archives/2020/10/07/38568772.html

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  2. Joli souvenir de lecture... Qui me rappelle que je me suis séparée de mon piano familial centenaire, pour laisser de la place à deux grandes bibliothèques (pas encore acquises ^^)

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