A Resistencia coule un long fleuve tranquille. Un père et un fils s'y retrouve pour un week-end, la mère s'est éclipsée de la demeure familiale pour un congrès. C'est l'occasion parfaite donc pour le père d'essayer de retisser des liens avec ce bêta d'ado, gras et timide qui passe sa vie sur le canapé à regarder les Simpson ou je ne sais quelle autre télénovela. Peut-être même, l'idée lui passe par la tête, de lui parfaire son éducation sexuelle. Allez petit, invite ta copine pour la soirée, même si c'est pas encore ta copine, avec les jeunes de maintenant, on ne sait plus qui et qui et qui fait quoi... La belle Mariel, au nom du père et du fils.
Et la soirée commence plutôt bien, le sourire de Mariel, ses longues jambes, sa poitrine qui se dresse fièrement sous son chemisier. Elle furète dans la collection de 33 tours vintage, s'entiche de Caetano Velaso, ce chanteur brésilien à la voix de velours qui faisait chalouper les culs de ces femmes du río Negro. Quelle femme, quelle jeune fille même, pourrait y résister. Surtout à cette heure de la soirée, quelques bières, à part le gamin fermé sur lui-même qui ne veut qu'un coca, pauvre jeunesse, s'en suivent un, plutôt trois, verres de whisky. Heureusement, Mariel, plus libérée que son rejeton, le suit dans la chaleur de cette nuit. Il sort son joint, de la bonne herbe à partager, réserve spéciale sortie du frigo, quelle sourire elle a Mariel, un sourire à faire bander n'importe quel homme, n'importe quelle âme du bord du río Negro. Un ou deux tranquilisants, pourquoi pas, et puis là, survient l'impensable. L'inimaginable même. L'effroi. Ou la petite boulette de la soirée...
« Comme tous les grands affluents, le río Negro a eu sa part de monstres aquatiques. Beaucoup de gens savent que l'ancien cimetière de Resistencia, le tout premier, se situait au bord de la rivière, au nord de la ville, là où se trouve actuellement le parc du 2 Février. Mais ce qui est vraiment curieux, c'est que ce cimetière ait été, il y a très longtemps, un cimetière indien, une nécropole où les indigènes du Chaco - surtout les Tobas - abandonnaient leurs morts. On raconte que l'intrusion de l'homme blanc sur cette terre sacrée a fini par susciter la colère des dieux : les Blancs ne se contentaient plus de s'emparer du monde des vivants, leur expansion prenait désormais un tour métaphysique. La réaction des dieux fut aussi inédite que primaire : les restes des caciques qui reposaient sur cette terre furent animés de la vitalité que la haine et la colère seules peuvent engendrer, et cela prit la forme du monstre aquatique qui a un visage d'Indien, celui qui, dit-on, a terrorisé la population de Resistencia pendant des décennies. »
Tout le monde peut faire une petite erreur dans une soirée. Je ne vais pas lui jeter la première pierre, soyons franc, ça peut arriver à n'importe quel homme. Le principal reste donc d'assumer son acte, cette légère méprise. En tant qu'écrivain, il a d'ailleurs beaucoup étudié les ancêtres du río Negro et sait à quel point l'importance du fleuve s'est répercutée sur les habitants de Resistencia. Presque nostalgique du temps passé qui faisait la grandeur de ce fleuve, d'une époque où il charriait plus de cadavres que de boue. Oui, ça peut arriver ce moment de faiblesse qui fait basculer certaines vies, voir certains regards, vers un autre monde, plus noir, plus cynique mais tout en gardant son côté burlesque qui sied parfaitement au río Negro. Bref, j'ai adoré me retrouver dans cette soirée où l'on est certainement pas l'abri d'une défaillance humaine, c'est malsain et c'est pour cette raison que c'est encore meilleur, quelques verres et ce désir porté sur les jambes de Mariel, quelques verres qui me plongent au bord du río Negro comme un instant drôle et macabre d'un écrivain pathétique et inventif.
« Rio Negro », Mariano Quiros.
Traduction : Zooey Boubacar.
Un cimetière indien. Des dieux en colère.
RépondreSupprimerUn être mutant qui n’a que nom de monstre.
De l’herbe du diable, des bières et le sourire à damner d’une Mariel.
Tant de livres à relire, avant de les faire voyager dans une ancienne cabine téléphonique, pour pouvoir se plonger dans le Rio Negro ; ça ne sera que partie de pêche remise.
Bonus : une autre version de la ritourne du géant avec une Les Paul.
Merci Bison.. !
https://www.youtube.com/watch?v=skJddbSJQjA
Merci pour cette intimité de Neil. Et pour cette poésie l'accompagnant.
SupprimerMerci!
RépondreSupprimerBelle collection de polar sud-américain ;-)
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