« Au-dessus de cette énorme vague citadine, le Mont Fuji, dans sa
splendeur, par les matins clairs et les soirs dégagés. »
Un billet d’avion en poche, deux
escales, vol long-courrier, atterrissage au pays du soleil levant. Déambuler
seul dans les rues de Tokyo, le parc de la Sumida et le fameux temple d’Asakusa.
Je replonge volontiers dans les années 20-30, l’entre-deux-guerres, une musique
de jazz insouciante dans la tête qui accompagne cette pérégrination d’antan.
Asakusa, dans ces années-là, c’était
le temple des geishas et le temps des amuseurs ambulants. Les théâtres grivois se
dévoilent, comme un sein qu’on entraperçoit dans le pan d’un yukata s’ouvrant à
la bise du vent. Biser ce sein, celui qui ose se montrer sous la douce lumière
bleue d’une lune venue observer les mœurs de l’époque. Une jambe nue ou l’érotisme
d’une nuque, sur le pont Kototoi, c’était une autre époque, reste un spectacle
à la hauteur d’un feu d’artifice à la tombée de la nuit, d’un Mont Fuji aux
premières lueurs d’un petit matin ou d’une toison brune mouillée à la sortie d’un
onsen, lumières vespérales.
« Reconstruit au mois de février 1928, le pont de Kototoi est d'allure
moderne, clair, plat, large et blanc. Il trace une voie nouvelle et saine
au-dessus du fleuve Sumida souillé par les déchets de la ville.
Mais,
quand je le traversai à nouveau, les panneaux lumineux et les lumières des
alentours sombraient déjà dans l'eau noire ; il était imprégné d'une mélancolie
citadine. Sur la rive d'Asakusa, des pierres de taille blanches laissaient
apparaître leurs contours flous dans l'obscurité du soir, là où le parc était
en travaux. On voyait au loin des ouvriers qui faisaient un feu près de leurs
chevaux.
Par-dessus
le parapet, on entendait le bruit indistinct de la marée montante. Sur trois
péniches amarrées à un gros pilier en béton, c'était l'heure du dîner.
A
l'arrière, le riz fumait sur les réchauds. Une jeune fille coiffée d'une
serviette, un coffre à la main, enjamba le bord d'un des bateaux. A l'avant, du
linge rouge séchait sur une rame posée de travers. Sur le bateau voisin, on
grillait des maquereaux à la lumière d'une lampe à pétrole. Pêle-mêle sur le
toit, traînaient un tamis à pâte de soja, des bûches, un seau. »