dimanche 15 mars 2020

Les Bisons Meurent Jamais de Vieillesse

« Les bruits du saloon étaient comme assourdis par des couches de poussière et de chaleur. »

Un nuage de poussière, les portes battantes d'un saloon, un homme seul au comptoir, une bière un bourbon, l'évocation d'un majestueux troupeau de bisons quelque part dans l'ouest sauvage... Le tout dans les trente premières pages. Il y a même une putain qui regarde mon regard vide, au fond de la salle. C'est dire que je suis d'entrée plongé dans mon élément, la grande littérature de la conquête de l'ouest, parmi les trappeurs de castors, les chasseurs de bisons et les ivrognes qui ont perdu leur fortune autour de quelques bouteilles de whisky frelaté.  

« Il prit une profonde inspiration, l’odeur âcre du pétrole mêlé à la sueur et à l’alcool emplit ses poumons ; cela le fit tousser. Il s’approcha du bar, qui lui arrivait à peine à la taille. Le barman, petit homme chauve aux grandes moustaches et au teint bilieux, le dévisagea sans mot dire.
« Une bière », dit Andrews.
Le barman prit une lourde chope sous le bar. Il ouvrit le robinet d’un des fûts posés sur de larges caisses en bois et fit couler la mousse blanche le long du verre.
« Ça fera vingt-cinq cents », dit-il en plaçant la chope devant Andrews.
Ce dernier y trempa les lèvres ; la bière insipide lui parut plus chaude que la salle. Il posa une pièce sur le comptoir. »


A Butcher's Crossing, patelin du Kansas couvert de poussière et de désespoir, je ne suis que de passage pour croiser la route d'un de ces vieux loups solitaires qui se souvient d'un troupeau de bisons de plusieurs milliers de têtes aperçu il y a une dizaine d'années. A quatre, quelques chevaux et deux bœufs pour tirer le charriot chargé de haricots secs, de poudre à fusils et de tonneaux remplis de whisky, ils partent au-delà des collines, au delà des rivières et des montagnes, vers les terres inconnues et les profondeurs de l'Ouest, un endroit encore à l’état sauvage, terre vierge des hommes, terre du bison solitaire. Ils affronteront la chaleur, la sécheresse, l'épuisement, puis le froid et la solitude de ces contrées hostiles. Ils ne se nourriront que de haricots blancs, de café bouilli et de quelques tasses de whisky. Ils tueront un bison, puis deux, puis cent, puis mille, puis plus encore, plus qu'il n'en faut, des peaux qui s'entassent, des kilos de chair qui pourrissent, quelques charognards qui rodent, la fin triste du bison. 

« T’as vu des bisons ? Pas la moindre trace… Les bisons vont pas là où y’a rien à boire. »

La grande aventure, into the wild, l'ouest sauvage comme quand gamin, j'en rêvais déjà. Maintenant, des soleils se sont élevés, des lunes se sont enfuies, des saisons ont tourné les pages, ma jeunesse a trépassé. Devenu aussi vieux qu'un bison mort, j'en rêve encore du grand ouest, des santiags et d'un whisky poussiéreux qui râpe la gorge autant qu'une barbe de trois jours qui se frottent entre les cuisses d'une putain pétillante. C’est une grande expédition dont on ne ressort pas si indemne que ça (encore moins si on est un bison), bravant le froid, le sang et la chair en putréfaction.    

« Les bisons meurent jamais de vieillesse. Soit c’est l’homme qui les tue, soit c’est le loup qui s’en charge. »

Merci encore pour cette littérature de bisons morts. Le massacre de bisons a encore de beaux jours dans la littérature américaine et d'un vieux bison.

« Butcher’s Crossing », John E. Williams.

Traduction : Jessica Shapiro.


« Le bison est une créature étonnante. »


14 commentaires:

  1. Hey...Classical Buffalo theme. And I like...Tant musique que littérature.

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    1. Les deux vont bien ensemble, comme de vieux types qui se retrouvent au bout d'un comptoir collant...

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    1. Bon ok, je te l'accorde, l'auteur en rajoute un peu, beaucoup même...

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  3. Les bisons ne sont pas atteints par le Covid 19.
    J'espère que tu vas bien.
    Prends soin de toi.

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    1. Je me demande ce que tu vas faire de tes journées avec toutes les salles de cinéma fermées....

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  4. Aucun problème, j'ai toujours l'impression qu'elles sont trop courtes.

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  5. Les bisons se méfient de l'Ouest, ou ne s'en sont pas assez méfié. Parce qu'ils ont fait confiance aux Hommes, une fois encore, à tort.
    Et l'hiver est venu, aride.
    Puis ce sont les hommes qui ont souffert et qui sont morts...
    Le bison est vraiment une créature étonnante. Bien plus belle que les hommes !

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  6. De rien, de rien... si je peux rendre service ^^
    ;))

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  7. Joli, joli! Quel bel hommage aux bisons ( j'en vois parfois, dans mes Ardennes belges, à Han-sur-Lesse, un parc naturel...). Chaque fois que je passe par là, je relis le dépliant dans lequel il est écrit "La prairie s’étend à perte de vue et le regard se perd dans l’horizon où vagabondent des courbes capricieuses et des ombres pointues. Tout est paisible. Soudain au loin, un nuage de poussière se lève. Une masse brune galope et se rapproche. Le bruit de ses sabots qui martèlent le sol rend sa course encore plus folle. Brusquement l’animal s’arrête. Son souffle est puissant, son regard troublant. L’émotion gagne les cœurs. Car voir un bison procure le frisson, un instant de bonheur…"

    J'avais beaucoup aimé ce livre auquel tu rends parfaitement hommage! Et j'adore le DMB, leur musique me rappelle Les Grateful Dead que j'adore ainsi qu'un groupe de "my generation", Blind Melons!

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    1. Quel joli texte, tu me sors là... des frissons qui me parcourent l'échine...

      Tiens, je ne connais pas Blind Melon... A découvrir d'urgence alors quand je vois qu'ils faisaient les premières parties de Neil Young et des Guns 'N Roses...

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