vendredi 30 septembre 2022

Femme Lumière

« La Maison rouge de mes parents est construite à l'orée d'une pinède, beaucoup plus vieille qu'eux.
Je suis petite encore quand ils s'y installent.
Je ne sais pas que cette terre-là deviendra la mienne.
Mais mes doigts se l'approprient déjà, grattant la terre, lui confiant mes morts.
Une douzaine de cochons d'Inde, mes chats, puis mes grands-parents s'y déposent un à un, chargeant le champ de leurs mémoires, nourrissant les trèfles de leurs souvenirs. »


Cela ne t’a probablement pas échappé, mais il y a quelques mois, une nouvelle ère à démarrer, celle d’un virus et d’une pandémie. Oublions donc tout ça, pendant quelques minutes, pendant quelques pages. Pourtant, nous y sommes en pleine pandémie, confinés chez soi. Mais au lieu d’un appartement, de la rue Sherbrooke ou d’ailleurs de Montréal, je me retrouve en pleine forêt. Et là, j’oublie tout, même ce maudit virus et je plonge les yeux fermés, le cœur ouvert dans la poésie de la nature. Calisse que c’est beau…  

« J'attrape une serviette dans un geste quotidien et je descends d'un pas encore endormi vers la rivière. C'est mon entrée dans la journée, mon plongeon matinal, qui équivaut à dix espressos. Je me déshabille, je glisse un pied dans la boue, puis mon corps en entier dans l'eau glacée. J'ouvre les yeux sous l'eau pour regarder le ciel. J'aime le voir de là.
Quelque chose frôle ma jambe. C'est gros. Je sors ma tête de l'eau. Un castor me fixe.
On ne bouge pas, ni lui ni moi. Il est dans ma bulle, clairement. Et je suis dans la sienne. Ni l'un ni l'autre n'abdique. Il ne semble pas avoir peur. Il plonge à nouveau près de moi et effleure ma cuisse nue. J'immerge ma tête sous l'eau et le cherche du regard. Je nage doucement, on est maintenant face à face. Je pourrais à cet instant prendre sa place. Habiter là en bordure du courant, m'y établir. Vivre entre des murs d'arbres tissés et le bassin clair du ruisseau.
Comme je l'imagine mal aller faire des tartines aux enfants, je me décide à sortir. Je frissonne. Enroulée dans ma serviette, je le vois s'enfouir à l'abri du rocher. Je crois qu'on peut dire qu’on s'est rencontrés.
Je remonte vers la Maison bleue plus chanceuse que quand je l'ai quittée. »



C’est dans une maison bleue, genre adossée à la forêt, genre on y vient à pied parce que le char y démarre plus, genre on ne frappe pas parce que là-bas, l’âme fraternelle a encore de beau jour devant elle comme de belles nuits boréales. On se retrouve ensemble à 5 heures du soir, lorsque les lucioles commencent à illuminer l’orée de la forêt. Un endroit magique, au milieu des loups, des ours et des loutres. Oublie le mode trappeur, tu es là pour observer, la chemise à carreaux et aux manches retroussées, couper du bois, pelleter la neige, lire et boire du rhum ou du caribou. Crisse que c’est bon. Lire et boire… 

C’est dans cette maison bleue qu’Anaïs a vécu une partie de son enfance, ses vacances avec ses grands-parents, avec ses parents. La nostalgie refait surface, avec les souvenirs, une petite goutte de larme autour des yeux. L’émotion au milieu des érables, le sirop d’érable qui coule sur son corps (bon, là, ce n’est peut-être pas écrit en toute phrase, j’invente, j’extrapole, je fantasme, les enfants allez vous coucher, sur la voix de Leonard Cohen).

