En trois jours et autant d’années, l’auteure m’emmène à la campagne, la France profonde celle du St-Nectaire. 1967, une exploitation fermière, ça sent la vache, ça sent le fromage. Et dans cette fragrance paysanne, lorsque les volets se referment à la nuit tombée, des coups et des silences. Lourds à porter, les maux deviennent de plus en plus suffocants pour cette épouse. Ce sont ces mots que je devine à travers ses pensées et ses silences, c’est son histoire, celle d’une femme-épouse, trois enfants en trois ans, dans une ferme d’un petit village du Cantal qui décida un jour de 1967 de ne pas revenir au foyer. Un dimanche ordinaire à la ferme.
« Le dimanche matin, quand ils partent, il gueule mais il ne cogne pas, il se retient, elle ne sait pas pourquoi et ne cherche plus à comprendre. Elle n'a jamais rien compris, elle s'en rend compte maintenant, quand il est trop tard. Elle pose le chemisier, la jupe, une combinaison, sur la chaise, à côté de la cheminée, sans les ranger puisqu'elle les portera demain pour descendre. Elle ne rentre plus dans sa robe bleue, celle de l'été dernier, avec une ceinture ; même avec la gaine neuve sous la combinaison ; pas la peine d'essayer. Sa mère dira, tu as encore pris ma pauvre petite. »
Elle se sent seule dans cette ferme, elle ne comprend plus, elle ne se comprend plus. Elle ne reviendra plus, quoi qu'en disent sa mère, les voisins, le village. Trop de violence entre les lignes. Et le courage d'affronter enfin ces regards.
Petit saut dans le temps avec l’année 1974, Giscard d’Estaing joue de l’accordéon, et je retrouve les silences de l’homme, une autre vision de ce qui s’est passé au sein de ce couple, dans l’antre de la ferme. Il ne comprend pas lui non plus. Il sait juste que ce n'est pas de sa faute. A cette époque, c'est toujours la faute des femmes. Alors il ressasse cette fin, avec aigreur. A chacun son rôle, à chacun sa place. Alors il compense par le travail à la ferme. S’agrandir à tout prix, pour survivre, pour réussir. Toujours plus de St-Nectaire.
« Elle tourne et retourne les mots qui font autant de dégâts que les coups, peut-être même davantage parce qu’ils ne la lâchent pas et lui tombent dessus au moment où elle s’y attend le moins. »
Gros saut dans le temps, c’était hier, en 2021, que le temps passe vite, la cour est vide, la maison fermée. Les enfants retournent aux sources, la ferme est à vendre mais les souvenirs reviennent. On n’oublie jamais les sources. Celles de ses racines, celles de sa vie.
Un parfum de St-Nectaire autour de ces trois dates clés dans le Cantal. C’est court, mais c’est bon, mais c’est brut. Ça prend à la gorge, comme un malaise, les silences de la ferme. Une vision de la femme, de l'épouse, du couple, de l’époque, de la France profonde sur une musique à l'accordéon. Les sources, un paysage sec, sans sourire.
« C'est un dimanche ordinaire dans la vie ordinaire et pas foutue des gens normaux qui n'ont pas peur tout le temps. Ces mots lui montent à la gorge, exactement dans cet ordre. »
« Les Sources », Marie-Hélène Lafon.
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