jeudi 23 juin 2022

Route 138


Nouveau char, nouveau road-trip. Le char, un vieux pick-up, de la rouille, de la poussière et surtout de la musique. Direction la route 138, pour une crisse de vie, des larmes et quelques bières. Tu montes à bord ? 

Je roule. Je laisse derrière moi Montréal et la fresque de Leonard Cohen, remonte vers le Nord vers l'Est, toujours plus haut, fuir les bruits de la ville des gens, les dépanneurs au coin de la rue, ouvert de jour, de nuit. Retrouver le son des tambours, son martellement en transe comme un cœur qui bat encore. Toujours plus de neige, toujours plus de silence, toujours plus au loin. Nuit.

« La nuit, C'est l'heure à laquelle on se déshabille.
Le haut et le bas du corps se laissent dénuder. La rougeur des joues. La tiédeur des larmes. Les rêves que l'on donne en gardant les lèvres fermées. Ne pas avoir peur. Le sable sur lequel on se couche. La saleté. Les autres qui sont passés. L'ivresse. Les yeux rougis. Les oublis. On ne voit dans la nuit que ce que les mains peuvent toucher. »


Je stoppe. Arrêt dans un dépanneur, quelques binouzes pour poursuivre la route et regarder les étoiles qui s’offrent à moi. On the road, again et again. Les paysages défilent, l’immensité des forêts à ma gauche, la majestuosité du Saint-Laurent à ma droite. L’ours et la baleine. L’orignal et le saumon. Nous étions jeunes et larges d’épaules, à attendre que la mort nous frôle. 

Je bifurque. Le temps m’emmène dans les terres des ancêtres innus. Le grand chaman et sa danse de la neige. Qui va encore pelleter la neige devant le tipi ? De la neige d'une blancheur aussi pure que de la cocaïne. En immersion en terres amérindiennes, terres inconnues d’un monde nouveau limité à une réserve perdue au milieu d’une immensité blanche. Autour des puits de pétrole, des puits de gaz, des puits de minerai. Et les hommes, ces âmes qui foulent depuis plusieurs millénaires ce lieu ? Nuit.

« Pourquoi. La nuit, elle dort d'un sommeil lourd qui lui enfouit le front jusque dans les dunes de son oreiller. Son visage tremble dans la noirceur de sa chambre close. Elle se raidit dès que quelqu'un hausse la voix. La peur la pourchasse dans ses cauchemars de mère. Elle pleure et personne ne la console. Elle oublie. Elle rit.
Je voudrais lui dire que je sais. Pourquoi je me tais.
Le silence. Je voudrais écrire le silence. »

Je pose. Mes sabots dans la poussière, neige fondue et vent frais. Je les vois, ces jeunes filles qui ne rêvent que de devenir mères. Enfanter, c’est faire survivre un peuple. Je les vois, ces jeunes gars allongés à même le sol, à fumer de l’herbe à longueur de journée, à vider quelques bouteilles d’une bière fade et américaine. C’est par où Chambly ? Poésie.

Je lis. Des consonnes et des voyelles qui s’assemblent sur les rives du fleuve et forment un moment de beauté poétique. Court, l’image de l’instant, comme le haïku d’un autre rivage. Ephémère comme la neige qui fond entre tes cuisses. Je chante, seul sur le sable, les yeux dans l’eau, ou un truc plus tribal fait d’une succession de lettres qui écorchent la voix à celui qui n’a pas l’habitude de parler. Silence.

« Le silence fait du bien à celui qui l’écoute et parfois même, on peut entendre le saumon qui remonte la rivière. »

J’écoute le silence, celui d’un piano, celui d’une âme, celui d’un peuple. Mon silence qui n’ébruite même plus la poussière de la vie emportée par le blizzard de la péninsule, le Nitassinan. J’arrive au bout de ce voyage, au bout de la route 138, la fin d'une errance et je m'enfonce dans le sombre de l’océan. Poussière.
 
« Kuessipan », Naomi Fontaine.
 


« Une poussière sur le cœur, une ride sur le front. »

6 commentaires:

  1. Pas lu mais je viens de voir le film. Plutôt bon. Merci pour Liszt. Son romantisme me convient, ce mal qui fait du bien. A + l'ami.

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    1. Hey l'ami. Pas vu, mais je n'ai pas ta cinéphilie...

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  2. Vu le film et lu, les deux se complètent à merveille et m'ont bouleversée.

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    1. Pas eu la chance de voir le film, mais si l'occasion s'y présente, je foncerai de nouveau et avec un incommensurable plaisir sur la route 138...

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  3. En gros, tu prends la ligne verte du métro et tu débarques à McGill. Après être allé voir les filles hot, tu vas au café Sarajevo voir Dany et boire un p'tit drink.
    Tu prends ensuite ton char, direction la 138, en passant par Chambly pour te ravitailler et saluer Charlebois au passage. Direction Québec jusqu'à la Côte Nord. Tu t'arrêtes, rendu à destination, sur le bord du Fleuve et tu fermes les yeux. Tu écoutes le chant des baleines. Tu tripes...

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    1. Voilà donc un programme magnifique. Tout est dit. Je rajoute juste un bbq avec les épices du trappeur de chez Schwartz - il me faut bien une excuse pour mettre une chemise de bucheron et la tuque en castor) - et c'est parfait, accompagné d'une caisse de Don de Dieu... un moment unique en communion avec les étoiles, la neige et ma bière...

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