« Des amis algonquins m'ont déjà expliqué quelle attitude adopter si je rencontrais un ours dans la forêt.
J'ai retenu deux choses. Surtout, ne pas faire la morte. Je ne suis pas crédible en morte. Mais plutôt m'éloigner lentement, sans gestes brusques, en parlant à l'ours. (Je cherche encore quoi lui dire. Si je n'ai pas trouvé à ce moment-là, je chanterai.)
En reculant à pas lents, repérer un arbre de confiance et y grimper. L'ours ne me suivra pas dans l'arbre.
Mes amis m'ont rappelé, comme une vieille évidence, que les arbres, pour moi, pour nous, représentent la sécurité. »


Bon, je te l’accorde, les petites bibittes ou les grosses bébêtes, ça effraie un peu quand on vient de la ville. Au début du moins. Après on s’y fait, au chant des grenouilles ou au hurlement des loups. On apprend, on partage leurs vies, la vie de la Nature. On vit avec elle et on travaille la terre, comme dans un autre siècle, on découvre Henry David Thoreau, et le plaisir de semer ses plants, de récolter son travail. Car tout travail n’est pas que mathématiques ou grammatical, les enfants apprennent différemment, laissant de côté les équations et se concentrant sur les baies et les champignons. Un autre apprentissage, celui du regard, celui de l’odorat, celui du toucher (viens que je te caresse ce triangle de mousse sur ton écorce). Et ainsi on oublie le stress au quotidien de côtoyer un tabarnak de virus. Et ainsi on devient fougère, on devient arbre, on devient forêt. 

« L'arbre qui se meurt fleurit davantage. Il explose de beauté, il donne tout ce qu'il peut avant la fin, comme un majestueux salut à la vie qu'il a traversée. Leonard Cohen a écrit que la vieillesse est une façon élégante de faire ses adieux. C'est ce que fait le pommier qui meurt. II ouvre des fleurs par centaines, dans un ultime et magnifique effort pour essaimer, avant de disparaître. »

« Femme Forêt », Anaïs Barbeau-Lavalette.

Un roman LUMINEUX !



18 commentaires:

  1. Je réitère ma demande "icitte"... Et "tantôt", ça voulait bien sûr dire plus tard ! (Tu termines toujours mes prêts avant que je ne termine les liens .... Lol)

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    1. Hey, tu parles maintenant le Linda Lemay. Icitte ou ailleurs, tantôt ou plus tard, tant qu'il y a du rhum et de la bière à 8°, c'est parfait, la vie continue de couler...

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  2. Si peu.... Nad vient de m'envoyer (via Insta) des nouveaux titres québécois :-) Après une bien jolie carte du Portugal (séquence nostalgie+++++)

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    1. plein de nouveaux titres que je connais ? balance, ça peut m'intéresser :-)))

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    2. Voir parmi les derniers notés dans mon PB (du site que tu aimes tant ! > <)

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    3. Ouf, t'as pas un pense-bête démesuré : Michèle Plomer et Camille Readman Prud`homme... Des noms que je n'avais jamais entendu parlé...

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    4. Michèle Plomer "Habiller le coeur" et "Quand je ne dis rien je pense encore" de Prud'homme... <3
      Des livraisons transatlantiques sont à prévoir...

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  3. Le Bison, tu serais tu un mangeux de queues...de castors, leu ???!!!^^

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    1. j'suis surtout un lécheur de sirop d'érable...

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    2. Ha ha ha ha ha vous deux ^^
      Un mangeux d'queues d'castor et un licheux d'sirop, je les ai les amis moé :D)))

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  4. Ah Anaïs, femme complète, femme entière... <3
    Et puis elle vient de réaliser le film "Chien blanc" du roman de Romain Gary.
    Quand mes 2 coups de coeur se "rencontrent".
    Je tripe...

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    1. Du coup, question que je me pose est-ce que les filles de l'université de Montréal (d'où elle vient donc) sont aussi hot que les filles de McGill ? Voilà un sujet très intéressant qui mériterait qu'on s'y.... intéresse...

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  5. Hot... hum... que dire... Je pense que la notion de "hot" passe à travers le filtre personnel de ses goûts. Une chose est certaine, McGill et Université de Mtl passent sur la même ligne verte du métro. Si ça peut répondre à ta question ^^

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