Je suis dans le jury. J'entends le public chuchoter. Je perçois les silences de l'accusé, les pleurs de la plaignante. Le regard du juge me domine par son respect. J'écoute, les deux avocats, celui de la victime d'abord, celui de l'accusé ensuite. Et c'est à la fin des plaidoiries que le devoir me prend à la gorge, qu'il va falloir que je face le juste choix en fonction uniquement de ce que j'ai pu percevoir de la situation que l'on vient de me conter. Difficile de se retrouver assis là, à les écouter, parler, pleurer, et à moi reviens le fait de déclarer ainsi une sentence.
- Mademoiselle, je vous remercie de vous êtes exprimée parce que c'était nécessaire. Nous ne remettons pas en question votre souffrance mais notre client n'a pas la même perception des choses.
Le marteau à la main, j'obtiens le silence dans la salle. Dans ma longue robe noire, je deviendrais presque le maître des lieux, le tout-puissant l'espace de quelques instants, si ce n'est que mon jugement pourra condamner ou pas une vie. Je sens qu'une vie est déjà condamnée, que faire de l'autre. J'ai écouté tous ces gens s'agiter devant ma scène, à plaider le bien ou le mal. Même si ici, il est souvent question de mal. Toujours même, je devrais dire. Au tribunal, les âmes s'y retrouvent perdues. Elles sont anéanties, ou tentent parfois de se reconstruire. Et la peine y a souvent sa place. Pourtant il faut parfois prendre des décisions en fonction de la perception des choses humaines, des actes aux lourdes conséquences.
Ce qui s'exprimait dans les salles
d'un tribunal, c’était le récit d'existences saccagées, c'était la
violence, les blessures d'humiliation, la honte d'être à la mauvaise
place, d'avoir cédé aux déterminismes, au désir, à l'orgueil ; d'avoir
commis une faute, une erreur de jugement ; d'avoir été léger, cupide,
manipulé, manipulable, impuissant, inconstant, injuste, d'avoir trop
aimé le sexe, l'argent, les femmes, l'alcool, les drogues ; d'avoir
souffert ou fait souffrir ; d'avoir fait confiance, par
aveuglement/amour/faiblesse ; la honte d'avoir été violent, égoïste,
d'avoir volé/violé/tué/trahi ; de s'être trouvé au mauvais endroit, au
mauvais moment, de payer pour son enfance, les erreurs de ses parents,
les abus des hommes, leur propre folie ; la honte de dévoiler sa vie,
son intimité, livrées sans conditions à des inconnus ; de raconter la
peur qui les intoxiquait, comme une seconde peau urticante, une
perfusion venimeuse ; la honte d'avoir gâché chacune de ses chances,
avec application.
Je pourrais même m'imaginer être la plaignante, dont les souvenirs d'une soirée ne s'effaceront jamais de ma mémoire. Le lot d'une victime, condamnée à jamais, condamnée à perpétuité à errer dans les méandres de cette nuit étoilée. Je pourrais être aussi ce jeune homme, que l'on qualifierait volontiers de bien sous tout rapport, un peu bourgeois, un peu intello, mais aujourd'hui avec des menottes derrière son box. Une histoire de viol dans ce tribunal des peines perdues. Le violeur et la jeune fille, deux personnes de caractères opposés, deux discours à l'opposé. Une seule soirée passée ensemble mais deux perceptions différentes. Les choses humaines sont ainsi complexes et c'est peut-être aussi à cause de cette complexité, qu'il y a une justice, qu'il y a deux avocats et un juge. Pour trancher, car à un moment, il va falloir se prononcer sur la perception de cette soirée, sur l'avenir en tenant compte du passé.
Il persistera des zones d'ombre. On
n'a pas la vérité, parce qu'il n'y a pas une mais deux vérités. Mais il
nous faut trouver une vérité judiciaire.
L'occasion était belle, voir même extrêmement tentante, après avoir vu Les choses humaines,
le film d'Yvan Attal, d'enchaîner avec le roman de Karine Tuil, que j'ai
découvert ici, aujourd'hui. Presque un hasard de tomber sur ce roman, je
l'ai pris entre mes deux mains, l'ai lu presque en deux traites, pour sentir les deux
perceptions de cette histoire. Un bon roman et un bon film, tels que je
les ai perçu entre les zones d'ombre et de lune. Besoin de deux verres.
"Les Choses Humaines", Karine Tuil.
Hello l'ami. Apprécié le film très récemment. A bientôt.
RépondreSupprimerOui, j'ai bien aussi apprécié le film, très prenant, très juste côté interprétation, et qui interroge de tout son long...
SupprimerTrès bon film.
RépondreSupprimer« Oui, même moi, qui ne vis que de vivre,
invisibles, viennent
me rejoindre les mensonges des hommes
devant les choses,
devant les choses qui se contentent d’exister.
Qu’il est difficile d’être soi et de ne voir que le visible! » Fernando Pessoa
20 minutes, mais quelles conséquences.. !
Et dans la continuité de ceux qui mangent de la cancoillotte au p’tit-déj.
https://www.youtube.com/watch?v=-KkkdauwYIE
Cette critique de "juré fictif" est bien amenée ! Perso, j'ai davantage aimé le livre que le film, même si Charlotte Gainsbourg est la meilleure du casting selon moi... ;-)
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup aimé les deux, mais ai vu le film juste avant. Et comme j'avais beaucoup aimé le traitement de l'histoire dans la version d'Yvan Attal, j'ai voulu lire l'histoire pour voir si j'avais la même perception à sa lecture...
SupprimerYvan Attal a été assez fidèle, en effet ..
Supprimer(PS : suis venue sur ton blog par Babelio... Mais n'ose même pas m'abonner à ton compte - avec mon nouveau profil Jlmc0246 - alors qu'on s'est "côtoyés" là-bas plus de 7 ans... c'est bête, car malgré tout je reste la même personne, et surtout la même lectrice)
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