lundi 9 mars 2020

L'âme slave


« Dehors, juste au-dessus du wagon, dansent de légères étincelles bleues, produites par le frottement du réseau de câbles et d'antennes avec les caténaires, des étincelles comme des frêles incisions dans la masse compacte du ciel, qui éclairent des congères boueuses repoussées le long des voies, avec leurs formes arrondies, massives, tels des mammouths ou des dinosaures endormis, posés là dans l'attente d'un hypothétique réveil. »

NIce, 9 mars 1881.
Anna Alexandrovna, jeune aristocrate russe, est sur le quai de la gare. Une certaine impatience même à quitter ces lieux, d'une villégiature de luxe. Les "exils" bourgeois de ses parents sur la côte d'Azur l'ennuient. Elle est une de ces beautés, celle des filles de bord de mer, mais son âme slave la ramène toujours vers la grandeur de son pays, sa vodka, son herbe à bison et ses promenades à cheval dans l'immensité de ses steppes.

« Le train poursuit son avancée dans la nuit, comme s'il ouvrait la terre droit devant lui, rejetant les ténèbres de part et d'autre de la voie. La nuit est noire, d'un noir dense, serré, d'où toute trace de gris a disparu. »

Moscou, 8 mars 2012.
Irina, une de ces beautés des filles de l'Est qui se dévoile sur le papier glacé d'un magazine ou sur un site de rencontres pour ceux qui recherchent l'âme slave, avance timidement sur le quai. Une certaine appréhension l'envahit, comme une peur de l'inconnu. De Moscou à Nice, elle quitte tout pour Enzo, un de ces gars qui se réfugie derrière un pseudo pour rencontrer l'amour. Elle ne l'a jamais vu, ne lui a jamais parlé, mais le monde virtuel les a rapproché. Il aurait pu lui payer un billet d'avion, pourtant elle a préféré la lenteur du train, comme pour mieux respirer son attente et sentir le paysage défiler derrière la vitre du compartiment.  


« De loin en loin, le halo clair tracé par les lumières d'une ville devinée, comme un témoignage de vie, ou la possible existence d'une galaxie proche, quelque part dans des espaces interstellaires, et l'idée que les hommes n'ont pas renoncé à exister là, pas encore. Cela dure quelques secondes, puis la nuit reprend possession des espaces brièvement concédés. Le train continue sa course, sans arrêt, avec de simples ralentissements dans des gares inconnues, avec leurs panneaux illisibles, leurs quais grisouilles et leurs réverbères transis. » 

L'une quitte Nice pour rejoindre Moscou, la seconde prend le chemin inverse. Un siècle sépare ces deux âmes slaves, pourtant elles vont se retrouver dans ce même train. Des raisons différentes les habitent, pourtant leurs histoires y retrouvent un même écho, celui de la passion amoureuse - que moi je noierai de chagrin avec ma bouteille de vodka. C'est que l'amour sur un quai de gare a toujours su m'émouvoir, en silence, celui du vent qui s'engouffre sur le quai, espérant faire soulever les jupes de ces beautés aux sourires épanouis. Et toujours cette même angoisse, lorsque le train entre en gare, que la locomotive semble s’essouffler, les mains moites, le souffle court avant de poser un pied sur la marche du wagon pour descendre définitivement vers une autre vie.  

« Noces de Neige », Gaëlle Josse.

« La vie est de sang, de chair, de sperme et de larmes, de trop de larmes, de trop de sang parfois. »

 

11 commentaires:

  1. Salut, le Bison
    Il me tente bien, ce long voyage en train !
    Joli titre: Noces de neige.
    Moi, je dirais : trop de larmes, parfois...

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    1. ... et parfois pas assez de sperme...

      Sinon, c'est un très beau voyage en train, l'occasion de boire quelques shots de vodka, avec ou sans herbes de bison... Un voyage qui ne peut que plaire...

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  2. Je ne ferai sans doute pas le voyage en train mais je me suis régalée avec Salvatore et Arno. Beau moment surréaliste. Z'étaient chouettes les filles du bord de mer.

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    1. D'habitude, je ne suis pas trop Salvatore, mais j'avoue cette vidéo me fait halluciner de bonheur. Un grand moment...

      Oui, z'étaient très chouettes ces filles du bord de mer...

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  3. Passe moi Tombe la neige et je fonds en larmes...
    Je ne suis pas très Salvatore non plus mais je dois dire que chaque fois que je l'entends en interview je découvre un être profond, plein d'humour et dont il émane une VRAIE gentillesse.
    Je crois que Le Luron lui a fait du "tort" en se moquant constamment de lui.
    Connais tu sa chanson "Inch'Allah" ? Une merveille. Essaie de l'écouter.
    Salam, Shalom.

    J'ai vu Arno au moins 10 fois en concert. Une fois, on arrive devant la salle et il y avait, affiché sur la porte de la salle, un "arrêt de travail" signé de son médecin. C'était la 1ère fois qu'on voyait ça. On était déçus mais on a bien ri.

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  4. Les quais de gare, la lenteur d'une longue traversée en train... ils appellent à l'amour, au silence, aux rencontres, à la nuit étoilée...

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  5. Me le passeras-tu ? (euh, dans ta grande bonté ^^)

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