mardi 21 février 2017

L'Oubli Éthylique... mélancolique

Mélancolique, Max retourne vers son passé. Il revoit les courbes de Grace, son premier fantasme, comme d’autres trouvent la paix dans les élans de la mer.

Le vent fouette le visage de cet homme, caban noir col remonté jusqu’aux oreilles, le regard absent, il fixe l’au-delà, derrière les vagues. Ces vagues qui se projettent en avant, des rouleaux compresseurs qui déchirent le sable et griffent ses Kickers. Les nuages s’amoncellent à l’horizon, affichant une barrière infranchissable. Derrière lui, les falaises de granite s’élèvent vers les cieux et les Dieux. Le bruit se fait assourdissant entre la mer sauvage qui fulmine de sa vapeur et de sa rage, entre les cailloux qui glissent de la falaise pour s’éventrer une centaine de mètres plus bas se fracassant contre la paroi comme les corps plongeant des suicidés. L’homme porte toujours le regard au loin. Un regard fixe qui contemple autant les rives de sa vie que sa dérive.

« Je m’étais versé une tasse de thé noirâtre que j’avais agrémenté d’une rasade de ma flasque – il ne faut jamais circuler sans un petit remontant à portée de main, c’est une chose que j’ai apprise durant l’année qui vient de s’écouler. La lumière de l’après-midi avait viré à la grisaille hivernale et un mur de nuages, denses, bleu de vase, barrait l’horizon. Sur la laisse de haute mer, les vagues griffaient le sable lisse pour tenter de s’y accrocher, mais leur initiative capotait chaque fois. »

Mélancolique, on peut le dire. Il revoit son passé, premier amour et ses vacances, au bord de ces falaises irlandaises. Sa femme vient de mourir, il a besoin de se replonger dans les souvenirs, seuls instants qui le tiennent encore hors de l’eau. Jusqu’à quand ? Alors la mélancolie, cela le connait, la tristesse aussi. Cette histoire est triste à l’image de sa vie. Putain de vie. Il se sert une bouteille de whisky, un rouge gorge par exemple, au coin de la cheminée, les volets clos signes que sa vie est derrière lui, maintenant.

« Ici, au bord de la mer, le silence a une qualité particulière, la nuit. Je ne sais pas si j’y suis pour quelque chose, je veux dire si c’est moi qui influe ainsi sur le silence de ma chambre et de toute la maison ou bien s’il s’agit d’un effet circonscrit, dû au sel dans l‘atmosphère, peut-être, ou au climat de la côte en général. »

Mélancolique, le silence plongé dans son regard, le regard plongé dans la mer, les noyés plongés dans la mer. Il aime ce silence, un silence imperturbable de ses pensées face à l’immensité de la mer, l’infini de l’horizon, ce ciel lourd qui se mêle au bleu foncé de la mer. Les vagues se déchiquettent contre lui, mais son silence reste constant, ligne de conduite, ligne de fuite. Sa vie n’a été que silence face à l’adversité de sa vie. Il garde en lui cette rage qui le compose depuis des années.  La perte de sa femme ne fait qu’accentuer son mal-être, se demandant pourquoi elle et pourquoi pas lui. Il voudrait prendre sa place, en silence. S’enfoncer dans la mer, nager le plus loin possible, s’enfoncer dans la nuit, dans l’eau, froide et noire.

« Ce fut le mouvement preste et brusque dont Chloé, toujours à genoux, se débarrassa de son cardigan qui m’incita, qui m’autorisa à poser la main sur sa cuisse. Sa peau était fraîche et elle avait la chair de poule, mais je devinais le sang chaud massé juste sous la surface. Elle ne réagit pas à ma caresse, continua à regarder ce qu’elle regardait – toute cette eau peut-être, ce flux lent et inexorable – et prudemment je risquai la main plus haut jusqu’à ce que je touche l’élastique tendu de son maillot de bain. Puis le cardigan, qui m’avait atterri dessus, glissa et tomba par terre, m’évoquant je ne sais quoi, une gerbe de fleurs qu’on aurait lâchée peut-être ou la chute d’un oiseau. Je serais resté ainsi, la main sous ses fesses, le cœur battant une mesure syncopée et les yeux rivées sur le trou dans le bois du mur d’en face, si elle n’avait pas, dans un bref mouvement convulsif, déplacé un tout petit peu son genou sur le banc et ouvert ses cuisses à mes doigts stupéfaits. L’entrejambe doublé de son maillot ruisselait d’eau de mer, laquelle me parut bouillante. […] »


Les vagues affluent, elles déchirent la côte, elles assomment les âmes. Face à elles, sa vie plonge dans un silence lourd dont il ne peut plus s’échapper. En regardant la mer, en écoutant son silence, il a senti que sa vie était derrière lui. Il n’attend plus rien. Il n’est plus homme. Juste un type reclus dans son silence avec sa flasque de whisky dans sa poche. Il garde en lui ses souvenirs, ses instants heureux, ses silences pour une autre vie. Son passé, c’est maintenant sa vie, celui qui le fera vivre encore un peu, pendant qu’il marche le long des falaises, face au soleil couchant, avec toujours cette pointe d’envie de rejoindre à la nage l’astre qui illumina son cœur.

« Le passé cogne en moi, comme un second cœur. »

Un homme souffre. Il boit pour la consolation et l'oubli éthylique. Un grand merci pour cette phrase qui résume si bien cette histoire, cet homme et pour ce livre sur La Mer, l'amarée des mots. Le silence et la mer comme des baumes sur le cœur des sentiments.

Laisses-toi emporter par la vague, tout en gardant la tête hors de l’eau…

« La Mer », John Banville.

8 commentaires:

  1. Je n'ai lu qu'une fois Banville, Le livre des aveux, qui m'avait plu. La mer semble très fort, je crois avoir lu de très bonnes critiques.

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    1. à l'époque, je ne connaissais pas encore ton blog.
      Mais je file lire tes aveux sur les aveux...
      http://eeguab.canalblog.com/archives/2007/04/08/4495903.html

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  2. Voilà un roman qui me tente
    Une histoire qui me parle,
    La mer, le silence, le manque, l'autre qui n'est plu, le vide ...
    Tu en parles si bien !
    Je le note :)

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    1. je n'en parle certainement pas aussi bien que l'auteur (normal, je suis pas auteur) mais la mer le silence le manque... ça me parle...

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  3. Tabarnak, j’avais aimé ce petit roman et l’histoire de cet homme qui s’est perdu à l’intérieur de lui-même, qui part en quête de soi en trimballant son mal-être. Ses pensées suivent le mouvement des vagues. C’est toujours doux, malgré la noirceur de certains personnages, quand les âmes côtoient la mer en guise de réconfort. J’aime trop... et j’aime tes mots pour parler des maux de cet homme en équilibre au bord des falaises. Crisse de beau billet qui sent l’iode!

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    1. J'aime l'iode dans un verre de whisky. De même que la tourbe dans mon verre. Ça accompagne parfaitement bien la littérature de l'amer et de la mer...

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  4. L'amour, la mer, le manque, l'amer... Une bonne vague, une bonne rasade... La vie quoi...

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    1. presque... Tu as oublié juste de mentionner les moules...

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