« L'après-midi m'a gratifié de deux évènements notables. Tout d'abord, un travailleur scientifique à la gueule de faune m'a rendu visite. Il m'appelait déjà Pierre le Grand, son pseudonyme à lui était Vespasien. Il m'a demandé de lire et de contresigner son étude de veux-deux pages au titre grandiloquent : L'évolution des mœurs du travail et le recul de l'alcoolisme dans la première période de la construction du socialisme développé. Je ne me souviens plus de tous les détails de son argumentation, je sais en revanche qu'il préconisait l'augmentation drastique du prix des spiritueux, ainsi que l'introduction provisoire de la bastonnade et du matriarcat pour le cas où on ne réussirait pas à ramener la consommation d'alcool sur les lieux de travail au-dessous du seuil critique de trois bières et d'un demi-litre de vin par jour. J'ai trouvé ses déductions et ses propositions un peu sévères. Vespasien m'a confessé alors qu'à l'origine, il préconisait la proclamation de l'état d'urgence, mais l'académicien Ember Scätozar, un homme âgé et même malade, donc parfois très indulgent, soutenait mordicus qu'il fallait créer des commandos de jeunes mères afin de détruire les bistrots, ou bien utiliser la persuasion idéologique : on devait fustiger les vestiges de l'alcoolisme qui persistait encore ici et là en organisant des réunions extraordinaires et publiques du parti. Qu'en pensez-vous ? m'a t-il demandé.
- Retravaillez votre étude, camarade Vespasien, ai-je proposé, car je ne savais pas quoi dire d'autre.
- Je l'ai déjà travaillé deux fois, camarade Pierre le Grand.
- Cela ne fait rien. Retravaillez-la une troisième fois.
- Et à votre avis, dois-je tenir compte des suggestions du camarade directeur général ?
- Certainement, ai-je dit.
- Et que proposez-vous, camarade sous-directeur ?
- La même chose que la camarade directeur général. Au travail ! Ne vous découragez pas, camarade Vespasien, j'ai confiance en vous. »
Alors qu'un mur s'effondre, nous nous aventurons en Absurdistan, ce pays méconnu d'Europe de l'Est. Nous, c'est à dire Moi et Mon Moi Inégalable, cette petite voix intérieure qui me montre la voie à prendre, ou à dévier - et les déviances, ça me connait dans ma putain de vie. Mon Moi Inégalable m'est parvenu comme ça un jour, sous les traits d'Einstein, une mine donc confiante pour survivre en terrain (dé)miné. Ils sonnent les cloches pendant qu'une révolution se joue. Seul dans mon bureau, à regarder le monde, du moins ce globe-terrestre qui tourne à portée de main, voulant profiter d'une journée pépère, espérant juste baiser ma douce ce soir...
Mais c'était sans compter sur l'influence du Parti, qui loin de me sonner les cloches, réduisit mes espoirs à quasi néant, le vide de ma vie. Rien ne peut être fait sans son aval et je ne lui demande même pas qu'elle me l'avale, ma passion se ravale avec ce goût d'amertume et de poussière.
« Mais Einstein m'a tranquillisé, ma mort n'était pas certaine, il faisait sonner les cloches à titre préventif ; si tout se passait bien, seul l'esprit communiste allait quitter mon corps brisé et non point mon âme. Si je survis à cette crise, je vais renaître, et de la deuxième moitié de ma vie je pourrais disposer en homme libre. »
L'Absurdistan, cette enclave socialiste que je pourrais situer entre la Slovaquie et la Hongrie, est peuplée de petites vies, aux comportements absurdes et drôlatiques, s'ils étaient pris au sérieux, pour le pauvre type qui habite de l'autre côté du mur. Il y a des secrets qui rôdent derrière chaque usine, même une simple usine de couture même délabrée, des gestes à mesurer avant d'en prendre la pleine conscience de son utilité, les couturières ne sont pas ce qu'elles sont, là c’est du sérieux. Surtout, pour survivre, il faut ne jamais remettre en question le avant. Si c'est là, et ben, c'est là. Point - de croix. Alors quand on se réveille au beau milieu d'une révolution, le vent tourne, mais l'absurdité continue, à savoir vers quel horizon a tourné ce vent qui soulève la poussière de nos vies, surtout lorsque l'on ne sait même plus quelle est cette direction.
Et pendant ce temps-là, Einstein sonne les cloches... J'ai beau fermer les yeux, je l'entends toujours... Alors je me ressers une bière. Merci.
- Retravaillez votre étude, camarade Vespasien, ai-je proposé, car je ne savais pas quoi dire d'autre.
- Je l'ai déjà travaillé deux fois, camarade Pierre le Grand.
- Cela ne fait rien. Retravaillez-la une troisième fois.
- Et à votre avis, dois-je tenir compte des suggestions du camarade directeur général ?
- Certainement, ai-je dit.
- Et que proposez-vous, camarade sous-directeur ?
- La même chose que la camarade directeur général. Au travail ! Ne vous découragez pas, camarade Vespasien, j'ai confiance en vous. »
Alors qu'un mur s'effondre, nous nous aventurons en Absurdistan, ce pays méconnu d'Europe de l'Est. Nous, c'est à dire Moi et Mon Moi Inégalable, cette petite voix intérieure qui me montre la voie à prendre, ou à dévier - et les déviances, ça me connait dans ma putain de vie. Mon Moi Inégalable m'est parvenu comme ça un jour, sous les traits d'Einstein, une mine donc confiante pour survivre en terrain (dé)miné. Ils sonnent les cloches pendant qu'une révolution se joue. Seul dans mon bureau, à regarder le monde, du moins ce globe-terrestre qui tourne à portée de main, voulant profiter d'une journée pépère, espérant juste baiser ma douce ce soir...
Mais c'était sans compter sur l'influence du Parti, qui loin de me sonner les cloches, réduisit mes espoirs à quasi néant, le vide de ma vie. Rien ne peut être fait sans son aval et je ne lui demande même pas qu'elle me l'avale, ma passion se ravale avec ce goût d'amertume et de poussière.
« Mais Einstein m'a tranquillisé, ma mort n'était pas certaine, il faisait sonner les cloches à titre préventif ; si tout se passait bien, seul l'esprit communiste allait quitter mon corps brisé et non point mon âme. Si je survis à cette crise, je vais renaître, et de la deuxième moitié de ma vie je pourrais disposer en homme libre. »
L'Absurdistan, cette enclave socialiste que je pourrais situer entre la Slovaquie et la Hongrie, est peuplée de petites vies, aux comportements absurdes et drôlatiques, s'ils étaient pris au sérieux, pour le pauvre type qui habite de l'autre côté du mur. Il y a des secrets qui rôdent derrière chaque usine, même une simple usine de couture même délabrée, des gestes à mesurer avant d'en prendre la pleine conscience de son utilité, les couturières ne sont pas ce qu'elles sont, là c’est du sérieux. Surtout, pour survivre, il faut ne jamais remettre en question le avant. Si c'est là, et ben, c'est là. Point - de croix. Alors quand on se réveille au beau milieu d'une révolution, le vent tourne, mais l'absurdité continue, à savoir vers quel horizon a tourné ce vent qui soulève la poussière de nos vies, surtout lorsque l'on ne sait même plus quelle est cette direction.
Et pendant ce temps-là, Einstein sonne les cloches... J'ai beau fermer les yeux, je l'entends toujours... Alors je me ressers une bière. Merci.
« Les Cloches d'Einstein », Lajos Grendel.
Traduction : Véronique Charaire.
« Pendant la canicule et les pauses repas, je bois des bières avec Jim le Panache, qui me met souvent en garde : "Fais attention au chacal, il est imprévisible et enclin à mordre." »
J'aime quand l'Histoire se mêle au récit. J'aime aussi John Zorn et cette Leffe Royale dont il ne reste forcément plus une seule goutte...
RépondreSupprimerHo la la, ma p'tite dame, ça fait longtemps qu'il n'y a plus une seule goutte... Les gouttes, jusqu'à la dernière, elles s'évaporent si vite par ici, putain de réchauffement climatique.
SupprimerJohn Zorn, je l'adore, sa folie ses compositions, son saxo furieux et déjanté...
Je passe mon tour... J'ai arrêté la couture !! ^^
RépondreSupprimerPourtant, je te vois bien te tricoter des paires de chaussettes pour l'hiver...
SupprimerEt après, c'est moi que l'on traite de "vaporeuse", pfff... °°
RépondreSupprimerles vapeurs s'évaporent...
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