mardi 18 juillet 2017

Entre Tombe et Tombeau

Des livres comme ça, ça devrait être interdit. La tristesse à l’état brut. Seita se meurt, seul comme une personne abandonnée sur un quai de gare ou un tunnel de métro. Quel âge a-t-il ? Ma foi, juste l’âge d’être le grand frère de Setsuko. Ainsi commence le roman, par la mort de Seita.

« … à peine eut-il bondi vers l’entrée de la maison qu’il fut submergé par le fracas des bombes s’écrasant au sol puis, la première vague passée, il y eut cette illusion que le silence tout d’un coup était revenu, cependant que les B 29 n’en finissaient pas de pousser leurs mugissements oppressants. »

La seconde guerre mondiale. J’entends le bourdonnement sourd des avions américains au-dessus de la campagne japonaise. Une sirène stridente vient hurler à la population l’ordre de se réfugier dans les abris prévus à cet effet. Une pluie de bombes s’abat. Le village entier brûle. Une pluie de cendres s’envole. Seita porte sur son dos sa petite sœur Setsuko, s’éloigne du village, se réfugie dans la montagne. Une chaleur s’empare de la rue en flamme. Vite…

Ou est leur père ? Commandant de bord, parti combattre l’ennemi, il ne donnera aucun signe de vie. Leur mère ? Inconsciente, brûlée, morte. Orphelins, sans ressource, ils vont se réfugier chez une tante qui ne leur apportera que l’aide minimum et leur fera bien comprendre qu’ils sont plus une charge qu’un amour.
La tristesse continue. Malgré tout je perçois l’illumination dans les yeux de Setsuko lorsqu’elle découvre la lumière des lucioles. Et ce rire, marque d’insouciance d’une petite fille de 5 ans qui marque mon esprit.


Ces enfants, victimes collatérales de la guerre. Ils n’ont rien demandé, ne savent même pas les enjeux. Ils ont juste une boite de bonbons et quelques lucioles pour éclairer un bout de chemin silencieux, à peine perturbé par le coassement des grenouilles. J’essaie d’y voir de l’humanité, une certaine beauté de l’enfance, mais mon regard s’emplit de tristesse à chaque page parce que je vois la fin, je connais les conséquences, la faim qui tiraille la petite fille, les coliques, le dernier bonbon, la mort… 

« Ces os blancs : ceux de la petite sœur de Seita, Setsuko, morte le 22 août au fond de la tranchée d'un abri antiaérien dans le quartier de Manchitani à Nishinomiya, d'une inflammation aiguë des intestins, si l'on en croit du moins la version officielle, car en réalité, percluse de tous ses membres à l'âge de quatre ans, c'était comme dans un profond sommeil qu'elle avait quitté ce monde, de la même manière que son frère en somme : dépérissement dû à la nutrition. » 

L’histoire pourrait s’arrêter là, mais Seita mérite mieux que la fausse sépulture dans laquelle sa mère a été placée. Alors, il donnera ses dernière sous pour construire une petite boite en bois dans laquelle sera déposée le corps de sa sœur, avant d’y être incinérée. Oui, ce roman est profondément triste. Beau, certes, par moment, mais sans aucune nuance d’espoir. C’est la guerre, point. Il gardera sur lui cette boite métallique qui a contenu des bonbons aux couleurs chatoyantes, des lucioles lumineuses, les cendres grises de sa sœur.  

Et comme j’avais envie de bien plomber mon dimanche soir, j’ai regardé le manga d’Isao Takahata. Je l’avais vu lors de sa sortie en DVD en France (cela remonte aux années quatre-vingt-dix) mais ai toujours refusé de le revoir. Trop de tristesse, justement. J’hésite d’ailleurs à le proposer à mes enfants. Un film comme ça, ça devrait être interdit. Je me suis un peu forcé. Le cœur n’y était pas, mais il le fallait. Pour l’associer avec le roman, la nouvelle de Nosaka. D’ailleurs quel moment merveilleux de voir le sourire de Seita, de l’entendre même rire en découvrant des bonbons ou des lucioles. L’insouciance des enfants devrait être éternelle. Mais pour être honnête, si j’ai apprécié cette lecture, parce que je ne refuse jamais les éditions Picquier, que la plume de Nosaka m’a souvent bien plus, heureusement que cette tristesse qui touche des enfants si beaux, même kawaï ne font pas l’essentiel de mes lectures.

Merci à Cristina d’avoir récupérer ce don de la médiathèque de Romans et comme le veut le vœu de ce livre, ce dernier rejoindra probablement une autre boite à livres (parce qu’il n’y a pas de raison que je sois le seul à pleurer, et que si je peux plomber la soirée d’un lecteur, je ne vais pas me gêner).

« La nuit venue, les grenouilles taureaux coassaient dans le réservoir d'eau tout proche, et de part et d'autre du flot vigoureux qui s'en écoulait, parmi l'herbe drue, c'était des scintillements de lucioles juchées chacune au bout d'une feuille, il suffisait de tendre la main pour faire monter les petites lumières le long des doigts, " regarde ! Essaie de la prendre ! " il en fit tomber une sur la paume de Setsuko, mais elle ferma le poing si fort qu'elle l'écrasa, une odeur âcre qui vous picotait les narines lui restait au creux de la main, au milieu des ténèbres lissés du mois de juin, à Nishinomiya certes, mais au pieds de la montagne, où les bombardement on s'en souciait peu, comme du malheur des autres. »

« La Tombe des Lucioles », Akiyuki Nosaka.
« Le Tombeau des Lucioles », Isao Takahata.


20 commentaires:

  1. C'est beau de faire circuler les larmes... Moi non plus je ne peux plus regarder ce film. Et pour l'instant je n'ose même pas lire le livre.

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    1. Je n'ai d'ailleurs pas osé proposer le film à mon fils... Je me suis dit que je n'ai pas le droit de lui infliger une telle tristesse...

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  2. le livre est sur nos étagère depuis des années (avec à côté la petite boite de bonbons vide ;-)). Ma moitié l'a lu, moi pas. L'anime m'a trop bouleversé. Respect pour ta lecture.

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    1. J'avoue que quand j'ai reçu le livre, j'ai été mitigé. L'envie, parce que c'est un grand auteur que j'ai déjà apprécié avant. Parce que l'histoire est l'Histoire. Parce que il est entré au patrimoine de la littérature japonaise. Mais la peur aussi parce que je connais tout le chagrin qu'il y a dans cette histoire, tout le désespoir de l'humanité. Et que je suis suffisamment triste dans ma vie pour ne pas en rajouter une couche. Cela dit la tristesse, c'est ma came, et je m'y retrouve assez dans les histoires tristes et sans espoir...

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  3. Jamais lu mais le film est admirable et bouleversant.

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    1. Le film est très fidèle à la nouvelle. La même émotion, admirable et bouleversante.

      Une seconde nouvelle suit celle-ci, 'Les Algues d'Amérique', un peu plus légère mais avec toujours une forte connotation politique, sur les algues, le sentiment anti-"américain" après l'occupation... et la moule.

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  4. '21 septembre 45, la nuit où je suis mort.' Un film magistral à tous pts de vue.
    Pkoi une Mandrin là ou une quelconque Hitachino aurait fait l'affaire ?
    ++

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    1. Sauf que je ne sais pas où acheter une Hitachino, alors que pour la Mandrin je peux aller directement à la brasserie...

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  5. Figures toi que j'ai vu le manga il n'y a pas très longtemps, très beau oui et quelle tristesse.
    C'est vrai que lorsque j'ai vu l'édition et le sujet j'ai pensé à toi lolll Sans rancunes ? ^^
    Merci de continuer à faire voyager ce livre, c'est une très belle idée !

    Et est ce que, à la place, tu leurs fait écouter du Vander à tes enfants ?

    Je suis l'ami des malheuuureux ....
    Rohhh ok je sors !

    Si on a plus le droit de rigoler ;-)

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    1. le livre voyagera, comme ça le monde sera rempli de tristesse, de désespoir et de gens tristes qui lisent des livres tristes...

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    2. N'est-ce pas déjà le cas ?

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    3. ne pas faire de mon cas particulier une généralité... Il doit bien y avoir des gens moins tristes...

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    4. En tout cas nous sommes plusieurs dans ce cas et heureusement que les livres existent ...

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    5. heureusement que les livres sont là...

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  6. Une lecture plombante, difficile de dire le contraire. Mais j'en garde quand même un beau souvenir.

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    1. Mais du coup, j'ai pas spécialement envie de le relire une seconde fois... C'est trop désespérant même si j'aime le désespoir (mais pas chez les enfants) (et en littérature)...

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  7. une histoire émouvante quand tu connais l'histoire de cet écrivain. Orphelin, pouilleux et dépouiller de tout, le refuge reste la grotte pour s'éteindre lentement de malnutrition alors que les lucioles apportent la Lumière !

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  8. Je n'ai pas lu mais le film non mais LE FILM !!! C'est pas humain de faire pleurer les gens comme ça. Je ne vais même pas au bout de ton extrait, ça fait trop mal de voir cette petite choupette... brrrr !
    Du coup à te lire je me dis que je ne devrais peut-être pas le montrer à mes chéridamour !

    Pour pleurer je te recommande +++ Le Cahier de la petite Makhmalbaf (le h est sûrement pas à la bonne place)... je l'ai en DVD et je n'ai JAMAIS réussi à le revoir tellement i fait peur de chagrin ce film !

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    1. Un film à ne JAMAIS montrer à personne. Trop triste, trop sombre mais pourtant si lumineux...

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