"Elle ouvrit la vitrine du bar et en sortit une bouteille de Bombay Sapphire. Elle en remplit un demi-verre avec des glaçons et ajouta deux zestes de citron. Les Tonic étaient dans le frigo. Trop sucrés à son goût, mais c'était la seule marque qu'on trouvait à Bogotá. Juste un doigt pour ne pas masquer la saveur du gin. Elle rangea la bouteille à coté d'une de Gordon's, qu'elle aimait dans le martini, et une de Beefeater, plus fort. Dans le fond, il y avait celle de Hendrick's pour boire pur et une encore intacte de Gilbey's, que Silanpa lui avait offerte en lui disant que c'était le gin préféré d'un écrivain nord-américain. Cheever ou Hemingway ? "
Trois jours de pluie, non-stop.
Le ciel est chargé, noir sombre. La lumière reste obscure, de jour comme de nuit. Grise et triste. L'eau coule, coule, coule, du ciel, des toits, sur les réverbères, sur un terrain abandonné. La terre devient boue, marron sale, des corbeaux, peut-être même des vautours volent au-dessus de cette coulée, en cercle parfait. Des bouts d'os sont déterrés, blanchis par la pluie, par le temps. Deux jambes, puis deux bras. Parfaitement découpés. Pas de tronc, pas de tête. Un cordon de sécurité est mis en place, à la recherche du reste.
L'eau tombe, tombe, tombe. Comme si elle avait besoin de laver tous les péchés de Bogotá. Une ville violente, des crimes atroces et cette envie de s'enfermer dans son appartement, se servir un verre de Gin, un zeste de citron, trois glaçons. Gordon's, Bombay Sapphire ou Hendrick's. Au second verre, je réfléchis à la situation : on a retrouvé le propriétaire des membres chirurgicalement découpés, il est toujours vivant et il est en taule depuis quelques années... L'air interrogatif, à défaut d'être songeur, je prends un troisième verre pour encaisser le coup, pendant que la pluie cogne toujours à la fenêtre, comme le sang frappe à la tempe.
"L'eau tombe, tombe, tombe...
La pluie est démocratique, elle mouille tout le monde pensa-t-elle, qui a écrit ça ? Elle se rendit compte qu'elle était encore ivre ("neuf dixièmes de vodka pour un dixième de baise", lui avait dit quelqu'un). Elle ferma les yeux et se laissa gagner par le sommeil et l'envie de renaître dans ce liquide amniotique...
"Adieu Mnémosyne, adieu."
Quel plaisir que le bruit de la pluie quand on est à l'abri dans une autre eau, chaude et maternelle.
Mais dehors ?
La pluie trempe les cheveux sales des ouvriers, les calvities couvertes de bonnets de laine. Elle tombe sur les jeunes filles qui se penchent au balcon et comptent, angoissées, les jours de retard. Elle tombe, glacée, chargée de l'air des montagnes, sur les passants de la strate 2 qui vont travailler dans les quartiers de strate 6 : averses sociales, intempéries, survie. Il pleut contre les ténèbres de la chambre des amants, cachés dans un motel du Nord, loin des épouses et des maris. La pluie tombe sur l'assassin qui marche nerveux et sent le poids du pistolet, et sur la victime, encore vivante, qui ne sait pas que ce sera sa dernière averse.
Et elle, la chroniqueuse de drames humains, sera là, fouinant, prenant des notes."
La pluie est démocratique, elle mouille tout le monde pensa-t-elle, qui a écrit ça ? Elle se rendit compte qu'elle était encore ivre ("neuf dixièmes de vodka pour un dixième de baise", lui avait dit quelqu'un). Elle ferma les yeux et se laissa gagner par le sommeil et l'envie de renaître dans ce liquide amniotique...
"Adieu Mnémosyne, adieu."
Quel plaisir que le bruit de la pluie quand on est à l'abri dans une autre eau, chaude et maternelle.
Mais dehors ?
La pluie trempe les cheveux sales des ouvriers, les calvities couvertes de bonnets de laine. Elle tombe sur les jeunes filles qui se penchent au balcon et comptent, angoissées, les jours de retard. Elle tombe, glacée, chargée de l'air des montagnes, sur les passants de la strate 2 qui vont travailler dans les quartiers de strate 6 : averses sociales, intempéries, survie. Il pleut contre les ténèbres de la chambre des amants, cachés dans un motel du Nord, loin des épouses et des maris. La pluie tombe sur l'assassin qui marche nerveux et sent le poids du pistolet, et sur la victime, encore vivante, qui ne sait pas que ce sera sa dernière averse.
Et elle, la chroniqueuse de drames humains, sera là, fouinant, prenant des notes."
Au delà du roman noir et poisseux de l'âme humaine, l'auteur Santiago Gamboa m'invite quelques heures de lectures à Bogotá sous la pluie. Et quelle invitation ! Boire du gin et du rhum, regarder les couvertures en cuir de sa bibliothèque, discourir ainsi du bien et du mal, surtout du mal dans ce pays, au milieu de tueurs et de militaires où l'un est l'autre ne font d'ailleurs qu'un, autour de quelques références littéraires, de Gamboa à Cheever. Et sous cette pluie battante et s'abattant sur la ville, il m'ouvre les portes de sa Colombie, entre Bogotá et Paris. Je dois ainsi faire confiance à un procureur (et si je devais en faire un film, j'engage aussitôt Ricardo Darin dans ce rôle-là) aidé de deux belles journalistes pour élucider le mystère de ces membres retrouvés dans la boue qu'une pluie à mis à nus. Mais quand va donc cesser l'impunité toute puissante de ces milices paramilitaires, et de ces exécutions gratuites, semble me chuchoter au coin d'une oreille - pas trop fort, je dois être sur écoute -, la pluie de Bogotá.
"Colombian Psycho", Santiago Gamboa.
Traduction : François Gaudry.
Sur une masse critique,
Merci donc à Babelio et les éditions Métailié,
pour ce gin en compagnie de Santiago en personne...
"Il se dit qu'il allait terminer son rhum et monter dans la chambre pour lire le roman de Gamboa."
Que d'eau que d'eau !
RépondreSupprimerMais qui a dit ça ?
Pas un bolivien en tout cas.
Pas moi non plus en tout cas. Sauf si elle est accompagnée d'un pastaga.
SupprimerC'est Mac Mahon.
SupprimerQuestion super banco récente. Même pas eu besoin de chercher.