"En haut, sous le rebord du toit, on pouvait lire une
inscription de style Art nouveau en lettres peintes écaillées : Nuovariva.
Le nom d’un port, et en effet autrefois c’en était un. On pouvait voir des
radeaux chargés de marchandises poussés par des hommes au moyen de perches
qu’ils enfonçaient dans la vase. Le comble c’est qu’aucun d’entre eux n’avait
jamais vu la mer. Il existe des horizons plus vastes, mais en cet endroit de la
basse plaine, c’est difficile à imaginer. Nous sommes l’eau, la terre et le
ciel."
La brume, épaisse comme le voile d'une femme en deuil, s'étend sur les marais nauséabonds proches de Nuovariva, une terre boueuse d’Emilie-Romagne. Des vapeurs de cadavres, cette odeur puante se mélange au méthane de la terre. De ces marais, si on les asséchait, on retrouverait probablement de nombreux corps en putréfaction, des corps de femmes, plusieurs dizaines de femmes laissées là, à l'appétit des vers, aux regards des corneilles. Il y fait frais, en ces jours de la Merlette, les jours les plus froids de janvier dans cette zone médiane de l'Italie, si bien que même un flux de vapeur s’échapperait de la bouche des morts.
Et c’est dans le café du coin, au milieu des petits vieux qui font encore vivre le village, à coup de prosecco et de spritz, que je croise le regard de la Merlette, une peau si blanche à prendre des bains de lune. Chroniqueuse judiciaire, mais surtout revenue d’entre les morts et du marais, elle enquête sur ces oubliées, ces femmes laissées pour mortes dans le marais. Et ce qui est sûr c’est que le « travail » ne manque pas, vu la qualité de ces messieurs, les premiers coupables, à violenter jusqu’à la mort ces femmes. Son secret, les mortes lui parlent, la vengeance peut ainsi s’exercer, dans une même violence, sombre et sauvage.
Ainsi, au milieu de ces petits vieux accoudés du matin au soir sur leur table en formica, à jouer aux cartes, prendre un ou deux verres entre un ou deux cafés serrés, je prends le temps de réfléchir au pouvoir de ces hommes, cette auto-permission de vie et de mort qu’ils se sont octroyés sur le corps de leurs femmes, de leurs nièces, de leurs filles. Le monde est abject mais je le savais déjà, suffit de sentir les relents de ces marécages. Alors devant un verre au parfum floral et houblonné pour faire passer celui du marais, je ferme le dernier chapitre de cet étrange premier roman, entre policier et fantastique, assez déroutant sur ses premiers instants, mais dont une fois l’esprit embourbé, je plus m’y plaire dans un souffle glauque inspiré par cet enchaînement de corps et de cris.
"J'aimais naviguer à la surface du marais, protégée par la pleine lune, les eaux profondes et une couverture de brouillard."
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire