Les aubes sont navrantes.
Arthur Rimbaud, Le Bateau ivre.
Le 27 octobre 1949, la quadrimoteur immatriculée F-BAZN décolle de l’aéroport d’Orly. Baptisé d’un nom presque trop onirique pour un avion, le « Constellation » accueille à son bord une étoile plus connue que les autres, Marcel Cerdan. Dans quelques heures, New-York sera en vue mais pour le moment il survole les Açores. Cerdan devait rejoindre les Etats-Unis quelques jours plus tard, par bateau, pour préparer la reconquête de son titre. Mais Edith Piaf a insisté pour qu’il vienne la rejoindre au plus vite. Comme ça, tu pourras venir m’écouter chanter à New-York, lui dit-elle avec insistance. Avec insistance, il en toucha quelques mots à son manager, qui avec insistance obtint deux billets pour le prochain avion, Constellation. Ils n’atteignirent jamais la côte américaine, comme quoi, la vie ne peut tenir qu’à de petits détails. La vie, l’amour, les étoiles, blue moon, l’hymne à l’amour. Constellation s’abîma en mer…
« S’abîmer en mer, ces expressions, mots et verbes marins…
S’abîmer en mer, sillonner la mer, se perdre en mer, se jeter à la mer, prendre la mer, partir en mer, mourir en mer, jeter une bouteille à la mer, noyé, envahi, emporter par la mer, estiver, écumer, courir les mers, disparaître en mer, avoir bourlingué dans les mers du Sud, acculer, aboutir à la mer, « Un homme à la mer ! » crie le capitaine, au fond des mers, vieux loup, fortune de mer, haute, pleine, basse, qui se retire, découvre, embarque, gronde, moutonne, creuse, mine, ronge, érode les falaises, qui baigne une côte, qui scintille, brasille, brille, étincelle, se calme, calmit, baisse, reflue, écume, déferle, monte et descend, mer d’huile, de glace, de sable, secondaire, bordière, intérieure, fermée, froide, tempérée, gelée, calme, agitée, forte, houleuse, étale, tropicale, la mer d’Arthur Rimbaud infusée d’astres et lactescente, les clapotements furieux des marées, les archipels sidéraux, et les îles dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur : est-ce en ces nuits sans fond que l’avion s’endort et s’exile ? »
Vos luttes partent en fumée
Vos luttes font des nuées
Des nuées de scrupules.
Ginette Neveu, prodige du violon, a joué son dernier récital. Elle ne le sait pas encore. Tout comme ces bergers basques partis pour une nouvelle aventure, nouvelle vie. Un importateur de dentelles, une bobineuse de Mulhouse accompagnent donc le bombardier marocain, Marcel Cerdan, en vol pour reconquérir son étoile de champion du monde. En tout, quarante-huit personnes, des anonymes qui eux aussi ont décidé de prendre part à ce vol en cette nuit étoilée. Le Constellation, moi aussi, avec un nom comme ça, j’aurai envie de traverser la mer et le ciel.
Vos luttes partent en fumée
Sous des oeils embués
D'étranges libellules.
Adrien Bosc, plus qu’à l’accident ou à Marcel Cerdan, s’intéresse d’abord aux coïncidences qui ont liées à tout jamais le destin de ces quelques personnes, connues et anonymes, dans une sombre nuit, où la lueur de la lune s’est dissipée sous des nuages noirs et lourds. Certaines vies sont plus poétiques que les autres, d’autres insignifiantes. C’est tout l’art de l’écrivain de les rendre accessibles aux lecteurs. J’ai été pris par moment, dans ce tourbillon de la vie, des vies qu’on touche du regard le temps d’un chapitre et qui retombe dans l’oubli aux détours des Açores ou d’un chapitre suivant. Par moment, je lâchais prise, face justement à ces bouts de gens dont je ne connais rien et qui disparaîtront aussitôt la page tournée. Mais avant tout, Adrien Bosc propose cette réflexion sur ce que produisent le hasard, les rencontres, ces petites coïncidences de la vie qui réunissent la destinée d’un champion avec celle d’un type ordinaire, si un tel type existe. Les volutes du hasard.
« Après avoir reçu l'ultime autorisation de routine, l'avion est en approche à mille mètres d'altitude. Les informations d'atterrissage sont transmises au Constellation, la vitesse et la direction du vent ainsi que le numéro de la piste. "Roger", répond le pilote. L'alphabet radio tout comme les énoncés ésotériques de la météo marine fascine. Dogger, Fisher, hectopascal, fraîchissant secteur sud-ouest, Viking, échelle de Beaufort, barre de brisants, anticyclone des Açores, le fameux. Y répond en langage crypté : Alpha, Bravo, Charlie, Delta, Echo, Foxtrot, Golf, Hotel, India, Juliett, Kilo, Lima, Mike, November Oscar, Papa, Québec, Romeo, Sierra, Tango, Uniform, Victor, Whisky, X-ray, Yankee, Zulu. La technique et son langage, des formules assénées à coups de baguette magique. La différence entre la technologie avancée et la magie est indiscernable, hors contexte, il s'agit en somme de faire tenir des carlingues de plusieurs tonnes en lévitation. »
Et lorsque mon regard se porte sur la carte du monde, j’entraperçois, dans ce triangle des Açores, les volutes grises qui s’envolent, au-dessus du mont Redondo, vers les étoiles brillantes de notre constellation.
« Constellation », Adrien Bosc.
Vos luttes partent en fumée
Vers des flûtes enchantées
Et de cruelles espérances
Me lancent
Des dagues et des lances
En toute innocence.
Tu m'avais gratifié d'un commentaire trouvant Constellation "tentant" il y a quatre ans. Et je vois que tu as fait un bon vol. J'en suis ravi. Tu as remarqué qu'on dit toujours d'un avion qu'il s'est abîmé en mer. Je trouve que c'est un peu plus que s'abîmer, non? Pour moi s'abîmer c'est rayer sa voiture. Litote! So long l'ami!
RépondreSupprimerJ'avais oublié... Manifestement je suis si vieux que j'en oublie mes propres commentaires... contrairement à toi... La guitare doit aider à rester jeune...
SupprimerQuatre ans après, j'ai donc succombé à la "tentation". Mais avec un avis plus mitigé que ne le laisse transparaître ma chronique, j'ai surtout chercher à m'attacher à ce qui a pu m'intéresser dans cette découverte aérienne... Je ne savais même pas que Marcel Cerdan était mort dans un crash aérien ou un abîme maritime...
Ton billet donne envie et dégage une certaine poésie en dépit de ton ressenti mitigé...
RépondreSupprimerDis donc, c'est pas ma bouteille de Trois Rivières, ça ??
Y'a du 3 Rivières à Hennessy ?
SupprimerChez Hennessy, j'en doute mais chez moi oui !
Supprimerje croyais que c'était le même château :-)
SupprimerAvec insistance tu as tenu jusqu'au bout... ou au fond.
RépondreSupprimerTu ne savais pas que Marcel Cerdan était mort dans un crash ???
Je crois que je ne m'étais jamais posé la question du comment il était mort...
SupprimerTrois-Rivièves, y'a la ville et la frette de c'te nom ici, c'est déjà pas mal :-)
RépondreSupprimer"J’ai été pris par moment, dans ce tourbillon de la vie, des vies qu’on touche du regard".... Crisse, c'est de la poésie ça...
Effectivement, trois-rivières, ça sonne bien comme un nom de ville québécoise... Une frette ? Tabarnak j'la connais pas pantoute...
SupprimerDe la poésie ? Où ça ? Ici, c'est un site sérieux, sans poésie !