Une
fois de plus, il est question de disparition. Comment souvent en Argentine. Et
les disparitions sont aussi fréquentes que mes envies de décapsuler une Quilmes
et respirer ce parfum de la pampa. Et comme souvent chez les écrivains
argentins, le passé ressurgit de ses ancêtres.
Un
jeune écrivain argentin revient au chevet de son père mourant. Quelques années
d’exil en Allemagne l’ont éloigné de ses racines, de sa famille, de son
histoire. Absence de dialogue, ignorances des uns et des autres, du père et du
fils. Ce retour sur la terre argentine n’est guère de bon augure, toujours
empli d’une certaine tristesse et d’une espèce d’abandon de vie. Il rentre chez
lui, son ancien chez lui, rien n’y a bougé même pas les odeurs, et fouille le
bureau de son père. Il n’attend rien, ni réponse ni question. Peut-être juste
avoir l’esprit occupé pendant que son père se meurt à l’hôpital.
« Trois affaires d’homicide, de disparition et d’enlèvement en un an dans la ville », affirmait un autre article qui soulignait : « Trois affaires non résolues ».
Un
vieux carton. Des dizaines, des centaines de coupures de journaux. Certains
brutes, d’autres commentées. Des centaines d’annotations de l’écriture de son
père. Des photos. Tous ont un point commun la disparition d’un homme qu’il ne
connait pas. C’est à ce moment- précis que l’histoire se complique.
Une fois de plus, le mot clé ici était « disparition », répété d’une façon ou d’une autre dans tous les articles, sorte de cocarde funèbre au revers de tous les estropiés et de tous les malheureux d’Argentine.
Une histoire de disparition est toujours compliquée, mais là ce n'est pas
l’histoire de l’Argentine, ni celle du disparu qui devient flou, mais bien celle de l’écrit, du
narrateur-auteur. Si la plume de cet auteur est indéniablement belle, elle m’a
enchanté sur la première partie de ce roman, celui-ci me balance, dans la seconde partie de son roman, des extraits
de journaux, entiers ou coupés. Des dizaines, journaux au quotidien, redondance
et redondance comme pour ces flashes infos qui illuminent certaines chaînes de
télévision à longueur de journée. A cet instant précis, je me sens loin de
l’Argentine, parce que cette partie est -trop- longue, -très- fastidieuse, même -surtout- ennuyeuse.
Les coupures de presse s’enchaînent, mon esprit se délite et ma bouteille de
Quilmes me tombe des mains. Heureusement, elle était déjà vide.
« Cependant, le lecteur n’aurait pas dû établir un rapprochement entre la disparition de Burdisso avant de se demander pourquoi on aurait assassiné un idiot faulknérien, un adulte à cervelle d’enfant, un homme qui ne buvait pas et n’avait aucune fortune, un homme qui devait aller travailler tous les jours pour subsister, accomplissant les tâches les plus modestes comme nettoyer une piscine ou réparer un toit. Cette question, reprise les jours suivants dans les articles du dossier de mon père, est peut-être une question de nature publique ; la question de nature privée, si intime que je ne pouvais me la poser qu’à moi-même, et à laquelle je ne savais pas encore répondre, était la suivante : pourquoi mon père s’était-il tellement intéressé à la disparition d’un homme qu’il n’avait peut-être pas connu, un de ces visages qu’on croise en ville et qu’on peut associer à un nom ou deux – le sien, celui de son père -, mais qui ne signifie pas grand-chose, qui fait partie du paysage comme une montagne ou un fleuve. Et je me dis que le mystère était double : celui des circonstances particulières de la mort de Burdisso, et celui des motivations qui avaient poussé mon père à partir à sa recherche, comme si ce dernier voulait éclairer un plus grand mystère, profondément enfoui dans la réalité. »
Une
fois que l’auteur a épuisé le carton de souvenirs et d’archives, la plume se
fait à nouveau plus poétique, plus belle, je retrouve l’écriture sud-américaine
que j’aime, cette poésie qu’il peut y avoir, même dans la souffrance, dans les
premiers romans de jeunes auteurs. Car forcément, avec ce que j’ai pu
entrevoir, j’ai envie de poursuivre la découverte de Patricio Pron. Parce que l’Argentine ne remplit pas que des cartons
à souvenirs, malgré ses disparitions. Tiens, et si je me décapsulais une autre
Quilmes, j’avais fait des stocks – en prévision, précautions inutiles mais heureusement
que j’ai d’autres auteurs argentins pour noyer mes maux dans les mots de l’Argentine. L'esprit de la Quilmes.
« L’Esprit de mes pères », Patricio
Pron.
La "mi-temps" de ce livre semble bien indigeste et me dissuade un peu. Qu'en penses-tu? Ai-je tort?
RépondreSupprimerSi tu veux, je peux te l'envoyer... Par curiosité... A tes risques et périls, mais je ne voudrais pas que tu m'en veuilles pour cette indigestion du milieu. Sinon, en dehors des coupures de journaux, j'ai trouvé l'écriture belle et poétique. C'est d'ailleurs ce qu'il m'a enragé, un tel décalage entre ces trois parties...
SupprimerHeureusement qu'elle était vide...
RépondreSupprimerJamais entendu parler de cet auteur, merci pour la découverte une fois de plus !
Pas vide, je me serais allongé pour lécher jusqu'à la dernière goutte. Une Quilmes, ce souvenir d'un plaisir argentin, ne doit pas se perdre et circuler dans les veines jusqu'au dernier moment de la vie...
SupprimerUne partie ennuyeuse et une Quilmes qui te tombe des mains, quel gâchis ^^
RépondreSupprimerQuand je lis l'Argentine j'aime sentir les odeurs de la Pampa, des gougounes dans les pieds.
p.s.: j'ai reçu un superbe décapsuleur pour ma cabane en Alaska, j'attends que tu viennes partager une binouze! câlisse
Ici, on reste loin des odeurs de la pampa. C'est plus les disparition et la dictature qui parfument la prose de l'auteur. Mais du moment qu'il y a l'odeur d'une bière fraichement décapsulée distillée entre les mots d'une page...
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