dimanche 5 juin 2022

Les Soirées du Commandeur

Quinze années se sont écoulées. La Servante Écarlate allongée sur le lit d'un commandant, je la laisse ainsi, cuisses écartées, telle est la loi de cette vie, son unique but étant de se faire violer pour enfanter, la loi pour survivre dans la communauté. Je délaisse donc cette cape rouge, pour m'intéresser aux tailleurs bleu-vert des Épouses ou au brun des Tantes. Dress code de rigueur dans ce milieu-là. Plusieurs voix me parlent d'ailleurs pour comprendre, savoir, appréhender, une tante repentie à travers les mémoires d'un hologramme, une jeune fille qui s’apprête à devenir épouse, mais l'est-elle vraiment prête, une jeune fille de l'autre côté du "rideau de fer" version canadienne, des perles venues prêcher les bonnes paroles de notre Seigneur et du Commandant Jude.

Et se demander ainsi ce qu'est devenue Galaad depuis tout ce temps...

"Ce que je crains plus encore, c'est que tous mes efforts ne servent à rien, et que Galaad dure mille ans. La plupart du temps, c'est l'impression qu' on a ici, loin de la guerre, dans le calme du cœur de la tornade. Si paisibles, les rues ; si tranquilles, si ordonnées ; pourtant, sous la surface trompeusement placide, une vibration, du même genre que ce qu'on ressent à proximité d'une ligne à haute tension. On est tendus au maximum, tous autant qu' on est ; on vibre, on tremble, on est perpétuellement sur le qui-vive. On parlait autrefois de règne de la terreur, mais la terreur ne règne pas, pas vraiment. Elle paralyse au contraire. D'où cette douceur anormale."
 
Une suite donc sans être tout à fait une suite, disons un nouveau chapitre de l'Histoire écrit trente-quatre ans après. Et je me demande ainsi non pas ce que je suis devenu depuis tout ce temps, sans intérêt, mais si une telle société, décrite dans un roman dit dystopique, serait même envisageable dans la réalité. Et je crois que malheureusement cette vision futuriste de ce monde ne serait, au final, pas si éloignée par certains aspects du notre, comme pouvait l'être d'ailleurs la servante écarlate en son temps. Ce qui fait dire que ces deux romans n'ont pas d'âge. Comme quoi, même à quatre-vingt ans, l'auteure a encore moyen - et envie - de dénoncer, décrypter, disséquer la société dans laquelle nous vivons tous, habillés de rouge de vert ou de brun... Question de dress code, avec les soirées du Commandeur, avec le petit espoir qu'il pourrait exister des passerelles entre le vert et le brun, entre le rouge et la corde, avec le maigre espoir de se dire que crise oblige la frontière entre Galaad et le reste du monde (donc le Canada) est perméable.
 
"Ma vie aurait pu être très différente. Si seulement j'avais regardé autour de moi, cherché à avoir une vision globale. Si seulement j'avais bouclé mes bagages en temps et en heure, comme certaines, et quitté le pays - ce pays que sottement je croyais encore être celui qui avait été le mien pendant si longtemps.
De tels regrets ne servent à rien. J'ai fait des choix et, après, j'en ai eu moins. Deux routes divergeaient dans un bois jaunissant, et j'ai pris la plus fréquentée. Elle était jonchée de cadavres, comme le sont de telles routes. Mais, tu l'auras remarqué, le mien n'y est pas encore."

  
"Les Testaments", Margaret Atwood.
Traduction : Michèle Albaret-Maatsch
 

 

2 commentaires:

  1. J'ai tant aimé l'univers de La servante écarlate que je dois lire absolument cette suite et finale. J'peux pas dire de niaiseries, je serai sage ici. Ça m'arrive... des fois.... :D

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    1. Ce second opus est à rapprocher aussi de la série... Toi, des niaiseries ?

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