jeudi 4 janvier 2024

Frappe-à-bord


Frappe-à-bord ou frappabord
n.m.
[1874] Au Québec, nom générique donné à diverses variétés de mouches piqueuses. Surnommées également taon à cheval, mouche à cheval, mouche noire ou mouche à chevreuil, on dit qu’elles frappent d’abord leur victime avant d’arracher une parcelle de peau pour se nourrir de sang. [Genre Chrysops ; famille des tabanidés.]

Bzz… Tsss… j’imite mal la mouche… pourtant je suis là, à roder autour de ta tête, cette musique énervante, prêt à plonger sur ton corps, te lacérer un morceau de peau avant de te pomper quelques gouttes de sang. Que tu sois bucheron au sang imbibé de sueur et de caribou, ou fille de McGill au sang chaud et à la mini-jupe en poil de castor. Je prolifère dans cet été trop chaud pour le Québec, on pourrait se croire à Cancun, volant en nappe noire et se jetant sur ces proies faciles. La population s’exaspère de ces nuées sauvages, amenant des accès de fièvre et de rage.

« Par habitude, il active les essuie-glaces pour laver les traces d'insectes écrasés sur son pare-brise, mais de grandes souillures de sang mélangées avec une substance jaunâtre épaisse barbouillent à présent sa vitre. Contrarié, il éteint le moteur et sort de sa voiture. Avant de franchir le seuil de la porte du centre, il inspire profondément, et retient son souffle. Théodore éprouve une haine viscérale envers cet endroit. Il a toujours été extrêmement mal à l'aise avec l'idée de voir des gens mourir. Que dire de l'odeur de merde aseptisée qui plane partout ? Ça le prend aux tripes. De retour chez lui, il en a pour plusieurs jours avant qu'elle ne le quitte complètement. Elle semble s'agripper désespérément à lui avec des griffes acérées. Lorsqu'il pense l'avoir neutralisée avec du savon parfumé, l'odeur revient en force. Maintenant qu'il approche de l'âge auquel ses parents ont perdu la vie, Théodore ressent une angoisse sans nom l'envahir chaque fois qu'il se trouve à proximité de l'hospice ; elle continue de croître, croître, croître. Un jour, il redoute qu'elle n'occupe tout l'espace en lui. Rendre visite à son grand-père sur ses derniers milles ne contribue en rien à apaiser cette anxiété. La mort surgit à chaque tournant. »

Ces frappabords deviennent de plus en plus hostiles et méchamment furieuses, agressives. Parallèlement, le long du fleuve Saint-Laurent, je découvre l’histoire de Grosse-Île. Tout démarra en 1942 alors que des sous-marins allemands commencent à naviguer dans les eaux du fleuve. Les gouvernements américains, britanniques et canadiens décident d’y installer une station scientifique pour y effectuer quelques recherches. Des biologistes, des biochimistes, des militaires et un entomologiste débarquent, projet top-secret, dont celui de propager l’anthrax avec comme vecteur de propagation cette grosse mouche noire… Ouf ou bien sûr le projet n’ira pas jusqu’au bout, au dernier moment, le commandant demanda à brûler toutes les installations militaires, les recherches, le rivage. Mais…

Alternant le point de vue de l’entomologiste ou celui de l’insecte lui-même, l’originalité du récit propose une balade bucolique où au lever du soleil les herbes hautes caressent ses jambes et au coucher du soleil une main noire et bourdonnante s’attaque à leurs chairs... A la limite de l’anticipation, voilà un roman qui fait peur, peur parce qu’au final ce n’est pas qu’un roman. Oui tout est véridique ou presque. Ces expérimentations sur l’anthrax et la peste bovine ont réellement eu lieu à Grosse-Île entre 1942 et 1956, laissant un goût amer dans ma bouche (à moins que ça soit la saveur de mon IPA).

« Avant d’arriver sur l’île, Thomas n’en savait que très peu au sujet de cette bactérie qui était appelée le Bacillus anthracis. Il en avait un peu entendu parler à l'université dans ses cours de biologie, mais sans plus. Il a donc été à la fois fasciné et effrayé d'apprendre par l'Américain qu'elle possédait la capacité, dans un milieu hostile comme la terre, de se transformer en spore. Protégée par une coque rigide, elle devenait incroyablement résistante aux variations de température, d'acidité, aux explosions ainsi qu'aux désinfectants. Selon lui, elle pouvait survivre sous cette forme encapsulée plus de cent ans tout en conservant ses propriétés. C'était sans doute la principale raison pour laquelle cette bactérie avait été choisie par Washington, cette spore se révélait une arme bactériologique redoutable. »

« Frappabord », Mireille Gagné.




5 commentaires:

  1. Comment fais-tu pour lire un livre par jour ?
    Moi qui lis comme une tortue, je suis jalouse.
    Bon hier j'ai lu une oeuvre de 150 pages... mais il s'agit du Voyage de Shuna de Miyazaki (qui était sur ma liste de Noël).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je m'insurge de cette calomnie... Une bière par jour peut-être, mais pas un livre... Ca dépendant toujours de la grosseur du livre (comme quoi, là aussi c'est une question de taille), mais je suis plus du genre 1 livre 1/4 par semaine...

      Et puis moi, je ne choisis pas des pavés de 700 pages à chaque fois...

      Supprimer
    2. Et bien l'insurgé, j'aimerais tenir ce rythme...
      Je viens d'abandonner un livre qu'on vient de m'offrir. 65 pages et je m'ennuie toujours.
      Pour le nombre de pages, je fais pas exprès et je m'insurge aussi. Je viens de terminer L'enfance de La trilogie de Copenhague (2ème tome en mars...) qui doit faire 150 pages et c'est renversant d'émotion dans un style époustouflant.
      Et je ne sais plus qui m'a rendu addicte d'un bouquin de presque 900 pages...

      Supprimer
    3. Tiens donc... je ne connais pas Tove Ditlevsen... Cela dit 3 fois 15O pages, ça commence déjà à faire un petit pavé :-)
      De l'émotion, toujours !

      Supprimer
    4. Et c'est aussi que moi, question rythme, je ne fais ni cinéma, ni yoga, ni piano, ni aïkido, ni taï chi, ni taïso... et en plus je ne nettoie pas mes toilettes au miroir pour voir ce qui s'y passe derrière...

      Supprimer