Alors que le silence coule sur les arbres, la forêt se fait noire, sombre charbon végétal dans la nuit. Dans une forêt inquiétante et mystérieuse dont il est strictement interdit de pénétrer, je me perds frissonnant de froid ou d’effroi, quelle différence cela peut faire au milieu de cette nuit. Le garde forestier m’a mis en garde, on ne sort pas indemne de ce labyrinthe feuillu, mieux vaut ne pas s'y égarer. J’entends subitement un cri, la lune même s’en est effrayée. Était-ce le hululement d’un hibou. Je détale, fait demi-tour, descend à toute berzingue la pente vers les faibles lumières du bourg enveloppées d'une légère brume.
« Sur la route forestière, le grand ciel bleu s'inclinait peu à peu devant la nuit. La colline glissait en silence dans l'obscurité, bleuissait lentement, s'assombrissait. In-su, qui descendait en direction du pavillon où il résidait, s'arrêta et se laissa absorber dans la contemplation de l'ombre imposante qui grandissait, envahissait le bourg peu à peu. En un instant, elle gagna la route, qu'elle avala, avec In-su. »
Le silence y règne également, au bourg. D’ailleurs, du bourg n’existe en fait qu’une voie commerciale, une longue route qui termine son chemin dans la profondeur de la forêt, là où personne ne s’aventure (alors pourquoi une route ?), rien autour, rien avant, que des kilomètres de nuit et de silence. Les rideaux métalliques sont baissés à cette heure-ci, la blanchisserie et la librairie. Etrange ces deux commerces qui survivent encore dans ce trou perdu. Heureusement, les néons du bar sont allumés, guidant ma voie jusqu’au réconfort de l'ennui. Je pénètre l’antre de la débauche. Si la journée la forêt impose sa grandeur, la nuit, elle, elle appartient à l’alcool où les quelques autochtones s’ivrognent en silence dans l’absence de regards.
Je m’installe donc dans la pénombre de cette forêt de souches humaines, ivres et puant la sueur du bucheron, de la sciure de bois en guise de parquet. Gravée sur la table, je vois ce mot inscrit au couteau : « UN HIBOU VIT DANS LA FORÊT ». Il me faut une pinte de bière. J’ai entendu dire que le précédent garde forestier a disparu il y a plusieurs mois, en laissant un message téléphonique inaudible de pleurs à sa mère. J’ai entendu dire que son frère est également venu hier pour comprendre, le retrouver ou connaître la vérité.
« Lorsqu'il vit un liquide rouge sombre couler de sa tête et comprend que c'est du sang, le cri mêlé au bruit du véhicule lui revient à l'esprit, et il sait ce que c'était.
C'était le hululement d'un hibou.»
Et puis, s’enchaînent les évènements, irrémédiables, incontrôlables : une seconde bière, une troisième, une sixième. Jusqu’à perdre la mémoire le lendemain, jusqu’à ne plus comprendre cette histoire, jusqu’à ne plus savoir qui j’ai croisé hier, somnolant au pied du comptoir ou couché dans la rue déjà recouverte d’une fine couche de neige. Je suis totalement perdu, comme ces deux frères et je n’ai même pas encore pénétré la forêt, l'enclos interdit, terre du hibou, de la nuit et du bruit des tronçonneuses. Oui, je n’ai rien compris, mal au crane, je ferme la dernière page.
« La Nuit du Hibou », Hye-young Pyun.
Traduction : Lee Tae-Yeon et Pascale Roux.
Moi non plus j'ai rien compris.
RépondreSupprimerElle se trouve où cette forêt que je n'y aiille pas ?
Il a une gigantesque guitare le gremlin.
Une grosse déception. Pourtant de l'auteure, j'avais beaucoup aimé "Cendres et Rouge", un roman qui m'avais intéressé, passionné, interrogé. Là rien...
Supprimerhttps://memoiresdebison.blogspot.com/2020/04/quarantaine.html
Il y a trois règles à respecter avant d'écouter ces Gremlins écossais :
1. ne jamais les exposer à la lumière, autrement dit, fermer les yeux pour écouter.
2. les tenir hors de portée de l'eau, autrement dit, boire une bière.
3. ne pas, jamais, les écouter avant minuit.